Samson & Delilah

Ah... Samson & Delilah...

Autant vous dire que, depuis que j'ai vu ce film à Cannes, j'ai attendu sa sortie, et espéré qu'il trouve un distributeur afin qu'il puisse faire partie de notre programmation. C'est maintenant chose faite, grâce à Why Not Productions qui ont eu le courage de défendre le film, après moultes péripéties que je ne vous raconterai pas ici, car nous aurons l'occasion d'en discuter ensemble au cours du Petit-Déjeuner Découverte organisé à Tournefeuille le 22 Novembre, juste avant la sortie du film...

Mais pour continuer à vous mettre l'eau à la bouche, pour vous donner encore plus envie de venir voir ce film et de venir en discuter avec nous, voici une interview de son réalisateur, Warwick Thornton, ainsi qu'une petite note de sa productrice au sujet de la sortie du film en Australie.

Pouvez-vous nous parler de la genèse du projet, des personnages ?


L’histoire de Samson & Delilah est liée à mon enfance à Alice Springs. Ce qui est montré dans le film, je l’ai vu personnellement. Cela m’intéressait d’offrir au monde cette perspective de la vie indigène. Je ne crois pas qu’il y ait eu d’autres longs métrages de fiction sur les communautés aborigènes d’Australie Centrale. A peine 50 km séparent les communautés traditionnelles de la ville actuelle d’Alice Springs. Ce sont pourtant deux mondes totalement différents.

Concernant les personnages, ce qui m’intéresse chez eux c’est qu’ils n’ont rien d’unique. Chaque jour quand je vais en ville je vois un Samson ou une Delilah. Leur monde n’a rien d’original ici dans le centre de l’Australie. C’est même assez étrange que cette histoire n’ait jamais été racontée avant !


Le sous-titre est “True love”, “amour véritable”. C’était important pour vous que le film soit directement identifié comme une histoire d’amour ?


Oui, tout à fait. Quand il s’agit de communiquer avec un public et de raconter une histoire, l’amour reste un sujet universel. C’est une ligne directrice formidable et c’est sans doute la meilleure façon de parler d’une vie. Je voulais faire un film sur la beauté de nos enfants, leur intelligence, et aussi sur l’amour que nous devrions avoir pour eux. En les considérant comme des êtres humains et non pas comme des sources de problèmes ou des victimes.


Quels sont les autres thèmes que vous souhaitiez aborder ?


L’autre grand sujet du film est l’humanité, l’idée que nous sommes tous ensemble dans ce grand bain. Chacun trouvera dans Samson & Delilah des références à sa propre vie, et je pense que c’est très important d’avoir cette connexion avec le public. On voit de la drogue et ce genre de choses, mais l’idée du film est qu’il faut prêter plus d’attention à la cause plutôt qu’aux effets.

Nous ne cherchons pas à éduquer les gens, nous essayons juste de leur donner accès à une vie qu’ils n’ont peut-être jamais eu l’occasion de voir. C’est cela pour moi la beauté de ce que nous faisons en tant que réalisateur : ce geste spécial de montrer aux gens un monde différent à chaque projection. Je trouve ça absolument merveilleux. Libre à chacun d’en tirer ce qu’il veut à l’issue du film.


Comment s’est déroulée la phase d’écriture ?


J’écris mes films avec un stylo et un morceau de papier, je n’utilise pas d’ordinateur. J’aime penser à un film longtemps et consacrer un temps très court à l’écriture proprement dite. J’y pense pendant deux ans et je l’écris en deux semaines ! Je n’aime pas faire 75 versions intermédiaires en changeant de petites choses. Je préfère m’asseoir pour réfléchir et tout changer d’un coup. En général je tourne la troisième version du scénario.


En quoi était-il important pour vous d’écrire, de filmer et de diriger ?


Cela m’apporte une connaissance absolue de la raison de chaque scène. Je suis chef opérateur par profession et par amour et j’ai décidé de cadrer moi-même parce que j'ai vu tant de films où un mur se créait entre les acteurs et le réalisateur. Ce mur c’est la caméra, l’équipe et la technologie en général.

Avec des acteurs non professionnels comme Rowan et Marissa, j’avais besoin d’être toujours là avec eux. J'avais un oeil qui regardait à travers l’oeilleton de la caméra, l’autre directement sur eux. C’était très important pour moi d’avoir un contact visuel direct et permanent avec eux.


Quels sont les défis que vous n’aviez pas anticipés ?


C’était épuisant pour moi de cadrer : la Panavision est une camera très lourde, je tournais caméra à l’épaule, dix heures par jour, sous 46 degrés à l’ombre… Je ne pouvais jamais me relâcher, ce qui est une bonne chose en un sens. Tout devait être pensé au plus juste, à l’essentiel. Nous avons tout préparé au maximum afin que la liberté soit préservée au moment du tournage.


Qu’est-ce qui vous a amené à travailler avec des acteurs non professionnels ? Comment les avez-vous dirigés ?


Je savais depuis le départ que je travaillerais avec des non professionnels. Je voulais des enfants provenant de la communauté qui apporteraient leur savoir au film. Certains pensent que les acteurs expérimentés sont plus sûrs mais je crois que si on trouve les bonnes personnes, qui quelque part possèdent ces personnages, c’est beaucoup plus rassurant.

Pour ce qui est de la direction des acteurs, nous avons tourné beaucoup de scènes sans répéter. Je les mettais en situation et les laissais se débattre avec la scène, ce qui donne ces performances brutes, sauvages, étranges parfois. Vous voulez faire une scène de noyade ? Prenez quelqu’un qui ne sait pas nager, faites tourner la caméra et jetez-le à l’eau… Ca paraît bizarre, mais ça marche.


Qu’est-ce qui vous a attiré chez Rowan McNamara ?


Sa coiffure… Quand Rowan est venu la première fois au casting, il avait une casquette de base ball. Je me suis dit « OK, il a une bonne tête, un bon petit corps de footballeur ». Quand je l’ai vu la deuxième fois sans sa casquette, avec ses cheveux fous, je me suis dit : « Oh mon dieu, cette coiffure est tellement cool ! ». En creusant un peu son histoire, je me suis rendu compte qu’il était exactement la personne à laquelle j’avais pensé en écrivant le scénario. J’ai pris des photos et je lui ai demandé d’avoir l’air en colère ou content et il l’a fait instantanément. Il était un peu comme une page blanche pour moi, une personne fantastique. Toutefois, j’ai parfois oublié que Rowan n’avait que 14 ans ! Je le traitais comme un adulte et il m’arrivait d’être agacé par certaines de ses réactions. En fait il était si intense que j’avais oublié qu’une journée de tournage peut être totalement épuisante pour un enfant de cet âge, qui n’économise jamais son énergie.


Pourquoi avoir choisi Marissa Gibson pour le rôle de « Delilah » ?


J’ai vu Marissa très tôt mais je pensais chercher autre chose. En retravaillant le scénario, j’ai compris qui était vraiment Delilah et Marissa est apparue comme une évidence. Elle a une force intérieure. Juste en s’asseyant et en discutant avec elle, vous savez qu’elle possède une générosité, un courage et une volonté hors du commun. Comme Delilah. C’était très facile et agréable de travailler avec elle. Elle a ce don incroyable de faire exactement ce que vous lui demandez, claire et précise. Tout l’inverse de Rowan qui est toujours sur la brèche (ce qui est excitant aussi !)


Parlez-nous de Mitjili Gibson.


Le personnage de Nana dans Samson & Delilah a été écrit pour Mitjili Gibson. J’avais déjà travaillé deux fois avec elle et sa présence m’avait chaque fois stupéfait. C’est un incroyable rayon de soleil, elle apporte cette vérité et cette réalité ! Mitjili ne sait pas lire et parle à peine l’anglais, ce n’était donc pas évident de la diriger, mais avec le temps et l’aide de Marissa (qui est sa petite fille), nous avons obtenu un résultat extraordinaire.


Vous avez choisi votre propre frère, Scott Thornton, pour jouer “Gonzo”.


J’ai écrit le rôle de Gonzo pour mon frère, parce qu’il est Gonzo ! Sous ce pont, fou comme un serpent blessé, alcoolique, disparaissant et réapparaissant. C’est mon frère. Nous avons passé un marché : il avait le rôle dans le film s’il faisait une cure de désintoxication. Il a souffert mais il y est arrivé ! Il a fait un boulot incroyable et il m’a beaucoup donné sur le personnage de Gonzo.


Vous avez tourné en équipe réduite. Etait-ce un choix ?


Kath, ma productrice, et moi savions dès le début que nous voulions une petite équipe. Nous avons choisi des gens motivés, très autonomes, autant pour leur engagement que pour leurs qualités techniques. C’est plus difficile pour l’équipe mais le résultat est bien meilleur, parce que chacun a pu comprendre, s’approprier le film et finalement lui apporter quelque chose de très personnel.


Pouvez-vous nous parler de la musique ?


Kath a là aussi fait un travail formidable. Je lui parle des musiques que je veux et elle se débrouille pour les trouver et négocier les droits ! On a Charley Pride, Troy Cassar-Daley, Ana Gabriel, qui sont des chanteurs très connus. Or toutes les chansons, leurs paroles, racontent les personnages à différents moments de leur vie, la musique est très importante pour eux, donc pour le film. Il y a aussi un peu de mon égo dans la musique… Je joue un peu de guitare et je voulais faire une partie de la musique pour le film. Kath m’a acheté un mac avec Garageband et m’a dit de me débrouiller. Ce que j’ai fait : il y a finalement quelques morceaux de moi dans le film et je n’en suis pas peu fier !


Une projection a eu lieu à Alice Springs avant la sortie. C’était important pour vous de projeter ce film là-bas en priorité ?


Ce n’est pas un film facile à voir, il est plutôt compliqué narrativement et ce qu’il raconte est dur. J’avais vraiment besoin que les miens voient le film en premier, qu’ils lèvent la tête et comprennent ce que je cherchais à dire. Leur montrer avant tout le monde était très important pour moi et terriblement angoissant. Ils m’ont étreint à bras ouverts.


Et un petit mot de la productrice du film, Kath SHELPER, au sujet de la sortie du film en Australie :


« Le film a été projeté pour la première fois en février 2009 au Festival d’Adelaïde, où il a décroché le prix du public. De là est parti un bouche à oreille extrêmement positif : il faut dire que c’est assez nouveau et excitant ici qu'un Aborigène réalise un film aussi accompli.

Nous avons aussi bénéficié d’un bon timing politique et social : début 2008 le nouveau gouvernement travailliste a pour la première fois présenté des excuses officielles aux Aborigènes pour les « générations volées » (occidentalisation et évangélisation forcées des populations aborigènes entre 1870 et 1970). Il existe depuis quelques années une prise de conscience croissante concernant la situation des Aborigènes. Ce que le film raconte pourrait être chargé d’une culpabilité assez difficile à supporter pour la plupart des Australiens : or au contraire nous avons senti que les gens étaient prêts aujourd’hui à s’engager pour que les choses et les regards changent.

Je pense que le film est tout aussi étranger pour la plupart des Australiens qu’il l’est pour le reste du monde. Ce qu’il décrit est très difficile d’accès pour la plupart d’entre nous. La mise en scène de Warwick donne accès à ce monde comme si on y était, au plus proche des personnages. Elle provoque une empathie qui nous permet de mieux comprendre, de nous identifier, de respirer cette culture, loin des clichés touristiques.

Beaucoup de spectateurs, hommes et femmes, jeunes et vieux, ont été profondément émus par l’histoire d’amour de Samson et Delilah et sont tombées amoureux du film, de sa poésie, de son économie de paroles. Le film est apparu comme quelque chose de différent, réaliste et romantique à la fois.

Deux semaines avant la sortie nous avons organisé une projection gratuite en plein air à Alice Spring : 2500 personnes sont venues ! Les premières critiques étaient excellentes et la rumeur a grossi au fil des nombreuses avant-premières. A sa sortie le film occupait toutes les conversations : chacun se devait d’avoir une opinion, parfois sans l’avoir vu ! Nous avons même reçu le soutien de Baz Luhrmann ! Juste après nous sommes partis à Cannes avec Rowan et Marissa et Warwick a reçu la caméra d’or : le film est devenu trésor national !

Le succès du film nous a totalement dépassé : nous avions prévu une sortie sur une dizaine de copies, nous avons du monter jusqu’à 40 ! »


Samson & Delilah a rencontré un succès public considérable lors de sa sortie en salles en Australie, devenant le plus gros succès de l’année pour un film australien, avec plus de 3M$ au Box office. Sur les 3 dernières années, il arrive en troisième position derrière Australia de Baz Luhrmann et Happy feet, avec un budget évidemment bien inférieur...

Commentaires

1. Le dimanche, novembre 22 2009, 14:20 par Jeremy

Juste un petit mot pour remercier toutes les personnes présentes à la projection en avant-première du film ce Dimanche matin. Ca a d'abord été un plaisir de revoir ce film qui est vraiment magnifique, et puis ça a été un vrai plaisir d'en discuter avec vous. Votre enthousiasme, votre gentillesse et vos remerciements m'ont fait chaud au coeur... Ce fut un moment bien différent de celui vécu à Cannes, mais ce fut un très beau moment aussi... Décidément, ce film nous réserve de belles surprises.
Alors du fond du coeur, merci à tous !