Utopia sur les bancs d'infamie… (3e épisode)

Proces-Avignon-2.jpgC’est lundi 15 février qu’Utopia Avignon comparaissait devant le tribunal correctionnel, assigné par l’Association Culturelle Juive des Alpilles (ACJA) pour « incitation à la haine raciale et injures publiques » pour le texte paru dans les gazettes d’Avignon de juillet et août à propos du film Le temps qu’il reste (voir les épisodes précédents). À l’heure dite, une petite foule se pressait devant le Palais, et la salle d’audience prévue s’avérant trop petite, on ouvrit la salle des Assises pour tenter d’accueillir tout le monde… dans le remue ménage que cela provoqua, on entendit un spectateur rigoler « ainsi donc, Utopia aurait commis un crime ? ». la grande salle s’avéra encore trop petite et beaucoup durent attendre dehors. Me Levy fit forte impression et rappela que le film avait été vu et la gazette lue durant tout le mois du festival d’Avignon sans qu’aucune réaction d’hostilité ne soit manifestée, jusqu’à la parution de l’article de Yann Moix dans le Figaro Une utopie pourrie le 18 août, qui vint mettre le feu aux poudres des Alpilles. Les membres de l’ACJA, rendus tout à coup sûrs de leur bon droit par le simple fait de voir imprimé dans leur journal favori des phrases que le CRIF, légitimait de surcroît à leurs yeux en les reprenant sur son site internet, virent tout à coup en Utopia « le visage nouveau de l’antisémitisme contemporain : celui des babas-cool cinéphiles et idiots, qui définissent une manière inédite de vouloir en finir avec tout ce qui est juif. »

Me Levy avant de plaider sur le fond, aborda la question de la procédure et insista sur les points de droit qui frappaient, selon lui, de nullité l’action intentée… soulignant qu’une simple réaction émotive ne suffisait pas pour justifier que l’on traine les gens devant les tribunaux sans avoir de raisons réelles et sérieuses « c’est une façon inquiétante de faire du droit »… La procureur plongea dans ses bouquins rouges et confirma la légèreté du dossier. Après avoir entendu l’avocate de la partie adverse, juges, procureur, greffiers, suspendirent alors l’audience pour délibérer et revinrent quelques instants plus tard pour annoncer qu’il n’était pas besoin de plaider davantage et que les actions intentées par l’ACJA étaient jugées « nulles et irrecevables » sous un tonnerre d’applaudissements…

L’ACJA dispose de dix jours pour faire appel. Mais le deuxième acte va se jouer à Paris le 23 mars à 14h à la 17e chambre correctionnelle du TGI. Là, ce sont tous les Utopia qui assignent Yann Moix et son journal Le Figaro pour le texte injurieux publié le 18 août. Vous avez pu le lire dans la gazette N°162 (si vous ne l’avez pas eu tapez « Une Utopie pourrie » sur un moteur de recherche et si vous n’avez pas internet, vous pouvez nous le demander).

Pour que le débat au fond existe tout de même à Avignon, l’équipe d’Utopia organise une soirée le 27 avril autour du livre de Michel Dreyfus L’antisémitisme à gauche, histoire d’un paradoxe de 1830 à nos jours, en présence de Michel Dreyfus, l’association Culturelle Juive des Alpilles étant bien cordialement invitée à participer. La veille, Michel Dreyfus viendra à Ombres Blanches, puis à Utopia à Toulouse.

Vous êtes nombreux à réagir un peu partout, dans toutes les villes où Utopia se trouve. Merci à tous d’être si attentifs et d’enrichir ainsi la réflexion. Le texte qui suit est la réaction de l’UJFP (Union Juive Française pour la Paix) à un texte de l’AMJHL (Association Montpelliéraine pour un Judaïsme humaniste et Laïque), ainsi qu’à une lettre envoyée par les mêmes au cinéma Diagonal, autre salle d’art et essai de Montpellier pour avoir donné la parole au CCIPPP (Campagne Civile internationale pour la Protection du Peuple Palestinien). L’AMJHL reprochait, entre autres à Utopia d’avoir écrit, toujours à propos du film Le temps qu’il reste « alors que musulmans et chrétiens coexistaient depuis quelques millénaires avec la minorité juive » et répliquait : « c’est faux, pour les chrétiens, avez vous oublié les croisades ? C’est faux pour les juifs qui ont toujours été considérés comme des inférieurs (dhimmis) en terre d’Islam, etc. »

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Au président de l’AMJHL

Nous venons de prendre connaissance des courriers que vous avez adressés aux cinémas Utopia et Diagonal. Effectivement, il y avait urgence dans le paysage politique et audiovisuel français actuel, à interpeller ces deux groupes de cinémas indépendants, connus pour les dangers objectifs qu’ils font peser en France sur la démocratie et la laïcité. Nous ne pouvons que vous féliciter chaleureusement pour votre vigilance sans faille. Attaquer Utopia parce qu’il condamne sans équivoque la politique israélienne d’aujourd’hui et parce qu’il fait remarquer qu’heureusement il y a eu dans l’histoire des périodes autrement plus fécondes de relations entre juifs musulmans et chrétiens, ne nous semblait pas scandaleux et même assez près du bon sens et de la réalité vérifiable sur le terrain. Les arguments que vous utilisez par contre ne nous paraissent pas répondre à ce que l’on pourrait attendre d’une association pour un Judaïsme Laïque et Humaniste.

D’ailleurs, puisque vous semblez soucieux d’exactitude, vous traduisez mal le terme de dhimmi qui ne signifie pas « inférieur » mais « protégé ». Le dhimmi était certainement un statut inférieur accordé aux minorités et pas seulement aux juifs, mais il avait pourtant le mérite de les protéger dans le monde musulman et il constituait un progrès sur la violence des relations non règlementées. Si l’on se réfère au sort des juifs d’Europe et de Russie pendant la même période, nul doute que le statut de dhimmi était plutôt bienvenue. Cette idée que les juifs du monde arabe auraient vécu une persécution comparable à celle des juifs d’Europe constitue une manipulation évidente de l’histoire, destinée à justifier l’expulsion des Palestiniens en 1948. Elle est d’ailleurs peu reprise dans le monde séfarade.

Vous évoquez les massacres de juifs en Palestine et lorsqu’on arrive aux 700 000 réfugiés de la Nakba vous vous offusquez. Pourtant cela aussi est un fait, comme le massacre, hier de 1500 hommes et femmes à Gaza. N’avez vous donc rien à dire aujourd’hui là-dessus ?

Vous affirmez : « C’est vrai, les juifs sont en Palestine depuis quelques millénaires, ce que de trop nombreux palestiniens ne reconnaissent pas, merci de le rappeler ». Pourtant, et c’est aussi un fait, ce qui a mis les juifs en danger c’est précisément l’arrivée des sionistes et le début de la dépossession, la création de l’État d’Israël et l’expulsion avec la destruction de plus de 500 villages, puis l’occupation, la colonisation et les crimes de guerre. Et sur tout cela, vous n’avez rien à dire ?

Vous trouvez nécessaire de défendre le gouvernement le plus extrémiste de l’histoire d’Israël avec un Liberman « démocratiquement élu » et vous n’évoquez pas le nombre d’élus palestiniens emprisonnés arbitrairement par Israël. Le Hamas lui aussi a été démocratiquement élu et l’AJHL ne peut ignorer que les sanctions que subit le peuple palestinien pour avoir voté sont bien plus lourdes que la colère exprimée par Utopia sur Liberman. Nous ne pouvons que regretter votre lourd silence sur ces faits là. Alors que le petit Utopia vient d’être attaqué à Avignon par deux associations communautaristes pro-israéliennes, pour avoir librement critiqué la politique israélienne, le Judaïsme humaniste et laïque que vous prétendez représenter à Montpellier utilise les mêmes arguments de ces officines pro-israéliennes adeptes du choc des civilisations, dont le travail est d’interdire toute parole critique sur la politique israélienne…

Votre indignation, nous vaut un second courrier au cinéma Diagonal. Car enfin au cinéma, comme dans les médias, on ne donne pas suffisamment la parole à Israël, c’est bien connu. Du coup, il faut donc un certain goût du risque pour aller ainsi à contre courant et reprocher à Diagonal de donner la parole régulièrement à la Campagne Civile Internationale pour la Protection du Peuple Palestinien (CCIPPP) qui se mobilise pour plus de justice sur cette question. Vous interrogez à juste titre sur l’intérêt très suspect pour ce conflit, il y en a bien d’autres en effet, et vous stigmatisez sans outrance aucune « les propos outrageusement simplificateurs, haineux même et les contre vérités assénées par son président » et puis curieusement vous donnez vous même la réponse à la question que vous posez : « sur un sujet qui peut ici en France aggraver les tensions et favoriser la violence et le racisme. » Mais oui, en France et dans le monde entier d’ailleurs, il y a bien un intérêt particulier porté à cette question et qui peut justifier que l’on s’attache, en cinéma citoyen, à faire entendre aussi d’autres points de vue que ceux du CRIF, de Finkielkraut, d’Avocats sans frontières, ou de l’UPJF (l’Union des Patrons Juifs de France) par exemple. Sans parler du fait que Montpellier se trouve au coeur de l’affaire AGREXCO dont Georges Frèche, vous ne pouvez l’ignorer, veut imposer l’installation à Sète.

Votre sens de l’équilibre et de la justice vous a d’ailleurs surement poussé à entrer activement dans la bataille du refus. Pas de diffusion des fruits de la colonisation par Sète ! Pas de profit de l’occupation en France ni en Europe !

Par contre, il serait utile de préciser votre pensée, afin que tout sous-entendu malveillant en soit balayé. « Violence et racisme » envers qui ? Ne pensez-vous pas, Monsieur le président, en juif humaniste et laïque que vous êtes, que la justice est le meilleur remède à la violence au racisme et à la haine ? Et que c’est l’intimidation et le silence que vous tentez d’imposer à des cinémas courageux et sincères qui est fauteur de violence et de racisme. Le slogan palestinien repris par le mouvement de l’immigration des banlieues (MIB) il y a des années, dit : « pas de paix sans justice » ! Que ce slogan ne puisse être juif, laïque et humaniste aujourd’hui est, hélas pour nous, un véritable drame.

Pour l’UJFP, Michèle Sibony et André Rosevègue, co-présidents, Valérie Cabanne, Montpellier.

Texte de l’AMJHL (Association Montpelliéraine pour un Judaïsme humaniste et Laïque)

Nous réagissons à la lecture de ce que les cinémas Utopia publient sur le film le temps qu'il reste. En effet, ce texte dépasse largement la présentation ou la critique d'un film et s'apparente en fait à un article extrêmement polémique qui, non seulement use de la simplification, voire de la falsification, mais qui en outre, dans un esprit curieusement religieux, n'hésite pas à manier l'anathème.

En voici quelques exemples : « alors que musulmans et chrétiens coexistaient pacifiquement en Palestine depuis quelques millénaires avec la minorité juive ». C'est faux pour les chrétiens : avez vous oublié les croisades ? C'est faux pour les juifs qui ont toujours été considérés comme des inférieurs (dhimmis) en terre d'Islam. Voir également, les affrontements meurtriers entre Arabes et Juifs en 1909 en Galilée, en 1921 à Jaffa, en 1929 à Hébron où est massacrée la vieille communauté juive. C'est vrai : les Juifs sont en Palestine depuis quelques millénaires, ce que de trop nombreux Palestiniens ne reconnaissent pas. Merci de le rappeler.

Un état « capable d'envoyer un transexuel à l'Eurovision tout en choisissant un ministre des Affaires Étrangères dont le racisme ferait passer notre borgne national pour l'Abbé Pierre ». Les faits : L'État d'Israël n'envoie personne à l'Eurovision. Les faits : le ministre actuel des affaires étrangères, effectivement raciste, a été nommé par un premier ministre démocratiquement élu par des citoyens qui ont tous le même droit de vote (c'est rare dans la région). Nous n'en regrettons pas moins cette nomination. Votre interprétation : Liebermann est pire que Le Pen qui devient donc acceptable et aussi gentil que l'Abbé Pierre qui lui, a été l'ami du négationiste Garaudy. Nous avons pour notre part une autre interprétation.

« 700 000 Palestiniens jetés comme des malpropres aux frontières… Au final un non-sens en guise d'État qui reste aujourd'hui schizophrénique […] dans une école juive où la lobotomisation sioniste des élèves filait bon train ». Votre message : Les Israéliens sont tous des dégueulasses et des malades mentaux de la pire espèce. Nous ne sommes ni des sionistes inconditionnels, ni des intégristes juifs qui prônent la Thora pour seule loi. Mais nous sommes navrés de lire un article aussi faux, mensonger et manipulateur sur un sujet qui peut, ici, en France, aggraver les tensions et favoriser la violence et le racisme. Nous pensons qu'il serait aujourd'hui préférable de rassembler l'opinion française autour des principes de la démocratie et de la laïcité plutôt que de faire le lit des fondamentalistes de tout poil qui ont compris, eux, l'utilité d'un front commun pour nous imposer leurs lois.

Le Président de l’AMJHL.

Commentaires

1. Le mercredi, mars 24 2010, 22:54 par mourin

tous les etats, les gouvernements et les personnages publics (hommes et femmes politiques, personnalités publiques...) peuvent etre librement commentés, voire critiqués. Je ne vois pas le probleme. Pourquoi cette suceptibilité "juive" ? pourquoi ne pas parler du racisme en israel? pourquoi ce tabou? merci de ne pas laisser un peuple se faire assassiner dans l'indifference generale, comme tant d'autres. Tout le monde a droit à la parole.

2. Le jeudi, avril 29 2010, 20:43 par vinciniglia

J'arrive pas à connaitre la décision du tribunal du 23 mars au final. Quelqu'un peut me renseigner? On est fin avril pourquoi n'y a t-il aucune info la dessus?
Merci.

3. Le vendredi, avril 30 2010, 22:10 par Rodolphe

Le procès que les salles Utopia intentent contre Yann Moix et Le Figaro devait avoir lieu à Paris le 23 mars, mais suite à la grève des greffiers, il a été reporté au 14 septembre, à suivre…