TOUT VA BIEN, TOUT VA MAL

Prix des places de cinéma : les salles abusent-elles sur les tarifs ? 

 

Ainsi s’interrogent ces temps-ci la presse et les émissions spécialisées sur la culture, le cinéma, le panier des ménages… ce dernier serait lourdement touché par les politiques tarifaires extravagantes pratiquées par les salles de cinéma. 
Ce constat est le fruit d’un gros travail d’enquête, puisqu’il est en réaction à la saillie d’un comédien en promo (Kad Merad) qui expliquait sur RTL la (supposée) désaffection du public pour le cinéma par les trop hauts tarifs pratiqués dans les salles.

Nombre de Tintin-reporters de filer leur sujet en reprenant l’argumentaire de la Fédération des Cinémas Français (en résumé : « c’est même pas vrai, y’a plein de réducs ») et de conclure en s’esbaudissant de ce que les plus grands et gros des cinémas travaillent d’arrache-pied à reconquérir le public en « premiumisant » à qui mieux mieux les séances, transformant à grands renforts de technologie de fête foraine (4DX, Ice, canapés convertible en cuir, etc) la sortie entre amis pour aller mater un film en « expérience de cinéma ». Formidable. Ils omettaient juste de préciser que cette « premiumisation » est surtout l’occasion pour les circuits de faire grimper de façon exponentielle le prix du ticket. On parle là de places à plus de 20€, tout de même. Ils omettaient également de décrire comment, après s’être débarrassés du petit personnel dans les cabines de projection, les mêmes circuits adoptent le mode de fonctionnement des supermarchés, remplaçant les caissières et caissiers par des distributeurs automatiques, les contrôleurs par des portillons de métros, les employés de cinéma par des vigiles… Même les confiseries vendues à prix d’or sont à présent en libre-service… surveillé. Et c’est sur ce modèle de consommation, triste et déshumanisé, qui tient plus du gavage qu’autre chose, que lorgnent avec appétit les petits et gros cinoches de France pour se renflouer… 

 

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Mais est-ce finalement le vrai problème ? Et au fait, de quoi parle t-on réellement ?

 

Bien sûr que le cinéma d’avant Covid n’est peut-être plus celui de l’après… Et quand on dit « le cinéma », c’est pas très exact, puisque le cinéma finalement va bien et jamais autant de films n’ont été réalisés. Parlons plutôt ici de son économie.

Il se dit beaucoup qu’avant le Covid, le cinéma avait déjà des difficultés. Indéniablement, la fièvre montait chez les professionnels du secteur les plus concernés (les exploitants – nous autres - et les distributeurs) par cette simple et belle idée de rassembler des gens dans des salles de cinéma pour y faire vivre des films. Difficultés relatives. D’un côté (le Centre National de la Cinématographie, les majors, les circuits…), on se réjouissait, on plastronnait à grand renfort de communiqués sur la bonne santé du cinéma, qui enregistrait en 2019 avec 213,3 millions d’entrées ses meilleurs résultats en salles sur plus d’un demi-siècle. De l’autre, les plus attentifs, nous autres encore mais pas seulement, se rendaient bien compte que ces résultats astronomiques étaient de plus en plus réalisés par des blockbusters stéroïdés et que la diversité n’y trouvait que plus laborieusement son compte.

Parallèlement, notre chère profession pointait unanimement du doigt le nouveau Satan, responsable de tous ses maux, avérés, potentiels, présents et à venir : les plateformes de streaming. Fidèles à leur nature de petits commerçants pour qui, quoi qu’il arrive, « c’était mieux avant », ces mêmes gens de cinéma, toujours friands de se trouver des ennemis technologiques et industriels prophétisant leur fin prochaine - il y eût précédemment la radio, la télé, les magnétoscopes, le DVD, le téléchargement et le partage (pompeusement baptisé « piratage ») de films sur internet – étaient à peu près unanimement vent debout contre les plateformes dévoreuses d’images, ces trous noirs abyssaux qui absorbent tout ce qui pourraient ressembler de près ou de loin à un film. Or il s’avéra que le Covid, comme dans d’autres domaines, accéléra massivement la consommation numérique : sortie des films sur les plateformes, rencontres amoureuses ou professionnelles et échanges virtuels, achats en ligne en tout genre, télé-travail… le Marché ne se nourrit-il pas essentiellement de crises, vrais ou fausses, créées par lui ou pas ? 
Que du virtuel… Que du bonheur ?

Le modèle économique de ces nouveaux mastodontes de l’entertainment est assez simple et repose essentiellement sur un modèle de société au croisement de 1984 et de Fahrenheit 451 : faire payer bon marché au gogo un abonnement pour des milliers d’heures d’images inondant la planète qu’il n’aura jamais le temps de voir – et le maintenir aussi longtemps que possible enfoncé dans son canapé, bouffant de la pub au kilomètre, offrant aux dirigeants de ce monde le spectacle idyllique de « pays qui se tiennent (enfin) sages ».

 

Ou bien, aller ensemble au cinéma ?

 

C’est vrai que la salle de cinéma peut paraître bien faible et isolée dans cet univers. Quel besoin en effet de salles Art et Essai, quand le Marché et le Dieu Internet suffiraient à éduquer et cultiver les masses ? Faut dire que les pouvoirs publics n’aident pas à y voir clair. Ils mettent tout de go dans le même sac les salles commerciales et Art et Essai, subventionnent hardiment (et légitiment de facto) des cinémas qui mélangent peinardement blockbuster, comédie franchouillarde et film d’auteur - même combat - au nom du « service public » – entendez de l’attente du public, supposément avide de médiocrité ! Un chat-bonné à Netflix n’y retrouverait pas ses petits.

On ne va pas jouer les fiers-à-bras : le pessimisme ambiant peut nous atteindre de temps en temps. Mais au fond, nous restons cependant confiants, nous croyons à la nécessité de lieux dédiés au cinéma, à la nécessité de voir des films ensemble, d’en discuter, de partager notre plaisir à voir ces films, de développer un rapport au Monde, d’être en contact avec les autres, de construire un esprit critique et peut-être de refuser un magma d’images coulant de façon ininterrompue devenant, paradoxe, aliénant et abrutissant. 

 

Alors, trop cher, le ticket de cinéma ? 

 

Ben oui, mais ça dépend chez qui, cher Kad Merad. Trop cher, c’est une évidence, mais ce n’est pas nouveau, chez les profiteurs de crise qui vous vendent du spectacle bêtifiant et premiumisé – et programment et jettent des films-kleenex dans une course au profit jamais rassasiée. Mais chez nous et quelques autres, qui avont su voir et mettre en relief quel merveilleux comédien vous pouviez être, par exemple dans le formidable Un Triomphe, longuement programmé et soutenu à Utopia, les tarifs sont calculés au plus juste pour être accessible au plus grand nombre tout en garantissant la survie économique du cinoche. Ni plus, ni moins.

Soyons pragmatiques, et même pessimistes : augmentation des matières premières (par exemple le papier de notre chère Gazette), flambée du prix de l’électricité (impressionnantes nos dernières factures !), il n’est pas impossible que Utopia ajuste certains de ses tarifs un de ces quatre ! Mais ce sera alors raisonnable et raisonné - jamais dans les proportions des multiplexes. La bonne excuse de la « premiumisation », sa débauche technologique et son cortège de tarifs terrifiants ne passeront, Dieu merci, pas par nous ! Pas plus qu’en son temps le fut feue la 3D…