C’est comme être embarqués dans un train devenu fou :
impossible de ralentir, de freiner, de descendre… il y a un bon moment
qu’on le voit prendre de la vitesse, on a beau avec d’autres agiter nos
petits bras, brandir les appels à la raison : la bête prend de la
vitesse, nous embarquant avec elle malgré nous dans une course sans bon
sens. On l’a senti venir… Rien de tel que le cinéma pour vous donner à
entrevoir ce qui se trame en sourdine, ces vilaines herbes qui germent
sur le terreau des détresses sociales, des rancœurs accumulées, des
espoirs toujours déçus, des paranoïas entretenues.
7 janvier, on est sous le choc : Charb, on l’a connu en culottes courtes
quand son ex-prof d’histoire de collège nous l’a amené à Utopia
Saint-Ouen l’Aumône pour qu’il essaie de trouver sa place en passant par
un de ces multiples stages mis en place par les gouvernements
successifs pour faire disparaître des listes du chômage les jeunots
arrivants sur le marché de l’emploi. Lui qui ne savait rien faire
d’autre à l’époque que dessiner à tout propos nous regardait nous
agiter, chopait au vol le détail qui fait rire, le croquait illico avec
une invention, une drôlerie incroyables, se moquait gentiment. Qui
aurait dit quand on le voyait dévorer ses demi-sandwichs au saucisson
chez Pépère – c’était comme ça qu’on appelait le Café du Centre, juste à
côté du ciné, où on avait nos habitudes – qu’un jour des allumés
furieux lui troueraient le paletot ? Sacré Charbounet, qu’est ce que tu
nous faisais rire ! Qu’est ce qu’on t’aimait !
Cabu, Wolinski, Oncle Bernard, Tignous, Honoré et tous les autres… des
lustres qu’on fréquentait leurs dessins, qu’on dévorait leurs écrits,
qu’on les invitait à Utopia. Ca nous filait la pêche : rien de tel que
la distance, l’impertinence, l’irrévérence de leur humour pour remettre
les choses à leur place, relativiser, dénoncer la véritable vulgarité
des choses… Y avait pas plus tolérant, pas plus ouvert, pas moins
raciste que tout ce monde-là. Pas facile à tenir la position de
l’humoriste dans un monde écorché vif qui ne tolère plus l’humour parce
la tension est devenue trop forte tandis que certains se replient sur
des positions qui se radicalisent. Alors, fini de rigoler ?
Et en plus il faut se farcir le spectacle de les voir tous prendre
position, les médiatisés, les politiciens de tout poil prêts à récupérer
la chose pour leur paroisse, à jeter de l’huile sur le feu en feignant
de vouloir l’éteindre… les mêmes qui les clouaient au pilori, se
prêtaient au jeu d’amalgames douteux et des petits coups bas, pour mieux
neutraliser les engagements profonds de Charlie, versent aujourd’hui
des larmes de crocodile en gesticulant devant les médias… mais ce qui
est sûr c’est que beaucoup les aimaient très sincèrement, tout bêtement
parce qu’ils étaient énormément aimables, ni bête ni méchants. On a un
gros chagrin.
vendredi, janvier 9 2015
Bal tragique à Charlie Hebdo…
Par St Siméon le vendredi, janvier 9 2015, 01:28 - Éditos