« Les bobines de mon film sont arrivées à Ramallah, sans moi »

Simone Bitton, racontait aujourd'hui de Jérusalem, sur le site de Rue89, le parcours chaotique pour présenter son film Rachel ce soir à Ramallah (nous recevrons Simone Bitton pour l'avant-première de son film mardi 20 octobre à 20h30 à Toulouse). Voici son texte qu'il nous semblait utile de reproduire ici :

« Les bobines de Rachel sont arrivées à Ramallah ! Sans moi pour le moment, mais je les rejoindrai bientôt. Il faut savoir qu'en tant que citoyenne israélienne, je n'ai le droit de me rendre dans ville palestinienne de Cisjordanie. La raison officielle de cette interdiction relativement récente est sécuritaire : l'armée considère que tout civil israélien circulant dans une ville palestinienne est une cible ambulante de kidnapping ou d'assassinat. C'est arrivé, même si les cas sont très rares et se comptent sur les doigts d'une seule main en dix ans. La seconde raison de cette interdiction, c'est bien sûr d'empêcher toute relation d'amitié ou de solidarité, et de transformer en délinquants les Israéliens de mon espèce, qui s'obstinent à vouloir montrer aux Palestiniens un autre visage que celui des soldats qui les assiègent et les humilient.

« Ma double nationalité ne résout pas le problème car les ordinateurs de l'armée opèrent le recoupement entre passeports et les checkpoints sont informatisés. Expliquer que je suis invitée et attendue, qu'un public a déjà réservé ses places pour voir mon film et en débattre avec moi ne sert à rien et risque même d'énerver les soldats. La solution existe, mais je me garderai bien de vous l'expliquer ici avant de l'avoir pratiquée avec succès (d'autant qu'il semblerait que parmi les lecteurs de ce blog, certains excités qui me traitent de noms d'oiseaux dans leurs commentaires répétitifs seraient fort capables de prévenir qui voudrait me coffrer). J'irai à Ramallah, mais par précaution, je me suis séparée du film et j'ai fait appel à tout un réseau de bonnes volontés pour qu'il y arrive sans moi. Ainsi, au cas où je serai refoulée, retenue ou arrêtée, « Rachel » sera quand même projeté au théâtre Al Kasaba. Un long-métrage en 35 mm, c'est lourd (d'où le lumbago récurrent dont je vous parlais l'autre jour) ! Depuis lundi, ce fardeau est passé de mains en mains.

Photo empruntée au site de Rue89« Tout d'abord, il m'a fallu “l'emprunter“ au festival de Haïfa, qui en est responsable officiellement auprès de mon distributeur et doit d'ailleurs le renvoyer à Paris la semaine prochaine. J'ai bien sur expliqué pourquoi j'en avais besoin, et les gens du festival, de la directrice aux magasiniers, en passant par la responsable des copies (qui a plus de 150 films à gérer en dix jours), ont tout fait pour me faciliter les choses. Dès lundi après-midi, le film qui avait été projeté dimanche soir était rembobiné, et les six boîtes emballées dans un vieux carton passe-partout auquel j'ai ajouté une grande affiche du film, et que j'ai fourré dans le coffre de la voiture d'une amie, direction Tel-Aviv où j'étais invitée à dîner. Le soir même, le carton a changé de coffre de voiture, et une autre amie l'a trimballé à Jérusalem où il m'a sagement attendu dans sa chambre d'amis.

« Je suis arrivée moi-même à Jérusalem hier vers midi, j'ai récupéré le carton et l'ai emmené à l'hôtel American Colony, qui se trouve tout près de la ligne de démarcation -aujourd'hui invisible- entre Jérusalem-Est et Jérusalem-Ouest. Là, sur le parking de l'hôtel, m'attendait un ami diplomate. Ou plutôt, un diplomate que je ne connaissais pas auparavant, mais à qui j'ai expliqué mon problème et qui a accepté de le résoudre, devenant ainsi mon ami !

« Dernier transbordement de coffre à coffre, et voilà Rachel en route vers le checkpoint de Kalandia, franchi sans encombre en début de soirée. Je viens de parler au téléphone avec Khaled Elayyan, directeur du festival de cinéma de Ramallah : la copie est bien arrivée, l'affiche sera accrochée sur la façade du théâtre, les passants la verront, et comme elle est bien belle, cette affiche, j'espère qu'il y aura beaucoup de monde vendredi à la projection. »

Rue89 est un site Internet d'information indépendant, qui a fondé hier le SPIIL (Syndicat de la Presse Indépendante d'Information en Ligne), avec les sites Arrêt sur images, Bakchich.info, Indigo Publications, Mediapart, Slate et Terra Eco. Nous saluons au passage cette initiative qui montre bien qu'Internet est en train de se structurer afin de jouer efficacement son rôle de contre pouvoir.