La nouvelle vie d'Utopia Toulouse

C’est un passage de relais : le moment sacré où se transmet cette petite flamme dont on dit qu’elle fut dérobée à Zeus… et qui permet à ceux qui la possèdent de faire durer les plus belles histoires longtemps, longtemps…

Il était une fois… C’était le 17 Décembre 1993, Utopia prenait place dans l’ancien Rio à bout de souffle et, après avoir planté quelques balustres dorées, rénové tapisseries et fauteuils, ajouté quelques tableaux récupérés à la salle des ventes et diffusé abondamment la petite gazette dont vous êtes gourmands, prenait un envol qui surprit tout le monde. Les 443 fauteuils du Rio – qui recevait péniblement 45 000 spectateurs chaque année et s’apprêtait à déposer le bilan – accueillirent dès leur première année sous la banière d’Utopia 245 211 fessiers enthousiastes, de quoi laisser baba une profession d’un naturel plutôt pessimiste qui célébra bientôt Utopia Toulouse comme la meilleure salle française avec un taux de fréquentation qui la plaçait alors juste après UGC-Ciné Cité les Halles, le géant parisien qui venait d’ouvrir ses 23 salles un an plus tôt, et ce malgré une programmation subjective et sans concession qui sélectionnait obstinément ce qui lui semblait être le meilleur du cinéma, ignorant les films les plus « porteurs ». C’est ainsi qu’Utopia reçut plusieurs fois les trophées du Film Français et quelques autres signes de reconnaissance toujours bienvenus lorsqu’il s’agit de confirmer au Crédit Coopératif et à l’IFCIC qu’ils avaient eu raison de nous accorder leur confiance, malgré une situation financière si peu flamboyante que les autres banques nous avaient claqué leur porte au nez. Dès lors, les entrées ne cessèrent de croître, limitées souvent par la petite capacité des salles, jusqu’au jour où l’élue à la culture de Tournefeuille, fatiguée de ne pouvoir accéder à nos séances toulousaines, vint nous suggérer de poser notre impedimenta dans sa petite ville selon une formule qui garantissait à la commune de ne rien avoir à débourser ni en investissement, ni en fonctionnement.

C’est ainsi qu’en Mars 2003 naissaient les 4 petites salles de Tournefeuille qui, en permettant une répartition judicieuse de la programmation, accrurent encore le nombre de spectateurs pour Utopia tout en désengorgeant les salles de la rue Montardy. Les deux cinémas trouvèrent chacun leur allure de croisière en approchant à eux deux les 500 000 entrées annuelles équitablement réparties…
Les premières salles Utopia avaient émergé (difficilement) en 1976 en Avignon, bricolées sans le sou – mais toujours avec le soutien des spectateurs – dans l’obsession de parvenir à apporter une réponse alternative à une exploitation tenue en main par des industriels peu soucieux de diversité…
Après quelques dépôts de bilan liés à l’absence d’apport financier personnel et aux difficultés d’accès aux films, le petit réseau Utopia s’est enfin stabilisé quarante ans plus tard, tous emprunts soldés, sur six lieux qui réalisent, avec leurs 25 écrans et 2600 fauteuils répartis sur des sites très différents, autour de 1 300 000 entrées chaque année…
Dès l’an 2000, l’équipe fondatrice d’Utopia, blanchissant sous le harnais, a commencé à se poser la question de l’évolution future : qu’inventer pour qu’Utopia garde éternellement ses propriétés effervescentes sans jamais faiblir ? Comment créer de nouvelles salles sans devenir un « circuit » ? Quel type de gestion collective mettre en place pour que les subsides de la « communauté d’intérêts » créée entre les salles puissent accompagner d’autres projets ?… On cogita alors pour trouver la formule magique qui permettrait à chaque équipe locale d’avoir une gestion autonome tout en restant solidaire des autres, en participant à l’essor collectif et à la formation des nouveaux venus… Il s’agissait d’inventer le mouvement perpétuel pour qu’un savoir faire perdure et s’enrichisse en se transmettant des fondateurs aux arrivants qui s’engageraient eux-même à transmettre aux suivants…

Ce siècle avait un an… lorsque le processus de transmission a été amorcé : les Utopia d’Avignon et de Saint-Ouen l’Aumône passèrent alors aux mains de leurs équipes respectives, l’un sous forme de SARL, l’autre d’association… En prenant leur indépendance, chaque salle souscrivit alors à une charte, un contrat de solidarité. Le processus de transition engagé était certes passionnant mais ne nous satisfaisait pas totalement et nous allâmes chercher du côté de la forme coopérative qui nous semblait plus conforme à notre façon de fonctionner. Utopia Bordeaux ouvrit alors la voie il y a trois ans en passant aux mains de ses salariés sous forme de SCOP, suivi l’année d’après par Utopia Montpellier… tandis qu’Utopia Avignon et Utopia Saint Ouen progressent aussi vers une transformation en SCOP…
Mais l’évolution de Toulouse / Tournefeuille, rassemblés dans la même structure juridique, s’avéra plus complexe : une équipe trop lourde partagée en deux lieux séparés… les problèmes récents d’augmentation du loyer et de mises aux normes handicapés d’un bâtiment construit au xviiie siècle vinrent compliquer la situation d’Utopia Toulouse en rendant le navire particulièrement difficile à piloter par une équipe inquiète et en mal de cohérence…
Nous avons ainsi navigué à vue toute l’année, tentant de résoudre les problèmes les uns après les autres, doutant souvent, entourés de conseillers juridiques, comptables et architectes bienveillants, jusqu’à finir par nous rendre à l’évidence : pour que les deux lieux puissent croître et embellir dans la plus parfaite harmonie, il était préférable de les séparer.

« Small is beautifull », titrait l’édito du mois d’Août rappelant que l’avenir est à la déconcentration et non le contraire. Après moult cogitations, il nous fallut bien admettre que l’égalité prônée par le modèle SCOP (une personne, une voix) pouvait remplir pleinement son rôle à l’échelle d’un petit groupe, mais passé un certain seuil (dans notre cas plus de vingt salariés), la chose devenait plus compliquée. Le bon fonctionnement d’Utopia est en effet le résultat d’une alchimie complexe, faite d’un fort désir initial et d’un goût profond du contact avec les autres (les spectateurs en premier lieu), conforté par l’assimilation d’un savoir faire et la forte envie de transmettre une vision ouverte du cinéma… le tout acquis au fil d’un temps long sur un marché peu favorable et malgré des politiques qui depuis toujours s’ingénient avec constance à nous marginaliser. Dès lors, et dans un tel contexte, comment prendre à égalité des décisions alors que les niveaux d’expérience, de connaissance, de compétence et d’implication ne sont pas les mêmes, les objectifs diversement perçus et partagés, selon que les intervenants occupent des emplois complémentaires à leurs études et à temps très partiel ou qu’ils soient engagés à plein temps dans l’aventure Utopia depuis vingt ans ou plus ? Ne risquions nous pas de compromettre nos acquis en optant pour une vision un peu trop angélique des choses ?
On regarda ailleurs et ce qu’on y constata nous confirma dans notre réflexion : si les Utopia déjà transformés en SCOP fonctionnaient de façon harmonieuse, c’est qu’ils n’avaient pas dépassé la taille critique, que l’équipe était concentrée sur le même lieu et qu’un consensus pouvaient ainsi s’élaborer, progresser en se confortant.

L’important, après tout, était bien que les deux sites d’Utopia Toulouse et Tournefeuille continuent à vivre le mieux possible eu égard à l’engagement que nous avons pris auprès de nos spectateurs de ne pas limiter nos abonnements dans le temps, que les deux entités soient réunies dans la même structure juridique ou indépendantes l’une de l’autre, sous la banière d’Utopia ou faisant le choix légitime de se définir une nouvelle identité, qu’elles soient en SARL, SCOP ou association : l’essentiel est le facteur humain et la solidité de ses engagements. Une salle associative peut produire une programmation faisant une large place au blockbusters, une salle gérée en SARL peut au contraire défendre les films les plus exigeants de la diversité… Peu importait en définitive le flacon juridique, c’était la qualité du contenu et le sens qui nous semblaient essentiels à préserver.

C’est alors que deux membres de l’équipe de Toulouse ont fait un pas en avant et se sont mis à réfléchir à une proposition qui nous a tout de suite emballés (bon sang ! Mais c’est bien sûr…), renouant, non sans humour, avec le passé de la salle pour mieux maitriser son avenir, revenant aux fondamentaux et affirmant fortement des engagements qui relayaient les nôtres, leur insufflant un nouveau souffle, une nouvelle vitalité.
Annie et Jeremy… ils vous raconteront… mais depuis le temps qu’on travaille ensemble, on les a vus évoluer, apprendre, nourrir une expérience qui prend sa source dans le goût profond de transmettre à d’autres un cinéma qu’ils aiment, beaucoup, passionnément. Pas vraiment sûrs d’eux, parfois la trouille au ventre, mais portés par une conviction qui n’a jamais faibli pendant cette année pourtant pleine de rebondissements inquiétants, ils sont arrivés à convaincre tous leurs interlocuteurs : à commencer par notre expert comptable préféré, les responsables des autres Utopia, le Crédit coopératif, l’IFCIC… et bien entendu l’équipe de Toulouse qui s’est formée autour du duo qui va assumer la responsabilité juridique et financière.

American Cosmograph : C’est ainsi que le 15 Juin, Utopia Toulouse va débuter une nouvelle vie, sans rien renier de l’ancienne, retrouvant même le nom de ses origines… et on en est bigrement heureux. Les problèmes que nous avons évoqués dans les gazettes précédentes ne sont pas résolus, c’est un juge qui devra donner son point de vue sur le niveau du loyer à venir, et la situation n’est pas vraiment claire du côté de l’adaptation à l’accès handicapés… mais les jurisprudence et la logique jouent en notre faveur et nous avons confiance en ceux qui nous accompagnent et qui vont continuer à les accompagner, tout comme nous-mêmes d’ailleurs qui serons à leurs côtés autant que nécessaire.

Bien entendu l’équipe de Toulouse, que vous connaissez bien, sera soutenue par les équipes des Utopia des autres villes, restera en coordination constante avec Utopia Tournefeuille… et bientôt Borderouge ciné dont on attend le permis de construire, 3 salles et un petit bistrot sympa dans le quartier du même nom…

A ce moment de la lecture de l’édito, je sens poindre votre inquiétude et je vous rassure aussitôt :
LES ABONNEMENTS sont et seront toujours valables d’une salle à l’autre, les gazettes de l’une et les fanzines de l’autre seront disponibles dans chaque hall, et des échanges de pages permettront de porter encore plus loin l’information de chacune, les collaborations vont continuer de plus belle. Ce mouvement sera encore amplifié avec l’ouverture de Borderouge Ciné… mais nous n’y sommes pas encore.

ABONNEZ VOUS, RÉ-ABONNEZ VOUS ! La nouvelle équipe a besoin de votre soutien. Aidez la en achetant plein d’abonnements estampillés American Cosmograph : faites provision, offrez les en abondance… ils restent illimités dans le temps, se partagent à plusieurs, sont valables dans toutes les salles Utopia (et le seront à Borderouge Ciné)… ABONNEZ-VOUS, diffusez leur Fanzine, ce sera votre contribution pour que la transmission de cette salle que vous aimez soit réussie… et pour qu’Utopia aussi soit plus fort encore : continuez à pratiquer ardemment les jolies salles de Tournefeuille…