Journal de bord d'un cinéma fermé (semaine 1)

Ici est archivé le journal de bord du confinement de la semaine du 20/03 au 24/03/2020

 

Vendredi 20 mars, jour 6 de l’après

 

Cette première semaine est largement consacrée aux diverses démarches nécessaires à la survie de notre petite entreprise et d’abord de ses salariés : tout le monde (nous sommes 12, ça commence à faire) est au chômage partiel. 70% du salaire brut, soit 84% du net puisqu’il n’y a pas de cotisations sociales. C’est l’entreprise qui paie et qui est remboursée ensuite par l’Etat (dans quel délai, là est la question). Dans un premier temps en tout cas, tant que la trésorerie le permet, la SCOP va assurer l’intégralité des salaires, et paiera les 30% brut complémentaires, cotisations sociales incluses pour le coup.


Il faut reconnaître que l’Etat et ses administrations ont pris des mesures qui nous permettent de ne pas nous sentir seuls à nous dépatouiller dans cette situation… qu’on a du mal à qualifier : le paiement des taxes diverses (en particulier pour nous la fameuse Taxe Spéciale Additionnelle, 10,72 % du prix de chaque billet, qui sert à alimenter toute la chaîne du cinéma, pas loin de 15 000 euros à régler en mars !) est suspendu, les cotisations sociales différées. Ça soulage.


On essaie de continuer de régler les factures de nos fournisseurs, en particulier les plus petits, les plus fragiles, parce qu’on sait bien qu’on n’est pas les seuls à être dans la panade.


Bref on s’organise, on fait la tortue, comme les légionnaires romains dans Astérix. Il faut juste espérer qu’Obélix respecte scrupuleusement le confinement.

 

Prenez soin de vous, restons proches de loin.

Patrick

 

La séquence du confiné #1

 

En avril, le cinéma Utopia Bordeaux était sur le point de fêter la 100ème « soirée-discussion ». Cent fois qu’on vous propose, à raison d’un lundi soir par gazette, de rester en salle pour discuter - entre vous (spectateurs) et nous (membres d’Utopia) - à bâtons rompus d’un film pioché au sein de notre programmation, et où se croisent diverses lectures et interprétations enrichissant la vision de toutes et de tous dans la bonne humeur.

 

Nous avions prévu, donc, d’organiser une soirée-quizz à cette occasion, en rediffusant des extraits de 100 secondes nous replongeant dans l’ambiance d’un des films ayant été programmé un de ces lundis-là. Retenez vos larmes, cette soirée aura lieu à la réouverture. En attendant, Aurore (initiatrice de ce sympathique rendez-vous) nous propose de s’amuser à domicile en s’inspirant de l’émission de télé (« La séquence du spectateur ») qu’elle ne ratait jamais (le dimanche à l’heure de la messe…), pendant laquelle étaient diffusés 3 extraits de 10 minutes.

 

A vos réponses (bordeaux@cinemas-utopia.org) et surtout à vos commentaires, puisque rien n’empêche de nous dire comment ce film a fait son chemin dans vos esprits de spectateurs !
Petit indice pour ce premier extrait : il s’agit d’un drôle de film en costumes sur fond de lutte des classes dans les plaines du Nord…

 

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Samedi 21 mars, jour 7 de l’après

 

Le cinéma est fermé mais j’y viens régulièrement, presque tous les jours à vrai dire (le sevrage est difficile), dûment muni de mon auto-justificatif de déplacement professionnel. Il y a des démarches administratives que je ne peux pas faire de chez moi, je ne suis heureusement pas équipé pour être intégralement en télétravail. Mon truc à moi depuis trente ans, c’est plutôt le cinétravail.


Je viens et j’ai donc le cinéma pour moi tout seul. Il y en a qui quittent la ville pour leur vaste résidence secondaire à la campagne ou sur le bassin, moi je me confine entre les murs vénérables d’Utopia Bordeaux. C’est quand même autre chose !
Je fais l’intéressant mais sur place ce n’est pas la joie. L’ambiance est étrange, je ne vous dis que ça. Sentiment d’abandon, vide intersidéral, froid minéral, silence de cathédrale (notre église Saint-Siméon monte en grade, elle n’en demandait pas tant)…

 

Fauteuils

 

Une fois la paperasse expédiée, l’ordinateur éteint, je fais une petite visite des lieux. Je monte à la salle 5, histoire de vérifier que la statue d’Urbain Cinq et Trois font Huit et Huit font Seize est toujours bien à sa place au pied de l’écran. J’ai un mouvement de recul en entrant dans la salle 4 parce que j’ai oublié que Technologistique a interrompu en catastrophe, dès le premier soir, le chantier de remplacement des fauteuils – ils sont tous démontés, les assises sont parties à l’usine, les dossiers sont empilés sur le devant de la salle. Je fais un tour dans les cabines de projection, tout va bien, ça clignote en rouge et vert comme dans un poste de pilotage d’avion de ligne : c’est la loi du numérique, les appareils doivent rester en veille permanente. Je reviens dans le hall et mon regard se pose sur l’affiche de BENNI, le film allemand qui devait sortir mercredi 18 mars et qui est en première page de notre dernière gazette avant l’entrée sur the lost highway, un film secouant et palpitant qu’on rêve de vous faire découvrir. Ce n’est que partie remise, il faudra juste être un peu patients, vous comme nous.
Bon, il ne faut pas s’éterniser. Retour fissa au confinement domestique.
Samedi 21 mars, tiens au fait, c’est le printemps ! Décidément ma pauvre dame, les saisons c’est plus comme avant…

 

Prenez soin de vous, restons proches de loin.

Patrick, Phantom of the Utopia

 

La séquence du confiné #2

 

Bravo à celles et ceux qui ont trouvé l’extrait précédent, le jubilatoire Ma Loute de Bruno Dumont, sorti en 2016. Virage insoupçonnable dans l’oeuvre du cinéaste (qu’Utopia suit inconditionnellement depuis ses débuts), amorcé avec sa mini-série P’tit Quinquin, Ma Loute sidère par son audace formelle, où l’on retrouve côte à côte tout le dépouillement propre à son auteur et une outrance comique cartoonesque. Dumont signe une critique virulente d’une bourgeoisie fin de race et d’un prolétariat littéralement carnivore. Désolpilant et furieusement dérangeant…

 

Pour la séquence d’aujourd’hui, on corse un peu les choses. Il s’agit d’une chronique épique d’un combat de femme : quand la petite histoire raconte la grande… A vos réponses (bordeaux@cinemas-utopia.org) et surtout à vos commentaires cinéphiliques !

 

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Dimanche 22 mars, jour 8 de l’après

 

La séquence du confiné #3

 

Bravo à celles et ceux qui ont reconnu dans l’extrait #2 le très beau Vincere sorti en 2009. Marco Bellocchio ose le mélodrame pour raconter l’histoire d’Ida Dalser et de son fils, fruit de sa liaison avec Benito Mussolini. Déjà marié, Mussolini ne reconnut jamais cet union et, à mesure que son pouvoir augmenta, ne cessa de briser la vie d’Ida et de son fils. Avec ce combat absolu d’une femme pour la vérité, Bellocchio éclaire les années sombres de l’Italie de son cinéma opératique, baroque et politiquement époustouflant.



Pour la séquence du jour, petit indice : toute la force d’une caméra cachée dans un paquet de mouchoirs. Le film a été programmé chez nous du 15 avril au 16 juin 2015. A vos réponses (bordeaux@cinemas-utopia.org) et à vos commentaires !

 

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 Lundi 23 mars, jour 9 de l’après

 

Vu du ciel, il apparaît qu’à quelque chose malheur est bon puisque le nuage de pollution qui surplombait la Chine et le Nord de l’Italie est passé du gris sombre opaque au bleu transparent : moins de circulation, moins de voyages, moins de croisières, moins d’industrie… Pour peu qu’on fasse l’effort de moins de gaspillage et d’un meilleur recyclage, cette crise désespérante pourrait devenir le coup d’envoi d’une remise en question de nos modes de vie et de consommation et donc d’un nouvel espoir pour la planète… Ne nous trompons pas : ce coup de semonce qui nous secoue n’est qu’un avertissement qui annonce plein d’autres calamités qui nous pendent au nez… sauf à changer radicalement de paradigme… Lisez donc l’excellent article du numéro de mars du Monde Diplomatique : D’où viennent les coronavirus ? Contre les pandémies : l’écologie.
https://www.monde-diplomatique.fr/2020/03/SHAH/61547

 

« On arrête tout, on réfléchit »…
Le mot d’ordre lancé par Gébé et Doillon en 1971 dans L’An 01 est plus que jamais d’actualité. Ce monde n’en peut plus et il va bien falloir qu’on se mette, cette fois contraints et forcés, à tout faire pour le changer… réfléchir surtout ! Réfléchir à plein neurones et arrêter de déconner à gober n’importe quelle nouvelle bidon, à rejeter toujours la faute sur ceux qui « gouvernent » comme s’ils étaient cause de tout et pouvaient tout, comme si chacun de nous n’y était pas un peu pour quelque chose… Cette pandémie vient nous filer une grande claque dans la gueule : on a foncé comme des malades sur les rails de l’obsolescence programmée, de la consommation à tout berzingue, accumulant les choses inutiles, bouffant sans se poser de question… embringués par le baratin des médias et de la pub, qui nous faisaient rêver d’opulence sans fin, nous vendaient la jeunesse, la beauté lisse, l’éternité… mais non ! On est fragiles et le temps nous est compté. Si certains continuent à attiser les petites querelles idiotes qui nous ratatinent le mental au lieu de se pencher sur les vrais problèmes, beaucoup de voix posent plus franchement les questions fondamentales que cette crise met en pleine lumière… Puissions-nous les écouter, apprendre à distinguer parmi le vacarme médiatique l’essentiel du dérisoire… On arrête tout, on réfléchit… Depuis le temps qu’on cause de refaire le monde… peut-être que c’est l’occasion de s’y mettre ! Personne ne le refera pour nous, et encore moins sans nous…

 

Anne-Marie, co-fondatrice d’Utopia et ange tutélaire

 

La séquence du confiné #4

 

Bravo à celles et ceux qui ont trouvé la réponse à la séquence précédente. Et merci pour vos messages de soutien et vos commentaires sur les séquences proposées. Pour éclairer la séquence proposée hier, nous nous permettons d’ailleurs de publier le remarquable commentaire que nous a fait parvenir Patrice Lajus par mail : ” L’extrait proposé ce dimanche provient de Taxi Téhéran de Jafar Panahi, réjouissante déambulation automobile dans les rues d’une ville où surgissent au fil des parcours des bribes de vies multiples entre cinéma vérité et fiction révélatrice. Un film très vivant et dynamique, malgré le… confinement dans l’habitacle d’un véhicule. Le cinéma comme mouvement et défilement de scènes derrière des vitres-écran, avec humour et sensibilité.”

 

Aujourd’hui, séquence #4 : un père qui voudrait marier sa fille, une fille qui ne parvient pas à abandonner son père. Le film a été programmé chez nous du 18 février au 10 mars 2009.

 

 

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Mardi 24 mars, jour 10 de l’après

 

La séquence du confiné #5

 

Hier, la séquence #4 était tirée de 35 Rhums, de Claire Denis. Bravo à celles et ceux qui ont deviné. Dans ce film, que l’on sent inspiré du cinéma d’Ozu (le rhum ayant remplacé le saké), Claire Denis raconte avec modestie et évidence les liens entre un père (le formidable Alex Descas) et sa fille devenue adulte (Mati Diop, réalisatrice du superbe Atlantique programmé cet automne). La caméra de Claire Denis saisit avec une infinie délicatesse leur inéluctable séparation, comme une lente déchirure.

 

Pour la séquence d’aujourd’hui, changement d’époque, avec cette question : peut-on être un cœur pur lorsque s’abattent sur nous la folie et la cruauté humaine ? La film a été programmé chez nous du 4 au 24 novembre 2015. A vos réponses et à vos commentaires (bordeaux@cinemas-utopia.org)