Des poèmes pour le confinement

Les hiboux

Ce sont les mères des hiboux

Qui désiraient chercher les poux

De leurs enfants, leurs petits choux,

En les tenant sur les genoux.

Leurs yeux d’or valent des bijoux,

Leur bec est dur comme cailloux,

Ils sont doux comme des joujoux,

Mais aux hiboux point de genoux !

Votre histoire se passait où ?

Chez les Zoulous ? Les Andalous ?

Ou dans la cabane bambou ?

A Moscou ? Ou à Tombouctou ?

En Anjou ou dans le Poitou ?

Au Pérou ou chez les Mandchous ?

Hou ! Hou !

Pas du tout, c’était chez les fous.

 

Robert Desnos

La java des bombes atomiques

Mon oncle, un fameux bricoleur
Faisait en amateur des bombes atomiques
Sans avoir jamais rien appris
C’était un vrai génie question travaux pratiques
Il s’enfermait toute la journée
Au fond d’son atelier pour faire des expériences
Et le soir il rentrait chez nous
Et nous mettait en transe en nous racontant tout

Pour fabriquer une bombe A, mes enfants croyez-moi
C’est vraiment de la tarte
La question du détonateur s’résout en un quart d’heure
C’est de celles qu’on écarte
En c’qui concerne la bombe H c’est pas beaucoup plus vache
Mais une chose me tourmente
C’est qu’celles de ma fabrication
N’ont qu’un rayon d’action de trois mètres cinquante
Y a quelque chose qui cloche là-dedans
J’y retourne immédiatement

Il a bossé pendant des jours
Tâchant avec amour d’améliorer l’modèle
Quand il déjeunait avec nous
Il dévorait d’un coup sa soupe aux vermicelles
On voyait à son air féroce qu’il tombait sur un os
Mais on n’osait rien dire
Et puis un soir pendant l’repas
V’là tonton qui soupire et qui s’écrie comme ça

À mesure que je deviens vieux je m’en aperçois mieux
J’ai le cerveau qui flanche
Soyons sérieux, disons le mot
C’est même plus un cerveau c’est comme de la sauce blanche
Voilà des mois et des années que j’essaye d’augmenter la portée de ma bombe
Et je ne m’suis pas rendu compte que la seule chose qui compte
C’est l’endroit où s’qu’elle tombe
Y a quelque chose qui cloche là-dedans
J’y retourne immédiatement

Sachant proche le résultat
Tous les grands chefs d’État lui ont rendu visite
Il les reçut et s’excusa de ce que sa cagna était aussi petite
Mais sitôt qu’ils sont tous entrés
Il les a enfermés en disant “soyez sages”
Et, quand la bombe a explosé
De tous ces personnages il n’en est plus rien resté

Tonton devant ce résultat ne se dégonfla pas
Et joua les andouilles
Au Tribunal on l’a traîné
Et devant les jurés le voilà qui bafouille
Messieurs c’est un hasard affreux
Mais je jure devant Dieu que mon âme ait conscience
En détruisant tous ces tordus
Je suis bien convaincu d’avoir servi la France
On était dans l’embarras alors on l’condamna
Et puis on l’amnistia
Et l’pays reconnaissant l’élut immédiatement
Chef du gouvernement !

 

Boris Vian