Cinéma et Histoire - ... Nicolae Ceauşescu

Si elle n'est pas estampillée comme telle dans la gazette, la programmation du film d'Andrei Ujică L'autobiographie de Nicolae Ceauşescu constitue le deuxième volet de la programmation « Cinéma et Histoire ». Le film est une somme, un travail considérable, à la démesure du héros de l'histoire. Il interroge le pouvoir de l'image ; le pouvoir par l'image. Le recul historique, une vingtaine d'années seulement après l'exécution du conducator, permet déjà de constater à quel point des images peuvent, vertigineusement, se retourner contre leur producteur.


Je crois que la mort de Ceauşescu est mon souvenir télévisuel le plus lointain. L'image d'un corps tombant d'un char. Si c'est bien cette image et si mon souvenir est exact, en cette fin d'année 1989, j'allais avoir six ans. Je dois bien l'avouer, l'histoire contemporaine de la Roumanie m'est restée, depuis, largement inconnue. C'est dire si les trois heures d'archives du film d'Anderi Ujica ont opéré avec tout l'abstrait et l'abrupte de la découverte d'un continent inexploré. Une telle entreprise est à ma connaissance inédite dans les champs conjugués de l'Histoire et du cinéma. Autoportrait d'un homme d’État dictateur à travers les images tournés pour sa propre propagande. Le corps du roi et toute l'entreprise mise au service de son pouvoir se retournent tout à coup contre lui. Ceaucescu.png

Ironie de l'histoire, Ceauşescu est pris à son propre piège. Ses images de propagande nourrissent désormais la critique historique. Il est enthousiasmant de constater à quel point les images, même les images d'actualité, ont une vie autonome de leur présent. Elles vieillissent et changent de sens indépendamment de la volonté et des intentions qui les ont vu naître. On a beau se battre pour la gloire, le temps a raison d'une telle quête qui se révèle vaine, voire ridicule. L'autobiographie que l'on souhaitait magnifique, se révèle cruelle. Elle devient une satire personnelle, impitoyable contre la politique totalitaire et le culte de la personnalité. La vieillesse rattrape le personnage qui fait tant et tant pour l'immortalité de son œuvre. On découvre dans les dernières images le gouffre de l'enferment dans la tout d'ivoire du pouvoir autoritaire. Plus dure en est la chute.

L'idéologie mêlée de la dictature du peuple et de la course au progrès, du nationalisme et de la politique de planification est battue en brèche par les propres images qui la servait alors. C'est un jeu de dupes. L'idéologie socialiste était véreuse, le rôle de la foule le montre assez par la culture du défilé et de la parade militaire. Ou alors, la leçon machiavélique serait que le peuple est impitoyablement versatile... On ne peut s'empêcher de penser à quelques figures contemporaines, les mégalomanies respectives des Ben Ali, Khadafi voire Berlusconi trouvent sans doute ici un miroir digne de leurs vanités.

On ne voit certainement pas le même film si l'on voit ces images, ou si on les revoit. La connaissance plus ou moins pointue de l'histoire de la Roumanie et de l'Europe de la deuxième moitié du vingtième siècle rendra la vision du film plus ou moins abstraite. Il me semble clair qu'une vision vierge de toute connaissance minimale rendra la lecture des images un tantinet surréaliste. Cette tonalité étant de toute façon présente dans la succession de ces plans d'archives et dans l'effet accumulatif suscité. Même à trente ou quarante ans d'intervalles, on peut juger de l'absurdité de certaines situations à travers les images qui en témoignent aujourd'hui. Le film est un strict montage d'archives, assumant le caractère brut et déconcertant que cela suppose.

L'austérité du film est la conséquence du parti pris de laisser les images parler d'elles-mêmes. Sa radicalité réside dans le choix des archives agencé par un montage qui, en permanence, va à l'essentiel. Pas d'effets narratifs, pas de clins d’œil, pas d'adresse complice au spectateur. Les effets de narration sont réduits à minima. Pas de voix-off, pas d'informations pour contextualiser les images, ni pour identifier les personnages et les situations. La totale confiance dans les images et dans ce qu'elles racontent est à double tranchants. La démarche documentaire et historique s'en trouve confortée. Il y a une forme d'intégrité dans l'effacement total de l'auteur au profit de son sujet. A charge des images compilées de parler d'elles-mêmes de la mégalomanie du personnage.

En revanche, cette façon de raconter l'histoire implique l'aridité de la lecture et la durée du propos. Le spectateur est livré lui-même aux événements qui ne sont jamais décrits pour faire du sens.

La rigueur chronologique de l'ensemble subit une seule exception : le film s'ouvre et se clôt sur les dernières images du couple Ceauşescu avant son exécution, sa comparution devant le tribunal autoproclamé, le 25 décembre 1989. Puis le générique crédite enfin la galerie des personnages historiques que l'on a vu défiler comme autant d'acteurs ayant joué leur propres rôles. Comme-ci tout cela relevait d'une vaste farce... vertigineuse réalité, cette vaste farce est l'histoire politique de la deuxième moitié du vingtième siècle.

Ce film est important et rare, ne le manquez pas ! Sa durée le rend difficile à programmer, je présume que vous aurez du mal à le voir en salle en dehors des séances programmées :


à Toulouse :

jeudi 12 mai à 13h40

samedi 14 à 16h50

dimanche 15 à 11h (4 euros)

lundi 16 à 20h15

mardi 17 à 14h10

mercredi 18 à 15h40

vendredi 20 à 20h50

dimanche 22 à 10h30 (4 euros)

lundi 23 à 15h50

mercredi 25 à 14h

vendredi 27 à 16h10

samedi 28 à 11h (4 euros)

lundi 30 à 20h


à Tournefeuille :

jeudi 2 juin à 21h

lundi 6 juin à 19h30


Petit rappel enfin, « Cinéma et Histoire » est une initiative naissante qui a vocation à être la plus interactive possible. Si vous avez des envies et des idées de films et de thèmes, n'hésitez pas à nous en parler, à la caisse du cinéma ou via le présent blog.

A bientôt