Propriété privée

  En prenant mon stylo en main, j'avais la modeste intention d'écrire un papier dithyrambique sur la Zona, premier film du mexicain Rodrigo Pla. L'instant d'après, je savais que je me leurrais : mon esprit vagabondait déjà au delà de la zone filmique. J'ai lu à son propos une pure ineptie, lorsqu'on l'assimile à un film d'anticipation, je m'arrête et j'ai envie de dire non. Cent fois non! Même si les personnages et les actions atteignent, dans cet univers purement fictionnel, un certain de degrés de paroxysme, nous naviguons dans des dérives totalement ancrées dans notre temps : arrogance de certaines communautés envers d'autres, violence latente de quelques groupes sectaires, paranoïa excessive, climat de peur, judas électronique, pots de vin et Cie.


   La zona est cet espace bien délimité, entouré de béton et de barbelés, où se côtoient les propriétaires aisés. Les murs sont les barreaux de leur prison dorée, matérialisant ainsi la frontière qu'il existe entre ces deux mondes, avec d'un côté les oisifs et de l'autre les laissés pour compte.
   D'ailleurs des murs, on en a vu, et la liste ne saurait être trop exhaustive : il y a eu naguère Berlin d'Est en Ouest, il y a encore aujourd'hui celui, Nord-Sud, qui sépare les cités étasuniennes des bidonvilles mexicains. Je pourrais également mentionner la barrière de séparation construite par Israël en Cisjordanie, le fameux mur de la honte, ou encore ces "murs de paix" qui zèbrent les quartiers pauvres de Belfast (qui se dressent entres les communautés loyalistes et nationalistes et maintiennent la ségrégation). Bien évidemment chaque maître d'ouvrage  y  voit un simple outil sécuritaire, ici pour protéger des projectiles, là pour éviter des transhumances désordonnées où bien là encore pour faire un pied de nez à la face déshéritée du monde. Des remparts idéologiques, des forteresses morales et toujours des murs face aux lamentations. Trois mètres, sept mètres, quinze mètres, rien n'est jamais trop haut pour réaliser son rêve de tranquillité

   Que voulez-vous, la peur entraîne la peur, les dérives ultra-sécuritaires rajoutent des pierres à l'édifice. Mais dès qu'une brèche est ouverte, ce qui ne relèverait habituellement que d'un simple incident de l'ordre de la chronique de bas-étage, devient très vite affaire d'État. C'est justement dans ces conditions que s'organise la chasse à l'homme dans la Zona, les chiens sont lâchés sous la bannière de la légitime défense. Comme toujours me direz-vous. Le fugitif aura beau se terrer, ce n'est pas sans compter sur la ténacité de cette folie collective. La Zona nous renvoie l'image de notre société avec ses excès et ses injustices. Mais la réalité dépasse souvent la fiction. Georges Orwell avec ses cauchemars d'anticipation formulés il y a quelques décennies se retournerait dans sa tombe.
Erigeons donc des murs pour protéger nos vies et nos propriétés afin de garantir le bien être de chacun.
Voilà ce qui s'appelle jeter un pavé dans le mur...