La Paix, éternelle Utopie ?

Pas facile de décrypter le chaos du monde pour les spectateurs, plus ou moins lointains, que nous sommes, face aux faits tragiques qui nous submergent en avalanche via la presse, les réseaux sociaux, vraies ou fausses nouvelles… Et c’est dans ces moments-là que nous avons encore plus envie de croire au cinéma. À la question « le cinéma est-il en train de mourir ? », Alice Rohrwacher (réalisatrice italienne de La chimère) répond qu’à notre époque si obsédée par l’individualisme, si abreuvée d’images qui nous assaillent du matin au soir, nous avons surtout besoin de lieux collectifs, de rites collectifs, où nous acceptons de perdre le contrôle et de nous en remettre au regard précis et épuré d’un autre. Et bien sûr de multiplier les perspectives de regard. Quand la poésie ou l’humour s’invite, c’est encore mieux ! « Le cinéma offre cette possibilité de connaitre l’étranger et peut-être de ne pas faire la guerre. »

Si nous confrontons cette croyance au conflit israélo-palestinien, avouons qu’elle est mise à mal ! Car les films traitant de ces tensions ne manquent pas (hélas). Ils sont autant de pistes pour en saisir les enjeux, avec des points de vue différents. On pense à ceux qui retracent l’histoire de près d’un siècle de ce conflit, à ceux qui décrivent des situations intolérables, mais aussi à ceux qui, porteurs de nuances et d’espoir, relatent des histoires de rapprochement entre des protagonistes modérés et humains qui cassent les barrières ennemies. Petite liste suggestive et non exhaustive de l’anatomie de ce conflit : Intervention divine (2002), Valse avec Bachir (2008), Les citronniers (2008), Would yo have sex with an arab (2011), Le cochon de Gaza (2011), Samouni Roads (2018), Fièvre méditerranéenne (2022)…

Autant d’œuvres qui ont su éclairer dans la nuance, susciter l’empathie, faire relativiser, consoler et réparer parfois, mais jusqu’à une certaine limite. Car le cinéma ne peut faire de miracles à lui seul. Cependant, dès lors qu’il rencontre des spectateurs et qu’une alchimie s’opère, on peut reprendre confiance dans sa capacité à générer des leviers humanistes au service de la paix. Et lorsque nos salles de cinéma Utopia offrent un espace de débat après le film, nous sommes heureux, en tant qu’exploitant·es, d’assister à ces exercices de démocratie dans le contexte actuel où les idées ont tendance à se polariser. Alors que l’attention du monde est concentrée sur le ProcheOrient, les regards se détournent des champs de bataille ukrainiens (à la grande satisfaction de Poutine), des violences du Haut Karabakh, du Soudan, du Niger, de la propagation du virus du populisme (en Argentine par exemple…)… Quant aux urgences écologiques en réponse au changement climatique, les voici une fois de plus reléguées au second plan, voire ignorées, à l’image des décisions prises à propos de l’inutile et climaticide A69. Là aussi, nous croyons à la capacité du cinéma à ne pas fermer les yeux sur ce qui dérange et à porter les regards sur les 1001 histoires hors des feux de l’actualité. En écho à Alice Rohrwacher, dans Portraits fantômes (programmé jusqu’au 21 novembre - voir la gazette précédente), le réalisateur brésilien Kleber Mendonça Filho rend un hommage nostalgique à la salle de cinéma, réceptacle des rêves, des espoirs et des émotions, lieu sacré à sa manière, capable de réinvestir temples et églises abandonnés. Alors on rêve de s’assoir dans un fauteuil confortable et de découvrir dans nos salles un récit d’« offensive de paix » qui aurait le pouvoir de traverser les écrans et devenir réalité ! Bienvenue aux fantômes de paix