Les contes du chaos

zone libreSamedi dernier pour l’ouverture du festival Origines Contrôlées, la scène de la bourse du travail s’est enflammée au son électrique de Zone libre, et aux rimes uppercut de Casey vs B-James. On ne peut pas dire que le mariage incestueux du rock et du rap soit nouveau, on se rappelle de Run DMC et Aerosmith, comme des Svinkels et surtout la fusion de Rage against the machine, pilotée par le phrasé de Zach de la Rocha et le son métal de Tom Morello. Mais là je dois bien avouer que quelque chose s’est passé. Le projet Libre Zone ce n’est pas moins que les guitares acérées de Serge Teyssot-Gay (ex-Noir Désir) et de Marc Sens (guitariste de Yann Tiersen). Leur rock y est prodigué en urgence avec quelques expérimentations un peu noises signées par Marc Sens. Cyril Bilbeaud (ex-Sloy) y tient les baguettes. Puis bien sûr  Casey, la bête androgyne qui s’impose dans un milieu très testostérone, avec à ses côtés B-James, son complice d’Anfalsh.

Marginaux, le rock qui grince et les mots énervés, ils ont « croisé dans le bordel leurs deux musiques entre elles, gros bâtard de guitare et de cités-dortoirs ». Et putain, ça fait du bien. Libre Zone, porte-étendard des minorités brûlées par le bitume de la cité, histoire de leur trouver une géographie où exister. Ce qui surprend sur scène, c’est cette dimension mélodique qui laisse habilement un espace aux chanteurs, aussitôt suivi par des solos ténébreux où les MC s’effacent. Deux mondes donc, indépendants, qui s’abreuvent de leurs énergies mutuelles. Le langage est concis comme lorsqu’il s’agit d’abattre E.L.S.A cet Engin Léger de Surveillance Aérienne que les uniformes bleus utilisent pour payer les prostitués informatiques telles Edvige, Christina ou Ariane.

Casey éructe et aborde le racisme, les violences policières et le passé coloniale de la France, Casey osons le, Poète. Les origines martiniquaises de Casey croisent évidemment celles d’Aimé Césaire, elle se réclame également de cette négritude qu’il revendiquait. « La poésie est une insurrection contre la société » Ces paroles d’Aimé Césaire résonnent comme cette colère créatrice qui ne s’endort pas dans l’acceptation et la résignation. Ce soir-là, Casey et Zone Libre nous ont annoncé leur dernier concert ensemble, mais ils laisseront, j’en suis certains quelques éclats sur ce chemin vertueux qu’ils ont tenté de tracer, car leur projet est peut-être ce qui est arrivé de meilleur depuis quelques années au rock et au rap français. Voilà une bande originale parfaite pour une révolution des regards. Zone libre et Casey c’est peut être fini, mais il vous reste encore quelques jours pour participer à Origines Contrôlées, un festival nécessaire s’il en est un qui place les questions des discriminations, des expressions des habitants des quartiers populaires au cœur des préoccupations de la vie citoyenne et où y résonnent toujours les vers de Césaire « J’accepte mes origines mais que vais-je en faire ? ».