Journal de bord 10

Satané virus (ou les tribulations immobiles d’une projectionniste de Borderouge au chômage technique) : à vous, l’équipe du cinéma, à vous chers spectateurs.

Avant l’arrivée de ce satané virus, il me paraissait déjà bien compliqué de participer à l’ouverture de ce nouvel Utopia ce 12 Juin dernier. L’impatiente que je suis, n’arrivant pas à accepter qu’un lieu nouveau se crée un jour après l’autre, une chose à la fois et ce avec l’énergie de tout un chacun. Jusqu’à l’arrivée de ce satané virus, j’avais la sensation ingrate de ne pas… Ne pas allez assez vite, assez bien, ni avec assez de temps. 9 mois, que nous avons ouvert les portes de ce nouvel espace et lieu de vie, de rencontres et d’échanges. 9 mois, à ce qu’on dit, juste le minimum pour arriver à poser les bases d’un nouveau projet. À peine le temps de démarrer un début de quelque chose, que bim ! - ce satané virus vient nous stopper dans notre élan. C’est rageant.

Comme me l’a dit une membre fondatrice des Utopias il y a quelques années, « Un bateau doit braver les vagues et ne doit pas rester à quai ». Mais alors que faire de ce gros paquebot, à peine lancé et déjà à l’arrêt ? Que faire de ce temps suspendu, pour nous tous qui vivons et travaillons dans un cinéma toujours en mouvement ? Notre boulot, choisir les films avec passion (programmer), vous les amener et les accompagner dans la salle (animer), fabriquer la Gazette qui sera aussi notre lieu de partage (écrire, mettre en page, décider des horaires…), et puis le plus important, tenir le cinéma propre et rutilant, être aux petits soins pour les projecteurs, tenir chaque jour la billetterie… Car chacun à son rôle parfois multi casquette, oui nous tous que vous trouvez à l’accueil chaque jour de nos cinémas. On fait parti d’un tout, cohérent et réfléchi. Comment faire lorsque tout est à l’arrêt ? Tout le monde, vous comme nous, est confiné chez soi alors qu’on ambitionne de faire vivre un lieu de rencontres et d’échanges. Alors à ce moment là, le projectionniste n’a qu’une seule envie, celle de prendre sa plume et de se jeter à l’encre. Pour garder ce début de lien, ce contact.

Spectateurs, et vous collègues du cinéma, m’êtes indispensables pour continuer, maintenir ce lien précieux qui a commencé à se tisser en quelques mois. Le cinéma peut être un cocon, une bulle dans laquelle s’enfermer. En témoigne la multiplicité des offres de visionnements de films « à la maison » que le confinement fait émerger, la consommation solitaire de produits présentés à l’étal d’une foule de « plateformes » au milieu desquelles on est bien en peine de voir émerger des alternatives aux productions manufacturées, standardisées. Mais tel que nous le vivons, salariés et acteurs des Utopias, c’est d’abord une ouverture sur le monde, sur l’autre, sur ce que l’on ne connaît pas. C’est également la possibilité de découvrir, d’autres langues, d’autres cultures, d’autres pays, d’autres modes et parcours de vie… Par hasard peux être la première fois, puis par choix - faire le choix de ne pas rester dans sa bulle, faire le choix de s’ouvrir au monde et aux autres.

C’est bel et bien une chance que nous avons : timidement ou naturellement, à la caisse, au téléphone ou devant une salle comble, le micro à la main, parler, échanger, guider… parfois simplement écouter ce qui se dit, en murmures, à la sortie des séances. Décloisonner l’humain à cette époque de plus en plus auto-centrée, s’ouvrir aux autres, élargir le champs des possibles, et parfois même mettre au compte-gouttes un peu de confiance et de baume sur le cœur de quelques-uns. Ce Satané virus nous apprend - oh ! combien - nous sommes des animaux sociables, qui avons bien besoin les uns des autres. Et même le projectionniste de nature plutôt solitaire et heureux d’être invisible (ce qui est un gage de travail bien fait) se trouve avoir besoin de vous tous. Car sans spectateurs, pas de cinéma, sans cinéma pas de travail, sans travail pas de collègues, sans tout cela que faire ? Pour l’instant déjà prendre sa plume, vous écrire ce qu’on aimerait vous dire et qu’on ne peut pas. Ce satané virus nous apporte déjà ça : se faire violence, apprendre à se réinventer chaque jour afin d’entretenir ce lien, apprendre à le tisser autrement.

Je voudrais conclure ce billet en demandant aux spectateurs, et pour vous c’est quoi la salle de Cinéma ? Comment ça va ? Qu’est ce qu’il vous manque depuis que cet échappatoire ne vous est plus possible ni accessible ? Qu’aimez vous chez nous ? Qu’aimeriez vous y retrouver ? Qu’attendez vous de retrouvez lorsque le rideau de fer se relèvera de nouveau ? (à part le bistrot !)

J’ai tellement hâte de vous retrouver.

Royal Affair, c’est le nouveau film que vous pouvez voir à partir d’aujourd’hui dans la sélection des « Films Confinés ». On vous en avait fait deviner un extrait dans un des premiers quiz et depuis, le distributeur Jour2fête nous a donné l’autorisation de le présenter. Attention il ne restera visible qu’un temps limité : ne ratez pas !

Quiz 10 : et en guise de quiz voici un extrait d’un film sublime, ressorti en 2013 pour notre plus grand bonheur… Il vous faut deviner le réalisateur, le titre et l’année de sa première sortie…

Commentaires

1. Le samedi, avril 4 2020, 17:20 par JEAN YVES

Cher utopia, chère Cécile, votre récit est très touchant et j’imagine la frustration d’avoir été stoppé dans l’élan d’une telle aventure. Je n’ ai pas eu l’ occasion de venir a Borderouge mais j’ ai assidûment fréquenté l’ utopia de Tournefeuille après avoir connu durant mes études celui de Toulouse. Ce que j’ y ai trouvé ? la même chose que vous, une ouverture sur le monde par le prisme des yeux de ceux qui vivent ailleurs, différemment, avec des croyances multiples, pouvant dire des choses dérangeantes obligeant a s’interroger sur nos certitudes et prendre conscience qu’au final chacun fait pour le mieux là ou il est ….. Ce que j’ attends lorsque le rideau se re-lèvera ? la même chose que lorsque j’ ai poussé par hasard et curiosité la porte d’ utopia Toulouse dans les années 1990  : me poser devant cette fenêtre en faisant confiance a ceux qui font vivre ces établissement !!!
Courage et confiance pour la suite, les cinéphiles vaincrons les virus !!!!!!