Journal de bord d'un cinéma fermé (semaine 7)

Ici est archivé le journal de bord du confinement de la semaine du mercredi 29/04 au mardi 5/05/2020

 

Mercredi 29 avril, jour 44 de l’après

 

PCA (Paysans & Consommateurs Associés)

Aujourd’hui, mercredi 29 avril de 18h à 19h livraison dans le hall du cinéma des paniers de légumes, oeufs, fromages de chèvre et pains.
Comme les mercredis précédents de cette période de confinement, restons loin les uns des autres et suivons le petit chemin sécurisé.
À tout à l’heure.

 

En cette période de déconfiture encore confinée, qui voit et entend une flopée de nouveaux philosophes médiatiques s’efforcer, avec un imperturbable aplomb, de trouver un sens à l’effroyable bordel dans lequel nous a fourrés notre civilisation faute de s’interroger justement sur le sens de ses agissements, nous sommes particulièrement heureux du cadeau que nous offre Philippe Fernandez, cinéaste, plasticien, musicien… et franc-tireur dans l’âme. Il nous fait l’amitié de mettre à notre, et surtout à votre disposition ses deux longs métrages, Léger tremblement du paysage (qui figure au catalogue Vidéo en Poche) et Cosmodrama, deux mises en pratique excitantes de ce qu’il appelle sa « filmosophie » : « un cinéma qui se donnerait pour objectif de faire réfléchir le spectateur, d’activer son intelligence… En tant que mot-valise et calembour, c’est aussi un vocable assez drôle, qui indique que, même si l’entreprise est sérieuse, je ne me prends pas au sérieux et qu’on risque même de s’amuser en regardant mes films… »
On vous confirme qu’on se creuse délicieusement les méninges, qu’on s’étonne, qu’on esbaudit, et oui, qu’on s’amuse énormément à la vision de ces deux fables qui ont la caractéristique ô combien précieuse de ne ressembler à rien de ce qu’on peut voir habituellement sur les écrans, grands ou petits. Et on ajoutera que Philippe Fernandez a un autre atout dans son jeu : sa complicité indéfectible avec cet acteur rare et singulier qu’est Bernard Blancan.
On commence ce mercredi avec Léger tremblement du paysage, on ajoutera la semaine prochaine Cosmodrama. Les deux liens de visionnement seront valables pendant trois semaines.

 

Autre proposition excitante (c’est Byzance !) : nos compagnons de route de ED Distribution, infatigables découvreurs de cinéastes et de films novateurs, nous offrent cinq pépites de leur catalogue : Tharlo, le berger tibétain de Pema Tseden, Les Habitants d’Alex Van Warmerdam, L’Impitoyable lune de miel de Bill Plympton, Rembrandt fecit 1669 de Jos Stelling et The Saddest music in the world de Guy Maddin. On vous montre ce dernier pour commencer et les quatre autres suivront, chaque film sera visible pendant une semaine. Pour soutenir ce distributeur indépendant, vous pouvez bien sûr jeter un coup d’oeil à leur boutique en ligne qui regorge de trésors : www.eddistribution.com.

 

Côté films en ligne, nous vous conseillons également l’excellent Vidéo Club Carlotta. Carlotta est un distributeur de films de patrimoine dont on programme très régulièrement les ressorties dans nos salles. Leur catalogue est d’une qualité incomparable, allant de grands classiques aux petites raretés, en passant par les films pour les plus jeunes. L’abonnement est à prix modique et la proposition est faite avec un réel soin éditorial, souvent accompagnée de bonus et de documentations passionnantes sur les films et leurs auteurs. Aucune raison de se priver !

 

 

La séquence du confiné #41

 

Hier, la séquence était extraite de Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des plaines) d’Arnaud Desplechin, échappée américaine du réalisateur roubaisien. Le film se passe au Kansas en 1948 et se base sur l’histoire vraie de Jimmy Picard (Benicio Del Toro), Indien Blackfoot ayant combattu en France, et qui souffre de retour en Amérique de graves troubles de la vue et de l’audition. Il est confié à Georges Devereux (Mathieu Amalric), ethnologue et psychanalyste d’origine française, spécialisé dans la culture amérindienne. Desplechin filme non seulement une analyse réussie mais permet de mesurer à quel point les cicatrices sociétales peuvent produire des troubles à l’échelle individuelle. Enfin, le film est une bouleversante histoire de fraternité entre deux hommes tourmentés par leur passé : Picard l’amérindien spolié et Devereux l’éxilé. La mise en scène de Desplechin atteint une rare élégance, la complexité romanesque chère au cinéaste se joignant à une révérence sincère au classicisme américain.

 

Aujourd’hui, séquence #41 où il est encore histoire de guerre et de la place de l’art et de la culture dans l’Histoire. Programmé chez nous 11 novembre au 8 décembre 2015.

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Jeudi 30 avril, jour 45 de l’après

 

La séquence du confiné #42

 

La séquence précédente était extraite de Francofonia, le Louvre sous l’Occupation du réalisateur russe Alexandre Sokourov. Amoureux d’art et d’Histoire (souvenons-nous de L’arche russe, son film entièrement tournée dans le musée de l’Ermitage), Sokourov fait un portrait libre du fameux musée français en l’abordant sous un angle inattendu : comment le Louvre, institution liée à toute l’histoire de France, a-t-il survécu à la Seconde Guerre Mondiale et au pillage des nazis ? La réponse est en grande partie liée à la figure de Jacques Jaujard, directeur du Louvre en 1940, qui avait pris soin de faire évacuer les oeuvres dans les châteaux environnants, en comptant sur le silence du comte Franz Wolff-Metternich, homme féru d’art au service d’Hitler pour la protection des oeuvres d’art en France. Dans ce qui s’apparente cependant plus à un essai qu’un film historique, Sokourov propose une réflexion sur la place des arts dans l’humanité en usant de tous les registres : reconstitution fictionnelle, documents d’archive (souvent retrafiqués comme on le perçoit dans la séquence proposée avec une voix-off ridiculisant les nazis) ou éléments totalement anachroniques. Plastiquement impressionnant, Francofonia est une expérimentation au service de l’art comme rempart contre tous les pouvoirs.

 

Aujourd’hui, séquence #42, restons dans un musée avec un conte délicat qui rend hommage à l’intelligence de l‘enfance. Film programmé chez nous du 15 novembre au 12 décembre 2017.

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Vendredi 1er mai, jour 46 de l’après

 

La séquence du confiné #43

 

La séquence d’hier était extraite du splendide et injustement sous-estimé Le musée des merveilles de Todd Haynes. Le film se déroule sur deux époques différentes. L’une à la fin des années 1920, où l’on suit Rose une enfant sourde qui part pour New York à la rencontre de sa mère, star du cinéma muet. L’autre 50 ans plus tard où le jeune Ben découvre que le père qu’il recherche pourrait se trouver au Museum d’histoire naturelle de New York. Todd Haynes raconte leurs fugues symétriques et nous emmène avec magie dans un film-métaphore du cinéma conçu comme un immense cabinet des curiosités. Les enfants y trouveront une caverne merveilleuse pour trouver refuge face aux difficultés, mais aussi les ressources pour un retour apaisé à la vie. Todd Haynes déploie une mise en scène d’une ampleur exceptionnelle, un récit plein d’émotions, bourré d’énigmes et de références à regarder à la loupe, et qui illumine la belle citation d’Oscar Wilde qui ouvre le film : « Nous sommes tous dans le caniveau mais certains regardent vers les étoiles ».

 

Aujourd’hui, séquence #43, sortons du musée : même si je dors, même si je suis éveillée… Film programmé chez nous du 2 janvier au 11 février 2019.

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Samedi 2 mai, jour 47 de l’après

 

Charb1998
En faisant du classement dans nos archives, nous sommes tombés sur ce dessin de Charb, une carte de vœux pour l’année 1998, marquée du sceau de son humour noir et de son trait à la fois brut et foudroyant de précision, incroyablement évocateur.
Charb, on l’a connu en culottes courtes, à la fin des années 1980, quand son ex-prof d’histoire du collège de Pontoise nous l’a amené à Utopia Saint-Ouen l’Aumône pour qu’il essaie de trouver sa place en passant par un de ces multiples stages mis en place par les gouvernements successifs pour faire disparaître des listes du chômage les jeunots arrivant sur le marché de l’emploi. Lui qui ne savait rien faire d’autre à l’époque que dessiner à tout propos nous regardait nous agiter, chopait au vol le détail qui fait rire, le croquait illico avec une invention, une drôlerie imparables, se moquait gentiment, et plupart de ses dessins se retrouvaient dans notre gazette, ou sur des affiches, ou sur des cartes de vœux…
Notre petite collection nous a permis de consacrer à Charb une modeste expo dans le hall d’Utopia Bordeaux, en janvier 2015. Cinq ans déjà, on n’oublie pas.

 

La séquence du confiné #44

 

La séquence d’hier était extraite du magnifique Asako I & II de Ryûsuke Hamaguchi. Le film suit l’itinéraire sentimental d’Asako, jeune femme frappée d’un coup de foudre (voir la séquence proposée) pour un homme qui disparaît quasiment aussitôt de sa vie. Deux ans plus tard, elle croise un autre homme qui lui ressemble trait pour trait et s’entête à retrouver les sensations de son premier amour. Sous son allure de simple romance, Asako I & II se hisse au rang des œuvres majeures dans la longue tradition des films sur la figure du double amoureux (de Sueurs Froides à L’avventura, ou même jusqu’à Burning plus récemment). La force du film de Ryûsuke Hamaguchi est de ne jamais laisser planer de doute sur la véritable identité des personnages. L’approche du film reste curieusement toujours prosaïque : c’est bien dans l’esprit d’Asako que se mêlent différents niveaux de réalité, comme autant de couches de l’amour complexe qu’elle éprouve et que le film égraine avec douceur et intelligence. Entre hasard et processus, Asako I & II fait une étude minutieuse des détours que peuvent prendre le sentiment amoureux.

 

Aujourd’hui, séquence #44 : toujours le sentiment amoureux avec cette fois du romantisme à l’état pur. Film programmé chez nous du 4 au 24 février 2015.

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Dimanche 3 mai, jour 48 de l’après

 

La séquence du confiné #45

 

Hier, la séquence était extraite de Amour Fou de Jessica Hausner. Le film s’inspire de la vie de Heinrich von Kleist, écrivain et poète romantique allemand, qui s’est donné la mort en même temps que son égérie Henriette Vogel en 1811. Von Kleist, atteint d’un désespoir profond, proposa tout d’abord le suicide commun à sa cousine. Après son refus, il trouva en Henriette, elle-même condamnée par une grave maladie, une partenaire pour ce qu’il considérait comme une façon de conjurer la mort par un acte d’amour ultime. Jessica Hausner filme cette expérience avec rigueur et sans pathos, ce qui rompt radicalement avec la situation décrite, au point de créer un effet de décalage entre ce que vivent les personnages et l’absurdité de leurs actions. Par quels cheminements en arrivent-ils à envisager leur fin de la sorte ? S’y attaquer en pleine période romantique, c’est tout l’intérêt de ce film profondément anti-idéaliste.

 

Aujourd’hui, séquence #45 : voici venu le temps du souvenir. Film programmé chez nous du 19 février au 18 mars 2014.

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Lundi 4 mai, jour 49 de l’après

 

La séquence du confiné #46

 

Hier, il s’agissait du sublime Lettre d’une inconnue réalisé par Max Ophuls en 1948 (d’après la nouvelle de Stefan Zweig) avec Joan Fontaine et Louis Jourdan. A Vienne au début du XXe siècle, un célèbre pianiste sur le déclin et séducteur fatigué reçoit une lettre d’une certaine Liza Berndle dont le nom ne lui évoque rien. Pourtant, celle-ci affirme l’avoir toujours aimé et même avoir eu un enfant de lui. Cette lettre est un dernier geste désespéré pour obtenir de lui l’attention qu’il lui a toujours refusé.
Max Ophuls signe ici un des sommets du mélodrame. L’amour éperdue d’une femme face à l’indifférence de l’être aimé. Tout y est bouleversant. Les mouvements d’une caméra glissant sur les émotions, les répliques enchanteresses d’une Vienne miniaturisée, les lumières sur le visage meurtri d’amour de Joan Fontaine : tout le génie de Max Ophuls.
Merci et bravo à Trudy qui nous a fait parvenir sa réponse par email (bordeaux@cinemas-utopia.org) : “Lettre d’une inconnue de Max Ophuls, 1948, insuportable de tristesse, l’un des monuments du mélodrame. Avec Joan Fontaine, masochiste, la vie brisée… Je n’arrive pas à le voir sans pleurer immodérément.”

 


Aujourd’hui, séquence #46 : changement de décor avec un duel au soleil, tendu et inquiétant. Programmé chez nous du 11 octobre au 14 novembre 2017.

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Mardi 5 mai, jour 50 de l’après

 


Des nouvelles de PCA http://pca.nursit.com

Avant le rendez-vous hebdomadaire de PCA (Paysans et Consommateurs Associés), demain mercredi 6 mai entre 18h et 19h dans le hall du cinéma, quelques nouvelles de deux de nos vaillants producteurs :

 

 
Maïté et Eric
œufs, salades, fraises

 

Bonjour à tous,
Je fais comme nos gouvernants… je me contredis d’une semaine à l’autre.
Les fraises –le peu qu’il y a encore sur pieds – ont toutes mûri d’un seul coup. Grosses récoltes ce jour et prévues mercredi. Pas sûr par contre qu’il en reste beaucoup après…
Pas facile avec ça de gérer des précommandes sur le mois.
Je vais essayer de faire simple pour pouvoir satisfaire ceux, nombreux, qui n’ont pas pu commander parce que je les en avais dissuadés.
Si vous n’avez pu commander de fraises et que vous en souhaitez quand même ce mercredi :
vous m’envoyez un mail avec votre souhait, avant mardi soir dernière limite.
VOUS NE RÉGLEZ RIEN PAR VIREMENT.
Selon les récoltes, on espère servir tout le monde, ou presque…
Mercredi, on sera là (si, si!!!) et vous pourrez nous régler sur place.
Prévoyez l’appoint, on mettra un tronc (de circonstance à Saint-Siméon) dans lequel vous n’aurez qu’à glisser la monnaie en toute sécurité.
Autre chose : les jeunes poulettes ont commencé à pondre. Les œufs sont petits. Certains d’entre vous auront donc des œufs petits.
Pour compenser le faible calibre, vous aurez 12 œufs à la place de 6 (ou 24 à la place de 12 etc…) Prévoyez donc le nombre de boîte en conséquence !!!
A part ça, la semaine dernière, on a eu successivement le vent, la grêle, la pluie, les inondations… On apprécierait que ça se calme un peu.
À mercredi.
ericmaiteng2@gmail.com

 

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Benoît et Keiko
veau, bœuf, céréales…

 

Bonjour à vous,

J’espère que tout le monde va bien, et profite plutôt que se plaint même si la vie actuelle est un peu compliquée… Je dis cela, mais je n’habite pas en ville, donc c’est facile à dire, excusez-moi.

Nous allons bien, nous avons semé le tournesol et le maïs en avril avant la pluie, c’est un peu tôt pour semer le maïs en avril, mais, après deux ans de sécheresse, nous avons décidé de profiter de l’eau du printemps. Si on a encore l’été très sec et pas d’eau, nous devons réfléchir à remplacer le maïs par d’autres cultures. Nos animaux mangent très peu de maïs, mais nous le choisissons pour la rotation de nos cultures. Il nous convient très bien. On verra cet été.

Nous avons commencé à aménager la stabulation des veaux, nous espérons la finir avant cet automne. Nos veaux aurons plus de confort et d’air et cela va être moins de travail physique pour nous (nous curons toute les deux semaines à la main, mais après les travaux en tracteur), et de fait, on ne s’ennuie pas ! Maintenant, pour avancer, nous attendons que la pluie s’arrête un peu.
 Nos vaches ne profitent pas beaucoup d’être dehors, elle étaient un peu dehors un moment, mais comme il pleut beaucoup, elles enfoncent l’herbe, en plus le bord de ruisseau est débordé, elles sont aussi confinées.

C’est la 2ème fois que nous faisons cette huile avec notre presse à huile, nous cherchons un bon réglage, mais ce n’est pas encore évident, cela marche bien pour le tournesol, mais suivant la condition de moisson et le stockage et d’autre choses… cela sent bon comme le chou pour moi. 

C’est quoi l’huile de cameline ? 
De la famille des brassicaceae, anciennement crucifères, elle est très riche en acides gras oméga 3, et en vitamines, utilisez la pour vos salades, crudités. Elle est aussi idéale et adaptée aux usages cosmétiques.

Voilà nos nouvelles, portez vous bien.

 

La séquence du confiné #47

 

La séquence d’hier était tirée de L’atelier, film passionnant et sans doute l’un des meilleurs de Laurent Cantet. Le film se déroule à La Ciotat et suit une poignée de jeunes en insertion qui suivent un atelier d’écriture estival encadré par une romancière. Ensemble ils doivent écrire un roman qu’ils décident spontanément d’inscrire dans l’histoire des chantiers navals de la ville. Mais vite, la figure d’Antoine se détache, dont la prose inquiète de plus en plus l’animatrice et ses camarades.
Laurent Cantet dresse ici un portrait ancré dans le réel d’une bande de jeunes confrontés à l’écroulement douloureux du monde ouvrier de leurs parents et à l’émergence d’une économie de plaisance et de luxe qui ne leur promet que du sale travail. Entre racisme, peur et crise économique, Laurent Cantet capte sans didactisme les préoccupations d’une jeunesse sous tension qui peine à voir l’horizon. Construit lui-même comme un atelier (acteurs non-professionnels, écriture en mouvement, etc.), le film trace par sa forme même une piste contre l’errance : le processus de création comme révélation et transcendance d’un monde qui effraie.

 

Aujourd’hui, séquence #47 : portraits d’adolescentes en quête de liberté. Programmé chez nous du 29 octobre au 2 décembre 2014.