Le foot d’en bas

C’est un petit village perdu en Ariège, à deux encablures d’Ax-les-Thermes. Luzenac, 600 habitants, une petite commune comme il en existe, paraît-il, 37 000 dans l’hexagone. Rien d’original donc à première vue, sauf que celle-ci cumule sans complexes trois étrangetés qui nous obligent, ce jour de l’an de grâce 2014, à nous pencher sur son cas. La première, que l’on peut encore trouver dans quelques milliers de communes rurales du pays, ne justifierait sans doute pas que l’on cause du patelin. Il s’agit d’une boucherie-charcuterie dans laquelle on peut encore se fournir en produits aimables du terroir pour échapper à la malédiction du développement exponentiel des supérettes Carrefour bien fournies en produits mondialisés qui poussent désormais dans nos villes comme dans nos campagnes comme autant d’amanites phalloïdes. La seconde est la présence sur son territoire d’une carrière de talc, un truc rarissime dans nos contrées qui permet de poudrer les fesses roses de bébé, pour calmer les irritations cutanées.

Mais c’est surtout la troisième qui focalise aujourd’hui la curiosité. Bon, je sais, je sais… quand je vais vous dire de quoi il s’agit, vous allez, en bon spectateur-trice d’Utopia, vous rétracter comme une huitre sous l’effet d’un filet de citron. Je vais en effet, Dieu me pardonne, vous parler de football. Je sais, certes, que le foot ce n’est pas votre tasse de thé et encore moins depuis qu’il se caricature lui-même au sommet en pompe à fric. Mais ce qui arrive à ce petit village et à son club de foot est si révélateur du mépris dans lequel on tient les pauvres et de la guerre impitoyable qui leur est faite aujourd’hui qu’il importe de vous raconter cette histoire. Il faut d’abord vous dire, pour vous mettre au parfum, que notre football hexagonal est organisé depuis toujours selon un ordre aussi immuable que la course du soleil dans le ciel et que deux guerres mondiales elles-mêmes n’ont pu modifier, malgré les sillons sanglants laissés chez les adeptes du jeu de baballe. C’est dire donc si certains principes de ce sport paraissent gravés dans le marbre…

Il y a donc en gros trois divisions d’une vingtaine de clubs chacune, suivies d’une myriade de divisions inférieures au sein desquelles concourent des petits clubs qui accueillent des centaines de milliers de sportifs, du plus petit poussin au cul encore talqué au senior le plus enrobé. Une belle jeunesse qui, au terme de chaque saison dans sa division respective, ne rêve que de parvenir à grimper d’un cran dans la division supérieure selon la dure et belle loi du sport… On se doute, bien sûr, que parvenir en première division pour jouer face au Paris Saint-Germain, propriété d’un fond de pension du Qatar, ne sera jamais à la portée du petit club de Trou-la-plage dans le Calvados, qui ne peut guère compter en terme de budget que sur la buvette et une petite subvention municipale pour distribuer trois sous à ses joueurs. Sauf que, chers spectatrices-teurs, dans cet ordre apparemment inébranlable des choses où les riches échangent avec les riches et où les pauvres bricolent gentiment dans leur coin, quelque chose, la saison sportive passée, s’est déglingué pour produire l’impensable, l’obscène même, pourrait on dire : Luzenac, 600 habitants, une sorte de cousin ariégeois de Trou-la-plage dans le Calvados, après avoir forcé les portes il y a quelques années de la troisième division, s’est retrouvée cette année, à la surprise générale, en tête du championnat à forcer les portes de la deuxième division. Luzenac, sa tribune abribus en tôle ondulée, sa pelouse mitée et ses joueurs au salaire indexé sur la moyenne nationale, propulsée dans l’élite professionnelle des villes moyennes, voire de certaines métropoles.

Intolérable… intolérable pour les instances nationales du foot qui, depuis la promotion de nos Ariégeois, ont multiplié les obstacles pour leur barrer la route de la division supérieure à travers un dédale de normes et de contraintes bureaucratiques impossibles à assumer pour un si petit club. Avec succès, semble-t-il, puisque le LAP (alias Luzenac Arièges Pyrénées) vient de se voir officiellement notifier l’interdiction de jouer en deuxième division, mais aussi en troisième division, d’où ils viennent, pour être sans doute tout à fait certains de les voir enfin disparaître des registres. Les joueurs, coupables seulement d’avoir été trop bons et trop professionnels, vont dès cette semaine pointer au chômage. On voit donc de quel message paradoxal et cruel est porteuse aujourd’hui la République et ses institutions. Si vous êtes pauvre et sans dents, on pourra toujours, quoi que vous fassiez et quoi qu’il arrive, vous remettre à votre vraie place.

Puisqu’on est en Ariège, restons-y. On connaît notre aversion pour le nucléaire et nos centrales vieillissantes qui finiront bien, hélas, par nous péter à la gueule. Est-ce une raison pour vouloir nous faire prendre en grippe les panneaux solaires ? À Domazan sur Arize, en Ariège donc, vingt hectares de prairies et de bonnes terres agricoles vont se voir recouvrir de centaines de panneaux solaires, alors que les paysans sans terre se multiplient en Ariège comme au Brésil. Il ne manque pourtant pas de surfaces bétonnées ou de toitures de supermarchés ou de multiplexes, privés ou publics, pour recevoir ces gentils miroirs. Qu’en pensent nos amis Verts ?