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Des nouvelles du Front de L’Est !
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Juin 2020 : Travaux en vue ! Il y a comme des petits airs de printemps et de bien belles nouvelles !
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EMILIA PÉREZ

Écrit et réalisé par Jacques AUDIARD - France / Mexique / USA 2024 2h12mn VOSTF - avec Karla Sofia Gascon, Zoe Saldana, Selena Gomez, Adriana Paz, Edgar Ramirez... Librement adapté du roman Écoute de Boris Razon. Festival de Cannes 2024 : Prix du Jury et Prix collectif d’interprétation féminine. Musique et chansons de Camille et Clément Ducol - Chorégraphie de Damien Jalet.

Du 11/09/24 au 14/10/24

EMILIA PÉREZSur le papier, c’est le projet le plus fou, le plus casse-gueule aussi, qui se puisse concevoir. Imaginez : l’histoire d’un tyran richissime et sanguinaire, chef de cartel mexicain, craint, respecté, qui prépare en secret tout à la fois sa retraite, sa disparition de la place publique – et sa « transition », sa libération d’un corps d’homme pour laisser place à la femme qu’en lui-même il a toujours su être ! Du thriller, du mélo, de la transidentité… et pour corser l’exercice, puisque de genre il est question, pulvériser les frontières qui compartimentent ceux du cinéma, emballer en chansons la marchandise sous forme, tant qu’à faire, d’une comédie musicale… À ce stade du pitch, on imagine les producteurs commencer à transpirer, s’agiter dans leur fauteuil de cuir vachette pleine fleur, se demander in petto comment retirer leurs billes et prendre la poudre d’escampette. Oui mais voilà : Jacques Audiard est un magicien. Il n’y a pas d’autre explication possible. Jacques Audiard, c’est un peu le roi Midas du cinéma français (sans la malédiction), le gars qui a trouvé la pierre philosophale pour fabriquer de l’or à partir des matériaux les plus invraisemblables passant à sa portée : De rouille et d’os, Sur mes lèvres, Dheepan, Un prophète, Un héros très discret… Dix films en trente ans et autant de projets audacieux, à rebours des modes, qui mettent en scène des personnages mal-aimables, physiquement cabossés, moralement abîmés par la vie – autant de films généreux, puissamment et élégamment réalisés, qui rendent la lumière aux handicapés (du corps, de l’âme) et leur humanité aux mal-aimés.

L’histoire d’Emilia Perez, précédemment Manitas Delmonte, nous est contée par le biais de Rita, une jeune avocate idéaliste, sous-employée pour ne pas dire exploitée dans un cabinet de baveux renommés qui, malgré ses succès, la fait végéter dans des affaires de seconde zone. Or, Rita a des convictions, des arguments et sait emporter son auditoire. Elle n’a donc pas grand mal à se laisser convaincre de lâcher son boulot de sous-fifre pour s’occuper des affaires louches et un rien tordues d’un baron de la drogue mexicain, en quête d’oubli et de reconstruction. Gérer son opération, organiser sa disparition, mettre sa femme et ses enfants à l’abri – Rita s’acquitte avec efficacité de sa mission, empoche sa commission, fin de l’histoire. Ou presque, car Emilia, feu Manitas, réapparaît bientôt dans sa vie. Avec cette fois un impérieux besoin de se racheter et de retrouver, incognito, sa famille. Mais on sait bien que, même (ou surtout ?) pour réparer ses erreurs / horreurs passées, il n’est jamais très indiqué de revenir rôder sur les lieux de ses crimes.

Un des grands talents de Jacques Audiard, c’est de faire du vrai cinéma d’artisan – et donc de savoir s’entourer des talents des autres. Du scénario (au cordeau) à la photo (splendide), de la composition des chansons (parfaite) à la chorégraphie (impeccable), de la mise en scène (magistrale) à l’interprétation (bluffante), tout concourt à faire d’Emilia Perez une immense fresque romanesque, qui nous tient en haleine de la première à la dernière image. Ça fait des lustres qu’on n’avait plus vu au cinéma une comédie musicale – une tragédie musicale devrait-on dire – où la musique, les chansons, les chorégraphies, épousent aussi parfaitement la dramaturgie, sans sacrifier l’énergie de la danse ni l’élégance de la mise en scène, où les corps s’imprègnent imperceptiblement du rythme de la musique tandis que les dialogues se poursuivent naturellement en chansons. On est à des années lumières du scolaire et gentillet La la land, pour ne citer qu’un « musical » récent. Ici, la virtuosité est tout en retenue et en rigueur, au service du récit.
Le quatuor d’actrices, récompensé collectivement à Cannes d’un prix d’interprétation féminine, est absolument parfait. Au sommet, avec une énergie formidablement convaincante, Zoé Saldaña, exfiltrée d’Avatar et autres « marvelleries », fait de Rita le quasi-sosie d’Alexandra Ocasio-Cortez, la pasionaria démocrate du Bronx et icône de la gauche américaine anti-Trump. Quant à la madrilène Karla Sofia Gascon, dans le double rôle de Manitas et d’Emilia, elle est intense, tour à tour effrayante et troublante, émouvante, séduisante, effrayante à nouveau… Grâce à elle, Emilia Perez prend vie sous nos yeux, s’élance et se précipite vers son tragique destin. Du grand art.