Journal de bord d'un cinéma fermé (semaine 8)

Ici est archivé le journal de bord du confinement de la semaine du mercredi 6/05 au lundi 11/05/2020

 

Mercredi 6 mai, jour 51 de l’après

 

PCA (Paysans & Consommateurs Associés)

Aujourd’hui, mercredi 6 mai de 18h à 19h livraison dans le hall du cinéma des paniers de légumes, oeufs, fromages de chèvre et pains.
Comme les mercredis précédents de cette période de confinement, restons loin les uns des autres et suivons le petit chemin sécurisé.
À tout à l’heure.

 

Comme les mercredis précédents, nous avons le vif plaisir vous transmettre les cadeaux de confinement que nous font réalisateurs et distributeurs qui accompagnent Utopia depuis de nombreuses années. Autant d’attentions qui nous touchent et nous mettent du baume au cœur pour affronter et réfléchir ensemble à la période en cours.

 

Cette semaine, en complément de Léger tremblement du paysage (visible jusqu’au 19 mai), Philippe Fernandez nous donne accès à son Cosmodrama pour une durée de trois semaines. L’occasion de cogiter en apesanteur, entre science et poésie !

 

L’équipe d’ED Distribution nous propose de voir La vengeresse, de Bill Plympton et Jim Lujan, plongée délirante et parodique dans l’Amérique profonde post-Trump. La boutique en ligne d’ED est ouverte, n’hésitez pas à fouiner dedans : www.eddistribution.com

 

Pendant le confinement, Pierre Carles s’est repenché sur Gébé, génial dessinateur de L’an 01 qui au début des années 70 questionnait le consumérisme et le productivisme. Pierre Carles en a tiré un film plein de résonances avec ce que nous vivons aujourd’hui. Gébé, on arrête tout, on réfléchit : n’est-ce pas le moment de nous (re)poser les bonnes questions ?

 

Enfin l’association Documentaire sur grand écran donne la possibilité de voir chaque semaine quelques films de son catalogue. Cette semaine est placée sous la thématique des « Biens communs », avec des films de Claire Simon, Dominique Cabrera et Emmanuel Gras.

 

Et bien sûr, nous ne saurions trop vous conseiller de jeter un oeil aux excellents catalogues cinéma des Mutins de Pangée et du Vidéo Club Carlotta.

 

 

La séquence du confiné #48

 

Hier, la séquence était extraite de Bande de filles de Céline Sciamma. Dans une cité de la banlieue de Paris, le film suit l’itinéraire de Marieme, seize ans, en situation d’échec scolaire et subissant l’autorité de son frère à la maison. Sa rencontre avec trois autres filles affranchies va lui permettre de trouver des échappatoires et de s’émanciper. Nouvelles amies, nouveau look et bientôt nouveau nom : comme dans ses deux premiers films (La naissance des pieuvres et Tomboy), Céline Sciamma filme une métamorphose adolescente. Fascinée, la caméra de Sciamma enregistre avec beaucoup de stylisation les moindres façons d’être de ces jeunes filles au seuil de l’âge adulte.

 

Aujourd’hui, séquence #48 : on reste à Paris pour une expérience tendre et joyeuse, avec de doux paumés. Film programmé chez nous du 8 mars au 18 avril 2017.

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Jeudi 7 mai, jour 52 de l’après

 

La séquence du confiné #49

 

Hier, la séquence était extraite de Paris pieds nus de Fiona Gordon et Dominique Abel. A leur habitude, le couple Abel et Gordon invente une comédie poétique avec le personnage de Fiona (Gordon), une bibliothécaire canadienne qui part pour Paris suite à un appel au secours de sa grand-mère (Emmanuelle Rivas). Celle-ci veut éviter la maison de retraite mais perd un peu la tête, si bien que Fiona doit se lancer à sa recherche dans cette grande ville qu’elle ne connaît pas. Heureusement elle croisera Dom (Abel), un SDF qui, lui, connaît la ville mais s’avère un peu collant…
Dans la lignée de Keaton, Chaplin ou Tati, Abel et Gordon signent un film plein d’humour, de charme et de tendresse. Les cadres sont précis, le rythme est parfaitement maitrisé et l’expression corporelle toujours aussi inventive. Ils offrent en outre un dernier rôle émouvant à la grande Emmanuelle Rivas.

 

Aujourd’hui, séquence #49 : en route pour le Canada justement, avec un voyage entre rêve et réalité. Film programmé chez nous du 21 octobre au 17 novembre 2009.

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Vendredi 8 mai, jour 53 de l’après

 

Les acteurs du milieu du cinéma sont nombreux à prendre la parole pour initier un changement radical de nos modes de vies. Nous souhaitions relayer ici celle de Vincent Lindon, que nous aimons beaucoup à Utopia et qui a adressé à Médiapart un appel imprégné de la sincérité, de l’humilité et de l’engagement qu’on lui connaît. Il n’y est pas question de culture, mais d’une réflexion bien plus large sur notre démocratie. Ce n’est cependant pas sans rappeler les personnages qu’il a incarné dans les films de Stephane Brizé (La loi du marché, En guerre) ou d’une autre manière dans Pater d’Alain Cavalier. Cette lettre filmée nous a paru d’une grande force. Vous pouvez la découvrir ci-dessous et lire l’article de Médiapart en cliquant ici.

 

 


La séquence du confiné #50

 

La séquence d’hier était extraite de Winnipeg mon amour de Guy Maddin. A sa manière, le cinéaste canadien bricole un portrait de sa ville en agençant des centaines d’images d’archives et quelques plans de fiction, le tout recouvert d’une texte instructif et introspectif continuel qui place le spectateur dans un état de stupéfaction. Un peu à la manière de cette ville, dont le froid plonge les habitants dans une sorte de somnambulisme pendant une grande partie de l’année… Chez Guy Maddin, grand mystificateur, on est toujours un peu entre rêve et réalité, flottant dans une nuée d’images d’une beauté sidérante qui évoquent sans cesse la puissance primitive du cinéma. De cette ville, le cinéaste nous donne sa vision volontairement déformée, bourrée d’anecdotes ubuesques invérifiables et de reflux de souvenirs enfouis. En cela, Winnipeg mon amour est avant tout l’auto-exploration d’un artiste hanté par sa propre ville.

 

Aujourd’hui, séquence #50 : la femme est un roseau pensant. Programmé chez nous du 29 janvier au 31 mars 2014.

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Samedi 9 mai, jour 54 de l’après

 

La séquence du confiné #51

 

La séquence d’hier était extraite de Nymph()maniac (volume 2) de Lars von Trier. Le film (en deux parties) se déroule en une longue nuit, celle de la rencontre entre une femme victime d’une agression et le vieil homme solitaire qui lui porte secours et l’accueille chez lui ce soir-là. La femme va alors se confier à son bienfaiteur et plonger dans ses souvenirs. C’est une vie toute entière qui nous est alors racontée, celle d’une femme complexe (formidablement interprétée par deux actrices : Charlotte Gainsbourg et Stacy Martin) qui s’est à la fois accomplie et détruite par le sexe.
Grand explorateur de la psyché féminine, Lars von Trier joue évidemment de toutes les provocations offertes par tel scénario pour, au final, aboutir à un film d’une richesse impressionnante sur les questions de la liberté et la morale. Comme toujours chez lui, les rapports du corps et de l’esprit sont le siège d’irrémédiables névroses dont les personnages cherchent à s’affranchir en accomplissant un chemin de croix. Dans Nymph()maniac, Lars von Trier s’affirme à nouveau comme un incroyable créateur de formes, fragmentant son ample récit en de multiples expérimentations visuelles qui, au fond, ne visent qu’à servir son propos : l’exploration libre et permanente comme accès à la connaissance de soi.

 

Aujourd’hui, séquence #51 : question de sexe toujours, cette fois du côté de la solitude du mâle moderne. Programmé chez nous du 7 décembre 2011 au 24 janvier 2012.

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Dimanche 10 mai, jour 55 de l’après

 

La séquence du confiné #52

 

Hier, la séquence était tirée de Shame de Steve McQueen. Le film décrit la vie d’un beau et jeune cadre de la finance new-yorkaise, séducteur compulsif totalement obsédé par le sexe. Le jour où sa sœur un peu paumée vient se réfugier chez lui, il ne peut plus cacher son addiction qui, bientôt, ne sera plus dissociable du mépris qu’il a de lui-même.
La mise en scène sensuelle et formaliste de Steve McQueen magnifie le physique parfait de Michael Fassbender, corps dominé par des désirs violents qui, assouvis ou non, laissent toujours place au vide et à la détresse (voir la séquence proposée). Cru mais sans vulgarité, le regard emphatique de McQueen confronte habillement les maux de son personnage principal aux plaies de l’âme dont souffre sa sœur. Portrait d’un addict à la chair et ce que cela dit du manque que produisent nos sociétés modernes…

 

Et puisque le confinement touche à sa fin, le nouvel extrait sera aussi celui qui clôt cette « séquence du confiné » que nous vous proposons depuis le 20 mars déjà. Aujourd’hui donc, séquence #52, la dernière mais pas des moindres : une méditation sur l’état du Monde. Vos réponses et vos commentaires à l’adresse habituelle : bordeaux@cinemas-utopia.org.

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Lundi 11 mai, jour 55 de l’après

 

Hier, la séquence était extraite de Film Socialisme de Jean-Luc Godard. En 2009, Godard filme à bord du paquebot Costa Concordia une croisière métaphorique d’une Europe livrée au consumérisme et au spectacle. Le film prend la forme de ce que Godard pratique depuis la fin des années 90 : dissolution du récit au profit de l’essai libre, goût proéminent pour les aphorismes et les citations, associations d’images venues de toutes parts, systématiquement passées au tamis de la dégradation et de la sublimation du langage godardien. Dans ce paquebot où se côtoient croisiéristes anonymes, artistes (Patty Smith) ou penseurs (Alain Badiou), Godard ne filme que des fragments, images inachevées d’un présent incomplet. Le montage propose, creuse, tente des associations qui peu à peu construise une pensée. Godard renvoie l’Europe à son histoire ancienne. « Pauvre Europe » : acculée par sa conception de la liberté, prisonnière de l’argent, oublieuse de son histoire et devoirs qui lui incombe. Hasard ou fertilité de la métaphore, le Costa Concordia s’est tragiquement échoué sur le côtes italiennes trois ans plus tard, en janvier 2012.

 

Ainsi se termine la « séquence du confiné ». Nous espérons qu’elle aura pu vous accompagner en images le temps de cette étrange parenthèse. De notre côté, nous avons pris beaucoup de plaisir à la concocter en laissant le cinéma nourrir nos réflexions quotidiennes. Merci pour vos participations et votre fidélité. Un immense bravo à Aurore, du cinéma, pour avoir rassemblé et habilement associé tous ces extraits. Rappelons que toutes les séquences proposées étaient extraites de films ayant fait l’objet d’une « soirée-discussion », moment d’échange convivial autour d’un film entre vous (spectateurs) et nous (membres d’Utopia). En avril devait avoir lieu la 100ème soirée-discussion. Nous vous la proposerons « en vrai » dès que possible et avons hâte de vous retrouver dans nos salles.

 

Et pour ne pas se laisser abattre et continuer à inventer, à résister et à prendre la vie du bon côté, voici un dernier petit extrait de circonstance !

 

L’équipe d’Utopia