HIROSHIMA = 1 – TALENCE = 0

C’est rien de dire que l’on s’était sentis un peu seuls à Bordeaux lors de nos vaines tentatives d’obtenir un poil de régulation face au projet d’implantation d’un deuxième multiplexe UGC au Bassin à Flots. Bien sûr, il y avait vous, heureusement, chers spectateurs, toujours fidèles au poste depuis bientôt 20 ans, mais personne, hélas, parmi les donneurs d’ordre, comme il est habituel de les nommer, pour se donner la peine de se pencher sur nos pauvres arguments en faveur de la préservation de la si nécessaire diversité des œuvres et des opérateurs. On se souvient, en particulier, de cette Commission Nationale d’Aménagement Cinématographique (CNAC) à Paris, où la première adjointe d’Alain Juppé, Virginie Calmels, appelée à défendre le projet de multiplexe au Bassin à Flots, nous avait croisés ce jour-là sans même saisir l’opportunité d’échanger quelques mots avec nous. Autant dire que cela confirma la certitude que nous n’avions aucune chance d’influer par la suite sur ce quasi doublement du nombre de fauteuils mis à disposition de notre concurrent prédateur. 
Les problèmes volant généralement en escadrille, l’annonce, quelques temps après, du rachat par UGC des 11 salles du Gaumont Talence ne parvint même pas à nous émouvoir, tant l’opération semblait relever du nouvel ordre mondial et normal des choses, où pouvoir et profit se concentrent dorénavant entre quelques bonnes mains.
Par contre deux informations très récentes, puisqu’elles datent du 1er février 2018, ne manquèrent pas d’alimenter notre perplexité :
Ce fut, pour la première, la décision d’UGC de solliciter l’autorisation de la Commission ad hoc pour ajouter une salle supplémentaire de 111 places et ainsi porter la capacité de leur multiplexe de Talence à 12 salles et 2426 fauteuils.

 

Mais, ce qui nous surprit plus encore, c’est de recevoir ce gentil courrier de la direction cinéma de la DRAC, plutôt timide jusque là dans ses interventions sur le multiplexe UGC de 13 salles au Bassin à Flot, pour nous demander dans quelle mesure cette salle supplémentaire à Talence, la douzième du nom, était susceptible de nous faire mal :
Votre cinéma rentre dans la zone d’influence cinématographique (ZIC), il est donc éventuellement impacté par ce projet.
Ce projet vise à stabiliser la fréquentation de l’UGC Talence qui est en érosion depuis 2010 pour l’amener à 430 000 entrées. La programmation serait la même qu’actuellement, à savoir : « tout public de type généraliste » avec une offre de films Art et Essai d’environ 14 %. Avec une salle supplémentaire, l’établissement programmera 225 films inédits par an. Soit 20 de plus qu’actuellement avec une moyenne de 100 séances par film inédit. 13 % des séances seront consacrées aux films Art et Essai sortis sur plus de 150 copies. 1 % de séances de films Art et Essai dits « jeune public », 1 % de séances consacrées aux films Art et Essai patrimoine, 1 % des séances en V.O, mais à terme 15 % des films grands publics. Je sollicite votre opinion sur ce projet. Est-ce que, à votre avis, il influencera l’accès aux films pour votre cinéma ? Est-ce qu’il peut impacter la fréquentation de votre équipement et si oui, de quelle manière à votre avis ? Vous pouvez me joindre par téléphone, mais il est préférable de me transmettre également une réponse écrite que je puisse reprendre telle quelle dans mon rapport…

 

Il est bien tard pour, si l’on peut dire, envoyer la cavalerie. Pourquoi s’inquiéter tout à coup de ce qui ne sera après tout que la 43e salle UGC sur l’agglomération et le résultat de politiques publiques de droite comme de gauche qui, pendant des années, se sont rendues les unes et les autres des petits services en multipliant les multiplexes à coup de CDEC et CNAC, comme ils le firent bêtement pour les super et les hyper marchés dont on peut mesurer aujourd’hui les dégâts : laideur calamiteuse de nos périphéries, ruine de nos centres-ville, malbouffe généralisée, exploitation éhontée des fournisseurs…
Pour être tout à fait clairs, les nuisances à venir de cette salle supplémentaire à Talence c’est comme lancer une grenade pour finir le travail à Hiroshima : pas la peine ! Le mal est fait. Ce qui nous fait souci en effet, ce n’est pas l’adjonction d’une 12ème salle de 100 places dans un multiplexe « en déclin » mais bien les 42 autres salles qui, habilement et agressivement programmées, et on peut faire confiance à UGC pour cela, viendront progressivement à bout des autres opérateurs privés et publics de l’agglomération. A moins – on ne sait pas si la DRAC pourrait intervenir dans ce sens – de parvenir à convaincre la commission de rajouter non pas une, mais deux salles à l’UGC de Talence, pour atteindre le chiffre fatidique : 11 + 2 = 13. Oui, 13 ! Histoire de porter la poisse aux 43 autres salles du circuit !