Journal de bord d'un cinéma fermé (semaine 2)

Ici est archivé le journal de bord du confinement de la semaine du mercredi 25/03 au mardi 31/03/2020

 

Mercredi 25 mars, jour 11 de l’après

 

PCA

Que devient PCA, Paysans et Consommateurs Associés (pca.nursit.com) ? Les distributions continuent au cinéma chaque mercredi en fin d’après-midi, de 18h à 19h. Depuis que nous avons fermé le ciné, vous êtes un certain nombre à nous demander ce que devient PCA, notre Amap un peu particulière qui tient ses quartiers à Utopia depuis une bonne quinzaine d’années. Allions nous arrêter ou continuer ? En accord avec les producteurs et consommateurs, nous sommes heureux de vous annoncer le maintien des livraisons au ciné.

 

La décision est logique et raisonnable : il faut bien se nourrir, il faut bien que les producteurs récoltent ce qu’ils ont semé, et qu’ils puissent poursuivre leur activité. Par conséquent, si vous le souhaitez, vous pouvez passer commande pour le mois d’avril. Les bons de commande sont d’ores et déjà disponibles sur le site de PCA: pca.nursit.com. Comme d’habitude, vous commandez et payez à l’avance en fin de mois pour le mois suivant. Pas de changement sur ce point. Et vous venez au cinéma récupérer vos denrées alimentaires chaque mercredi. Pas de changement ici non plus. En revanche, en l’état actuel de la situation et pour respecter les consignes de sécurité sanitaire, les commandes seront limitées en nombre, leur règlement et l’accueil au cinéma seront modifiés.

 

Merci de lire attentivement ce qui suit.

 

1) L’horaire change : rendez-vous de 18h à 19h et non plus de 19h à 20h

 

2) Pour les commandes, pas de changement : les bons de commandes sont toujours disponibles sur le site, vous pouvez y trouver dès maintenant ceux du mois d’avril. En revanche, changement concernant la remise de votre bon de commande au producteur. Pas de remise en mains propres au producteur concerné, à vous de lui envoyer le bon, une fois rempli bien sûr, par e-mail. Toutes les adresses sont sur le site.
Bon fromage (avril 2020), Bon légumes (avril 2020), Bon oeufs et salades (avril 2020), Bon pain (avril 2020), Bon Pantanassa (avril 2020), Bon tisanes (avril 2020).

 

3) Le règlement se fera de préférence par virement bancaire. RIB des producteurs sur le site et sur les bons de commande. 

 

4) Aménagement spécial pour l’accueil au cinéma, qui se fera dans le hall et non plus dans la salle de la cheminée. Consignes : merci de venir seul si possible, d’attendre que votre tour arrive pour entrer dans le hall en prenant soin de garder vos distances, plus d’un mètre entre chacun d’entre vous. Merci d’entrer un par un par un dans le hall et dès que vous avez pris livraison de vos denrées alimentaires, repartez de suite sans y stationner (je sais, c’est dur de ne pas tchatcher) par la sortie qui sera fléchée au sol, comme l’entrée.

 

L’équipe d’Utopia est toujours et plus que jamais partante pour accueillir PCA chaque mercredi. Deux d’entre nous, Stephen et Isabelle en principe, seront là pour vous guider.

 

Un grand merci à toutes et tous d’avoir manifesté votre intérêt pour PCA qui, une fois par semaine et durant 1 heure, donnera vie à Utopia ! Et aussi, par avance, un grand merci de veiller à respecter, comme mercredi dernier, les consignes de sécurité sanitaire.

 

Sans transition, si vous le permettez. En cette période redoutable et redoutée, certains d’entre vous vivent peut-être des moments très douloureux pour avoir un parent, un proche touché par cette saloperie de virus. Si vous êtes de ceux-là, sachez que nous sommes de tout coeur avec vous dans cette terrible épreuve.

À mercredi, Isabelle pour Utopia
Vidéo 120 minutes

 

La séquence du confiné #6

 

Bravo à celles et ceux qui ont reconnu dans la séquence #5 Au hasard Balthazard, chef-d’œuvre de Robert Bresson avec la toute jeune Anne Wiazemski. La vie de l’âne Balthazar aux prises avec ses maîtres successifs. Le cinéma de Bresson brise tout rapport avec l’art dramatique pour trouver une justesse esthétique et morale exceptionnelle. Toutes les fautes des hommes dans l’œil d’un âne…

 

La séquence d’aujourd’hui nous transporte tout ailleurs, vers une violence des échanges en (Empire du) milieu tempéré… Programmé chez nous du 11 décembre 2013 au 11 février 2014. A vos réponses et à vos commentaires !

 

 

////////////////////////////////////////////////

 

Jeudi 26 mars, jour 12 de l’après

 

La séquence du confiné #7

 

Bravo à celles et ceux qui ont identifié la séquence #6. Il s’agissait de A Touch of Sin de Jia Zhangke, avec la fabuleuse Zhao Tao au maniement du couteau. Immense cinéaste (quasiment toujours en couverture de nos gazettes Utopia : Au-delà des montagnes ou Les Eternels pour le plus récents), Jia Zhangke dresse dans A Touch of Sin un constat de la Chine contemporaine à travers quatre histoires situées dans différentes provinces du pays. Quatre récits où le développement économique brutal de la Chine s’abat sur des femmes et des hommes ordinaires, ne trouvant d’autres issues que dans l’explosion d’une violence radicale et soudaine. Aucune complaisance pourtant dans la mise en scène virtuose de Jia Zhangke, qui chorégraphie de manière glaçante ces saillies de brutalité, à juste distance mais sans ne rien en masquer. Un regard lucide sur la sauvagerie du monde moderne où Jia Zhanke s’attache à dépeindre, comme toujours avec humanité, la détresse des laissés-pour-compte.

 

La séquence #7 ramène un peu de douceur avec un autre cinéaste phare dans la programmation d’Utopia. La beauté nous entoure parfois, il suffit juste de regarder et tendre l’oreille… Programmé chez nous du 21 décembre 2016 au 4 avril 2017.

 

 

////////////////////////////////////////////

 

Vendredi 27 mars 2020, jour 13 de l’après

 

Alors, c’est quoi le confinement pour un spectateur de cinéma ? On entend souvent que la cinéphilie est une pratique solitaire. On s’aperçoit, en ces temps, que nous menons nos vies avec une évidence aveuglante. Et c’est privé de la chose qu’on s’aperçoit qu’elle nous manque, comme dirait l’autre. Qu’y a-t-il de si solitaire à se rendre - même seul ! - dans un lieu public, dans une salle commune, regarder un film en même temps que d’autres personnes ? Depuis le confinement, partout les pages web, les journaux, les réseaux regorgent de conseils et de mises à disposition de contenus (on parle bien de films, mais il semble que le vocable change quand ils passent dans le tuyau). A portée de clics, des océans d’images, mais la curieuse sensation qu’il manque l’essentiel.

 

Me revient soudainement une expérience de confinement cinéphilique extrême : le film Ne croyez surtout pas que je hurle, de Frank Beauvais. Nous l’avons programmé, à Bordeaux, en octobre dernier et son auteur est même venu nous en parler dans notre petite salle 1. Suite à une déception amoureuse, Frank Beauvais s’était enfermé dans son village d’Alsace, coupant quasiment tous ses contacts avec le monde extérieur, visionnant 4 à 5 films par jour pendant six mois. La France d’alors le pétrifiait : c’était d’urgence, le pays était encore sous le choc des attentats de novembre 2015, entretenant la peur et la surveillance. « Je ne vois plus de monde. Je ne vois plus le monde. J’essaie de le penser à travers les films, les films seuls que je vois jours et nuits », écrit-il. Ne croyez surtout pas que je hurle fait le récit de cette traversée dans un texte splendide, recouvert exclusivement d’images issues de quelque 400 films visionnés durant la période. Preuve, peut-être, que du désespoir et du repli peut sortir quelque chose. Plonger en nous, trouver l’écho du regard des autres, pour deviner une perspective. Qui a dit que la cinéphilie était une activité solitaire ?

 

Prenez soin de vous, restons proches de loin.

 

La séquence du confiné #8

 

Il fallait bien sûr reconnaître dans la séquence #7 le splendide Paterson de Jim Jarmusch (autre favori de nos gazettes). Sept jours dans la vie du couple formé par Paterson (Adam Driver), chauffeur de bus et poète à ses heures, et sa compagne créatrice Laura (Golshifteh Farahani). Peu d’événements dans cette vie ordinaire et paisible : pourtant tout est là, dans l’attention aux détails et la délicatesse des relations. Oeuvre parfaitement anti-spectaculaire, Jarmusch signe un film plein de grâce sur la sublimation du quotidien et la poésie vue en toute chose.

 

La séquence du jour, quant à elle, nous donne à voir un grand mystère dans une merveille thriller hypnotique, intimiste et complexe… A vos réponses (bordeaux@cinemas-utopia.org) et à vos commentaires !

 

/////////////////////////////////////

 

Samedi 28 mars, jour 14 de l’après

 

La séquence du confiné #9

 

Hier, il fallait trouver Burning du grand réalisateur sud-coréen Lee Chang-Dong. Thriller romantique et puzzle mental, Burning suit le triangle amoureux formé par deux jeunes prétendants, un livreur de classe populaire et un jeune arriviste fortuné, tous deux attirés par la belle et mystérieuse Haemi. Lee Chang-Dong fascine par la poésie de sa mise en scène (plusieurs séquences - dont celle de l’extrait - sont réellement inoubliables) et la richesse des pistes qu’il ouvre par les petits détails et les signes qu’il accumule au long du récit. Désir, absence, mensonges ou encore lutte des classes : Burning n’en finit pas de sonder l’existence dans l’épreuve de la rivalité. Magistral et hypnotique.

 

Aujourd’hui, séquence #9 : fin d’une époque… Programmé chez nous du 29 octobre 2008 au 6 janvier 2009. Vos commentaires sont les bienvenus (bordeaux@cinemas-utopia.org), nous les lisons avec grand intérêt. Et oui, le ciné est fermé. Vous aussi, vous commencez à nous manquer…

 

//////////////////////////////////////

 

Dimanche 29 mars, jour 15 de l’après

 

La séquence du confiné #10

 

Bravo à celles et ceux qui ont reconnu la séquence d’hier : La Vie Moderne, de Raymond Depardon. Dernier volet de sa trilogie Profils Paysans, Depardon - lui-même fils de paysan - retourne au bout des petites routes des Cévennes, dans les fermes qu’il filme depuis 10 ans. Sans fausse proximité, jamais surplombant, Depardon place toujours sa caméra à l’endroit juste et capte avec amour et évidence la lueur d’un monde qui disparaît.

 

Aujourd’hui, beaucoup plus difficile, le film de la séquence #10 nous parle de l’amour, de la mort et de la beauté des choses. Le film a été programmé chez nous il a tout juste 10 ans, du 10 au 30 mars 2010. Vos réponses, toujours appréciées, à bordeaux@cinemas-utopia.org.

 

 

Et en bonus, cette séquence quiz « spéciale changement d’heure » vous rappellera la bonne méthode pour obtenir l’heure juste…

 

 

///////////////////////////////////////

 

Lundi 30 mars, jour 16 de l’après

 

Au fil des jours, on s’aperçoit qu’il n’est pas facile de tenir à jour ce journal de bord. L’idée était bien sûr de rester en contact avec vous, de vous donner des nouvelles du ciné pendant cette période de séparation forcée. Mais des nouvelles du bord, il n’y en a pas bézef ! Le navire est en cale sèche et sa remise à l’eau n’est pas pour demain… On n’échappera pas au confinement jusqu’à fin avril et il est très probable que les lieux publics ne pourront pas redémarrer dans la foulée donc impossible pour l’instant de prévoir une date un tant soit peu plausible de réouverture. Dans ces conditions tout est gelé. Trop tôt pour réfléchir à une organisation pratique de la reprise. Trop tôt pour commencer à envisager une programmation, puisque les distributeurs eux-mêmes ne savent pas quand dater la sortie de leurs films. Trop tôt aussi pour répondre concrètement à vos nombreuses offres de soutien, vos propositions d’achats de carnets de tickets à l’avance. Comme je le disais dans mon premier message, les mesures prises par le gouvernement (chômage partiel, report des cotisations sociales et des échéances bancaires, versement anticipé de la dotation Art et Essai…) devraient permettre à notre trésorerie de tenir le coup. C’est à la réouverture ou juste avant qu’on aura besoin de vous, de votre présence active, de votre mobilisation massive. Mais sachez que tous vos messages de soutien par mail ou via face de bouc sont une vraie bénédiction pour notre moral et nous confirment que les liens qui unissent Utopia et ses spectateurs ne sont pas ordinaires !
En attendant je pourrais vous raconter que j’ai décidé d’égaler la performance de ce mec qui a couru l’équivalent d’un marathon sur son balcon de 3,50 mètres de long, ce qui représente 6000 allers-retours ! Le tour carrossable de mon jardinet fait 25 mètres environ, il me faut donc enquiller 1680 rotations pour atteindre le nirvana. Pour l’instant j’en suis à 50… mais je débute. Si le confinement dure 6 mois, l’exploit est envisageable…
Non, on voudrait ne pas vous fourguer un énième carnet intime de mon confinement à moi**. Ne pas jouer la Leila Slimani au petit pied, la Marie Darrieussecq au rabais, ces deux écrivaines (parmi d’autres) qui, via les sites du Monde et du Point, chroniquent leur isolement, l’une (MD) depuis sa grande demeure familiale au Pays Basque, l’autre (LS) de la maison à la campagne où elle passe tous ses week-ends depuis des années : «… Par la fenêtre de ma chambre, j’ai regardé l’aube se lever sur les collines… » Malgré leur talent d’écriture, et le sens de l’observation qui va avec, il y a évidemment quelque chose de vain et de gênant dans cet exercice : allo la Terre, ici la Planète des Privilégiés…
Je vais essayer de m’éviter ça, on va essayer de s’éviter ça.
Mais on vous donnera des nouvelles dès qu’il y en aura, on vous racontera des trucs dont on se dira qu’ils peuvent vous intéresser. On vous donnera aussi des liens de films à voir… À suivre.

 

Patrick, confiné ben ordinaire (à lire avec l’accent québecois : Ordinaire, belle chanson oubliée de Robert Charlebois)

 

** Allusion directe à l’hilarante chronique signée Pépette Andrieu sur le site de la Radio-Télévision Belge de la communauté Française (rfbf.be). Une fois de plus, vive les Belges !

 

La séquence du confiné #11

 

Hier, la séquence #10 était extraite du film Tatarak, du grand cinéaste polonais Andrzej Wajda. Krystyna Janda y interprète une actrice qui prépare un film dans lequel elle tombe amoureuse d’un jeune homme, alors qu’elle vit dans la réalité les derniers moments de la vie de son mari. Entre fiction et réalité, Krystyna Janda nous subjugue d’authenticité dans cette oeuvre mélancolique où Wadja évoque sa longue expérience de cinéma : une promenade mélancolique avec l’amour et la mort.

 

La séquence « spéciale changement d’heure » était quant à elle tirée du film Le Barzellette de Carlo Vanzina (2004). Bravo à celles et ceux dont la cinéphilie avant-gardiste a permis de reconnaître cet extrait…

 

Aujourd’hui, séquence #11 : il était une fois un lac ensoleillé, un sous-bois et un parking. Film programmé chez nous du 12 juin au 30 juillet 2013. N’hésitez pas à laisser un petit commentaire personnel sur le film en même temps que la réponse (bordeaux@cinemas-utopia.org), c’est tellement plus sympa !

 

 

/////////////////////////////////////////////////

 

Mardi 31 mars, jour 17 de l’après

 

La séquence du confiné #12

 

Bravo à celles et ceux qui ont reconnu la séquence d’hier. Nous laissons l’annonce de la réponse à Françoise, habituée du cinéma, qui nous a adressé son commentaire par message : « L’inconnu du lac, Alain Guiraudie, 7 ans déjà. Pour moi c’est hier, j’avais adoré ce film tellement sensuel. La chaleur en été, l’odeur du lac, je les ressentais. La beauté des images, l’argent de la surface du lac, éblouissante, l’amour charnel cru, impérieux et l’amitié désintéressée, le thriller qui sous-tend tout ça… Un film sur le sexe, le désir, peu importe que ce soit des homosexuels, j’étais enthousiaste en sortant ! »

 

Aujourd’hui, séquence #12 : portrait de l’artiste en femme d’âge mûr. Programmé chez nous du 20 août au 30 septembre 2014. Réponse en nous écrivant à bordeaux@cinemas-utopia.org.

Nous rappelons que chaque extrait proposé dans le cadre de ces séquences du confiné est extraite d’un film qui a fait l’objet d’une « soirée-discussion » au cinéma, rendez-vous qui nous permet (à raison d’un lundi par gazette) de discuter à bâtons rompus d’un film entre vous, spectateurs, et nous, membres d’Utopia. On espère chaleureusement vous y retrouver bientôt !