Face au fascisme, un seul remède : apprendre à découvrir l'autre

Clément MéricTexte écrit par nos camarades de Saint-Ouen l’Aumône, à paraître mercredi dans leur prochaine gazette :

Face à la mort tragique et absurde de Clément Méric on aurait tant aimé juste se taire et rendre hommage au jeune homme en silence. Juste admirer et respecter ce petit brestois qui, à 18 ans, avait déjà mené un combat victorieux contre la maladie et qui, avec une force de vie incroyable, s’était engagé à fond dans le syndicalisme et le combat antifasciste. On aurait aimé avoir simplement chez toutes et tous la réaction simple et humaniste du sénateur UDI Yves Pozzo di Borgo, qui s’est effondré en larmes sur le plateau de LCP, bouleversé par le destin d’un garçon qui s’était engagé en politique. Et comme l’a dit cette homme de droite sans parti pris, « il y a rien de plus beau que de s’engager en politique ». Ça aurait du être à travers les médias, dans le débat politique et dans tout le pays, la seule réaction décente à avoir face à ce drame.

Malheureusement ça ne s’est pas passé comme ça. Chacun, sans attendre les résultats de l’enquête, y est allé de son analyse et s’est répandu sur les plateaux de télévision : certains spécialistes autoproclamés de l’extrême droite et de l’antifascisme nous ont expliqué que la confrontation entre groupes d’extrême-droite et d’extrême-gauche (chacun ne sachant pas réellement définir cette dernière) était rituelle et qu’en gros la mort de Clément n’était qu’un dommage collatéral qui devait finir par arriver. D’autres (notamment iTélé) ont donné table ouverte à Serge Ayoub, leader des Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires, dont seraient proches les agresseurs, le laissant dire que le ou les meurtriers de Clément s’étaient retrouvés en état de légitime défense. Quand on voit la corpulence de Clément, qui pesait à peine 60 kilos, on aimerait en rire si ce n’était pas si tragique. Des médias qui ont juste omis de rappeler le parcours de Serge Ayoub qui, dans les années 80, jouait le gourou des skins fachos sous le pseudo de Batskin pour son utilisation très fréquente de la batte de base ball, et qui fut condamné par la suite pour des agressions (dont une sur Karim Diallo devant les caméras de la Cinq) et pour trafic de stéroïdes. Un gars dont les lieutenants Régis Kerhuel et Joël Giraud assassinèrent un malheureux juste coupable d’être noir en lui faisant ingurgiter de force de la bière empoisonnée avant de le jeter à la mer. Des médias qui se battent également pour les interviews d’Alexandre Gabriac, sinistre conseiller régional de Rhones Alpes exclu du FN pour avoir posé sur des photos en train de faire le salut nazi. Pourrait-on imaginer, dans le cas d’une agression commise par des islamistes radicaux, qu’un mollah extrêmiste vienne se balader comme si de rien n’était dans les médias, pour justifier ou minimiser les actions de ses fidèles ? Deux poids, deux mesures ?


« Batskin » (Serge Ayoub) dans les années 80

Ce que révèle ces réactions, c’est la banalisation des idées de l’extrême droite, même la plus radicale, assortie d’une minimisation du phénomène. Minimisation parce qu’à côté de la mort de Clément, on feint d’oublier, notamment dans la dynamique de la Manif pour Tous, une augmentation considérable des agressions commises par des groupuscules fachos. A Lyon, territoire particulièrement frappé par leur influence, on comptabilise en un an 39 agressions et 500 jours d’ITT occasionnées. Dans la foulée des débordements de la Manif pour Tous, on a vu également l’agression et le saccage d’un bar homo à Lille, mais aussi plus près de nous à Argenteuil, une jeune fille voilée de 17 ans qui a été battue aux cris de « sale Arabe ». Mais au-delà des faits de violence en recrudescence, il y a et pas uniquement à l’extrême droite, une banalisation des idées xénophobes ou homophobes. Au « Local » de Serge Ayoub, dans un gloubiboulga idéologique qui rappelle celui des années 30/40 (quand Doriot passait du PC au PPF et Déat de la SFIO au pétainisme), se croisent chevènementistes anti régionalistes, partisans d’une laïcité virant à l’islamophobie, chanteurs qui se prennent pour des druides rêvant d’une Europe païenne, et contrairement à ce qu’elle dit, Marine Le Pen, qui y fit un tour en 2008. Mais au-delà, quand Valls dit qu’implicitement les Roms volent par nature, il ne que fait cautionner la haine de ce peuple, et apporte une légitimité à ces élus qui disent « comprendre » les milices d’habitants qui saccagent les camps de fortune. Quand Jean-François Copé appelle à la dissolution à la fois des groupes d’extrême droite et d’extrême gauche il pratique un amalgame qui conduit à la normalisation des idées fascistes. Quand la gauche, sa presse, pratique les raccourcis islamophobes sur le voile, sur le sexisme présumé ou la délinquance des jeunes issus des quartiers populaires, elle ne fait que conforter les petits skinheads en herbe qui se disent que finalement leurs idées sont bien partagées.

Et ce n’est pas en dissolvant les groupuscules qu’on achèvera la bête. La seule solution, c’est bien de ne laisser passer aucune complaisance idéologique avec les idées de l’extrême droite et les dénoncer, qu’elles viennent de Valls, de Copé ou de Serge Ayoub. Et surtout se battre pour que chacun apprenne à comprendre celui qui est différent, et le cinéma nous y aide grandement. Allez voir Aya de Yopougon, formidable dessin animé inspiré d’une BD à succès qui nous emmène dans l’Abidjan des années 70. Et surtout Bambi de Sébastien Lifschitz, le réalisateur du génial Les Invisibles, portrait d’une formidable dame transexuelle de 75 ans, remède définitif à l’homo et la transphobie.