La guerre invisible contre les peuples

Censure-pngOn en parle peu, mais se livre actuellement une course à l’armement semblable à celle qu’on a connu durant la guerre froide, sauf que celle-ci opposait des états à d’autres états… Cette guerre, c’est celle de la maîtrise d’Internet, des canaux d’informations qui échappent aux pouvoirs politique, financier et médiatique, ces mêmes canaux qui favorisèrent les soulèvements arabes. C’est une guerre contre la liberté des peuples à s’informer à partir d’autres sources que celles fournies par les grands groupes de presse, dans un contexte économique plus catastrophique que celui des années 20, propre à ébranler le système capitaliste comme en témoignent les très nombreux rassemblements des indignés à travers le monde.

La première manifestation publique évidente en fut probablement l’avènement de Wikileaks en 2007, site qui publiait des câbles diplomatiques secrets en pleine guerre d’Irak, et l’apparition sur les JT de sa figure emblématique, Julian Assange, assigné à résidence depuis plus d’un an par la police britannique, et dont l’extradition vers la Suède vient aujourd’hui d’être confirmée en appel. Une procédure contre Assange qui selon le Canard Enchainé « ressemble fort à un coup tordu des services secrets, à l’ancienne », et qui fut lancée comme par hasard peu de temps après la publication des documents irakiens. Depuis décembre 2010, peu après l’annonce de futures publications concernant cette fois-ci Bank of America, Wikileaks fait face à une attaque d’une autre nature, encore moins médiatisée, qui a obligé l’organisation à faire le 24 Octobre l’annonce suivante : « Afin d’assurer notre future survie, nous sommes forcés de suspendre toutes les opérations de publication et de diriger toutes nos ressources pour combattre le blocage et lever des fonds ». En effet les sociétés Visa, Western Union, Bank of America et Paypal ont bloqué, de manière arbitraire et illégale, les donations à travers leurs systèmes depuis décembre 2010, ce qui, selon Wikileaks, revient à supprimer 90% à 95% de ses fonds. Julian Assange a profité de ce discours pour préciser que Wikileaks avait « plus de 150 publications en attente », et que le 28 novembre prochain serait mise en service la nouvelle mouture du site, et surtout de sa sécurisation pour garantir l’anonymat des ses sources d’informations (ils ont publié sur leur site www.wikileaks.ch les moyens pour apporter vos dons malgré le blocage, Wikileaks a besoin de nous !)

En 2008, Wikileaks publiait les documents de travail relatifs à l’ACTA (Accord commercial anti contrefaçon), alertant l’opinion sur ces négociations menées par 39 pays dont 27 de l’Union Européenne en dehors de tout débat démocratique, visant notamment à forcer les fournisseurs d’accès à faire la police de leurs réseaux et des activités de leurs utilisateurs, représentant ainsi une menace pour les libertés fondamentales. L’association La Quadrature du Net a lancé une campagne de sensibilisation à la question de l’ACTA, et a besoin de notre aide pour faire pression sur les élus et appeler à rejeter au Parlement Européen cet accord, en partie déjà adopté par la Commission Européenne.
La neutralité des réseaux, qui fait qu’Internet est libre car non discriminatoire (chaque point du réseau étant égal à un autre et chacun pouvant publier au même titre qu’un grand groupe, ce qui a permis à des sites de presse en ligne tels que Mediapart et OWNI d’émerger), est sans cesse attaquée et on pouvait ainsi voir à Dijon, aux Rencontres de l’ARP (Association des Réalisateurs Producteurs) le 21 octobre dernier, assis sur un même canapé, TF1, Orange et le CNC qui s’entendaient comme larrons en foire pour dire que la question de la Neutralité des réseaux était la question fondamentale à régler… En effet, la veille, La Quadrature du Net venait de remporter une petite bataille, la commission « Industrie » du Parlement européen ayant adopté une résolution sur la neutralité du Net, ayant la valeur d’un engagement politique fort en sa faveur (voir le site www.laquadrature.net).

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Mettre fin à la neutralité du Net, c’est en particulier ouvrir la voie à des techniques de surveillance de masse des réseaux qui ont été testées en grandeur réelle durant les révoltes arabes par des sociétés européennes telles qu’Amesys, qui espionnait les citoyens pour le compte de Kadhafi. Cette technique a pour joli nom « Deep Packet Inspection » (DPI) et permet d’analyser systématiquement toutes les données transférées sur Internet, ouvrant la voie à une censure automatisée, une industrialisation de la surveillance et de la censure que même Georges Orwell n’aurait pas osé imaginer. Et cette merveilleuse technique, que l’on pouvait croire réservée aux pires dictatures, pointe le bout de son nez chez nous : sous couvert de la « protection » de l’internaute, les Fournisseurs d’Accès Internet vous proposerons bientôt toutes sortes de services qui impliquent une surveillance et une analyse systématique de votre trafic. Le site www.reflets.info publie régulièrement des articles, source précieuse d’informations sur cette question (ils ont d’ailleurs reçu des menaces de mort récemment).

CopwatchMais au-delà de ces sujets qui peuvent paraître un peu lointains pour qui n’est pas impliqué dans la défense de la liberté du net, la récente décision, le 14 octobre, du tribunal de Grande Instance de Paris d’ordonner le blocage site du site Copwatch Ile de France concerne le quotidien de chacun. On peut contester le principe de Copwatch, qui consiste à répertorier nommément des policiers suspectés d’abus de pouvoir, ou de pratiques liberticides ou discriminatoires. Mais il est toujours bon de rappeler que, contrairement aux clichés dégueulasses qui ont fait de Copwatch un ramassis de petits blogueurs racailleux anti-flics, Copwatch est né en 1991 de l’initiative citoyenne d’électeurs américains, qui ont mis en ligne la vidéo du tabassage en règle de Rodney King, images qui avaient alerté toute l’Amérique sur les dérives d’une police violente et raciste. Copwatch, quoi qu’on en dise, peut être un contre-pouvoir démocratique qui pourrait garantir que la police ne franchisse pas les limites acceptables. Et il peut paraître étonnant que les tribunaux de notre République une et indivisible refusent comme preuve la vidéo, notamment dans les affaires de violences policières, alors qu’elles favorisent l’incitation à la délation, comme dans le cas des émeutiers de Villiers le Bel. Ce qui peut consoler, c’est que de nombreux sites miroirs de copwatch se sont créés, faisant ainsi la nique à la justice… (d’ailleurs un petit outil très simple permet désormais à quiconque dispose d’un blog de copier les contenus menacés de censure : sebsauvage.net/streisand.me)

Ce qui est encore plus atterrant, c’est que, dans le cas de Wikileaks ou de Copwatch, aucune des forces de gauche n’a réagi fortement contre ces atteintes au libre droit à l’information. Ignorance coupable ? Méfiance idiote envers des démarches difficiles à récupérer par un parti ? On aimerait avoir leur réponse avant d’aller voter ou pas en 2012… Vous avez aimé la guerre froide ? Voici la guerre silencieuse, celle des 1% contre les 99%…