Quiz des "trente dernière secondes" du n°1 au n°50

Ici sont archivées les publications du quiz des “trente dernières secondes” du n°1 au n°50

 

Quiz cinéma : les 30 dernières secondes

Pour célébrer la fin de l’année écoulée et vous présenter nos meilleurs vœux pour 2021, l’équipe d’Utopia Bordeaux (sur un colossal travail d’archiviste d’Aurore) vous propose un nouveau quiz cinéma ! Comme au printemps dernier, lorsque nous vous proposions « La séquence du confiné ». Sauf que cette fois, il s’agit de retrouver le titre d’un film à partir de ses 30 dernières secondes, juste avant l’apparition du générique.

Pour participer, vous pouvez envoyer vos réponses à bordeaux@cinemas-utopia.org ou dans les commentaires de la publication Facebook. Et n’hésitez pas à nous dire ce que l’extrait proposé évoque dans vos souvenirs cinéphiles.

 

 

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Mercredi 6 janvier

Pour ce premier extrait, un indice : le théâtre sous l’Occupation.

 


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Jeudi 7 janvier

 

Première fin hier, pas trop difficile à identifier : LE DERNIER MÉTRO (1980), l’un des plus grands succès de François Truffaut, une sorte d’apogée de sa veine romanesque. L’amour du récit, l’amour du théâtre, l’amour du jeu, l’amour des actrices et des acteurs, l’amour de Catherine Deneuve.
Et au passage une illustration de l’art du recyclage dans l’exercice de la déclaration d’amour.
Juste avant la fin du film, échange entre les personnages joués par Depardieu et Deneuve sur la scène du théâtre, dans un Paris enfin libéré : « Tu es belle Héléna, si belle que te regarder est une souffrance. - Hier vous disiez que c’était une joie. - C’est une joie… et une souffrance. »
Dix bonnes années plus tôt, ce sont les mêmes mots que Truffaut mettait dans la bouche des héros de LA SIRÈNE DU MISSISSIPI (1969) : Jean-Paul Belmondo et… Catherine Deneuve. La reine Catherine, déjà, toujours…

 

Aujourd’hui, séquence n°2 : un premier film en chanté.


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Vendredi 8 janvier

 

Hier il fallait lire attentivement (l’enseigne de la station-service) et bien écouter (la musique évidemment) : LES PARAPLUIES DE CHERBOURG (1963), de Jacques Demy, qui disait : « Les Parapluies, c’est un film contre la guerre, contre l’absence, contre tout ce qu’on déteste et qui brise un bonheur. »
Après deux films parlants en noir et blanc (Lola et La Baie des anges), Demy et Legrand tournent un film chantant en couleurs. Pas une comédie musicale comme on en réalisait à Hollywood, plutôt une tragédie chantée (pas par Catherine Deneuve, doublée par Danièle Licari…), lyrique et déchirante, avec la guerre d’Algérie en toile de fond.

 

Merci à tous ceux qui participent sur Facebook ou par email (bordeaux@cinemas-utopia.org). N’hésitez pas à accompagner vos réponses de petits commentaires sur les films proposés. Nous les lisons avec attention.

A présent, l’extrait du jour, avec cet indice : un méli-mélo insolite de tubes.


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Samedi 9 janvier

 

Hier encore, il fallait bien écouter. C’est la question posée par Jean-Paul Roussillon qui donnait quasiment la réponse : oui, ON CONNAÎT LA CHANSON, d’Alain Resnais (1997), écrit par Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri. On y chante, comme chez Jacques Demy la veille, mais ce sont des chansons populaires, avec les voix de leurs interprètes d’origine, qui viennent nourrir l’intrigue, exprimer les sentiments plus ou moins cachés des personnages, faire rebondir l’action… Un vrai bonheur de film, tellement qu’on aimerait bien qu’il ressorte sur les écrans quand ils se seront réveillés. Il date de 1997, c’est déjà un classique.
Un mot sur Jean-Paul Roussillon, qui joue un petit rôle dans le film : immense comédien de théâtre, on l’a vu assez peu au cinéma, mais il a été merveilleusement utilisé par Arnaud Desplechin dans ROIS ET REINE (2004) et surtout UN CONTE DE NOËL (2008), qui lui valut le César du meilleur second rôle en 2009, quelques mois avant sa mort.

 

Pour les trente dernières secondes du jour, voici le précieux indice : un premier film venu du Québec.


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Dimanche 10 janvier

 

Un premier film venu du Québec, disait l’indice d’hier. Oui, J’AI TUÉ MA MÈRE le premier long métrage de Xavier Dolan, découvert au Festival de Cannes 2009, le réalisateur avait tout juste 20 ans. Il en avait 17 quand il proposa pour la première fois son projet de film aux instances québecoises du cinéma… qui renvoyèrent le jeune bougre à ses chères études qu’il avait pourtant abandonnées depuis jolie lurette, au prétexte qu’elles étaient aussi soporifiques que castratrices… Il en fallait plus pour décourager l’intrépide Dolan, qui débuta avec ce film intensément personnel la carrière météorique que l’on sait.
On reconnaît bien sûr dans cette fin en forme de faux film de famille LA mère de cinéma que s’est choisie Xavier Dolan : Anne Dorval, qu’on retrouvera magnifique quelques années plus tard dans le bien titré MOMMY.

 

Aujourd’hui, l’amour vu comme un tango…

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Lundi 11 janvier

 

Hier, le titre du film était le même que celui de la chanson imparable du groupe Les Turtles qu’on écoute en même temps que le personnage joué par le splendide Tony Leung : HAPPY TOGETHER, réalisé par Wong Kar-Wai en 1997. Une histoire d’amour fulgurante et déchirante filmée essentiellement à Buenos Aires. On retrouve dans ces 30 secondes finales toute l’énergie, toute la sensualité, toute la grâce du réalisateur hongkongais dont on se languit depuis 2013 et la sortie de THE GRANDMASTER, son dernier film en date. On commence à désespérer d’un hypothétique retour… mais on se consolera avec la prochaine reprise dans nos salles ramenées à la vie du sublime IN THE MOOD FOR LOVE, qu’Utopia Bordeaux a gardé à l’affiche pendant 48 semaines à l’époque de sa sortie en 2000-2001. Seul l’insondable MULHOLLAND DRIVE a fait mieux, avec 57 semaines…

 

La séquence du jour et son indice : sous le signe des Gémeaux.

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Mardi 12 janvier

 

« Nous sommes deux sœurs jumelles, nées sous le signe des Gémeaux. Mi fa sol la, mi ré, ré mi fa sol fa sol ré do… » Hier c’était LES DEMOISELLES DE ROCHEFORT (1967). Jacques Demy encore ! Aurore, la grande maîtresse du quiz, est une fan inconditionnelle de Jacquot l’enchanteur de Nantes, attendez-vous à voir les trente dernières secondes de PEAU D’ÂNE un de ces prochains jours…
Jumelles non, mais sœurs assurément. Deneuve la blonde et Dorléac la rousse (auburn?). Le seul film qu’elles aient tourné ensemble, un conte des mille et une couleurs qu’elles irradient de leur beauté et de leur joie de vivre. Même si, je dois l’avouer, j’ai toujours eu, comme Monsieur Dame (Michel Piccoli), un faible certain pour leur maman incarnée par la divine Danielle Darrieux. Deneuve et Dorléac dansent mais ne chantent pas : ce sont les voix d’Anne Germain et de Claude Parent que l’on entend.
C’est bien sûr Jacques Perrin que l’on voit monter dans le camion du marchand de bateaux, plus tôt dans le film on aura croisé Georges Chakiris et Gene Kelly en guest stars. Tout le monde voulait entrer dans l’univers unique de Demy !

 

Pour la séquence du jour, encore une route, avec cet indice : l’autopsie d’un désamour.

 

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Mercredi 13 janvier

 

Hier, un dernier baiser entre Audrey Hepburn (habillée par Paco Rabanne) et Albert Finney dans VOYAGE À DEUX (1967), réalisé par Stanley Donen. Une fausse comédie plus mélancolique que romantique, que vous avez eu l’occasion de revoir chez nous l’été dernier. Six tranches de vie déterminantes pour raconter douze ans de la vie d’un couple, de l’emballement au désenchantement, de l’euphorie à la lassitude. Une construction à la fois savante et limpide, propice aux chocs des émotions les plus diverses. Et deux acteurs au sommet de leur art et de leur charme.
Je profite de l’occasion pour rappeler à votre attention l’un des plus beaux rôles d’Audrey Hepburn : c’était à la fin de sa carrière, dans LA ROSE ET LA FLÈCHE (1976) de Richard Lester. Si j’en parle maintenant, c’est qu’elle en partage l’affiche avec un comédien qui s’y montre également prodigieux : Sean Connery. À l’occasion du récent décès de l’acteur écossais (le 31 octobre dernier, on venait juste de re-fermer nos salles, ça nous a rendus encore un peu plus tristes), tout le monde a bien sûr évoqué son rôle récurrent de James Bond mais personne n’a parlé de son interprétation magnifique de Robin des bois vieillissant dans le film de Lester, aux côtés de l’inoubliable Marianne d’Audrey Hepburn.

 

Pour celles ou ceux qui prennent le jeu en marche, le jeu que nous vous proposons depuis une semaine consiste à trouver le titre d’un film à partir d’un extrait de ses trente dernières secondes. Vous pouvez participer sur Facebook dans les commentaires de la publication ou par courriel (bordeaux@cinemas-utopia.org). Surtout, n’hésitez pas à commenter vos réponses et à partager ce que le film vous évoque, l’intérêt de ce quiz étant de poursuivre tant bien que mal les échanges cinéphiles entre nous ! Merci à tous.

Ci-dessous, la séquence du jour avec son indice : une fan de Joséphine Baker.

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Jeudi 14 janvier

 

Hier, fin N°8. Pas évident de trouver parce qu’on ne peut pas dire que le film m’ait beaucoup marqué… On reconnaît évidemment tout de suite Catherine Frot et Albert Dupontel. Ils n’ont tourné, à ma connaissance, que deux films ensemble : Le Vilain, réalisé par Dupontel lui-même, mais Catherine Frot jouait la veille maman du héros et n’avait pas du tout cette tête-là, et en plus cette fin joliette n’est pas du tout dans l’esprit Dupontel ; c’est donc le second : ODETTE TOULEMONDE (2006), réalisé par l’écrivain Eric-Emmanuel Schmitt, qui a spécialement écrit pour le cinéma cette fable bienveillante et gentiment farfelue, qui suit le destin d’Odette, vendeuse de cosmétiques le jour et petite main brodeuse de paillettes et de plumes pour les Folies bergères (d’où la référence à Joséphine Baker dans l’indice : elle devint la grande vedette du cabaret en 1926) le soir : elle rêve d’amour toujours et s’évade dans les romans à l’eau de rose écrits à la chaîne par l’écrivain blasé Balthazar Balzan (Dupontel), qu’elle va finir par rencontrer grâce à une petite lettre sur papier rose qu’elle a osé lui écrire, non sans mal (« si j’ai de l’orthographe, je n’ai pas de poésie »). Un p’tit grain de fantaisie, un p’tit poil de folie douce… et Catherine Frot qui emballe le tout en rêveuse au cœur d’artichaut.

 

A présent, la séquence du jour avec cette phrase iconique pour indice : « tu n’as rien vu… »

 

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Vendredi 15 janvier

 

Hier, fin N°9. Celle-ci, c’est cadeau ! Emmanuelle Riva donne même la réponse dans les quelques mots qu’elle dit à son amant japonais : « Hiroshima, c’est ton nom. » HIROSHIMA MON AMOUR (1959), réalisé par Alain Resnais sur un scénario et des dialogues de Marguerite Duras. Ecriture éclatée, dialogues incantatoires, Resnais et Duras ouvraient des voies nouvelles au langage cinématographique.
C’est le premier long métrage de Resnais, c’est le premier scénario de Marguerite Duras. Je pensais même que c’était la première fois qu’on voyait et entendait un de ses textes au cinéma, eh bien non ! Je redécouvre que son roman UN BARRAGE CONTRE LE PACIFIQUE a été porté à l’écran en 1957 par René Clément, avec Silvana Mangano, Alida Valli, Anthony Perkins. Une rareté absolue.
Avant HIROSHIMA, Resnais a réalisé plusieurs courts métrages documentaires mémorables, dont NUIT ET BROUILLARD, sur les déportés victimes des nazis, ou TOUTE LA MÉMOIRE DU MONDE, sur la Bibliothèque nationale. Il a été aussi, on le sait moins, monteur du premier long métrage d’Agnès Varda, LA POINTE COURTE. Avec HIROSHIMA, il entame à 37 ans une carrière exceptionnellement riche et tout aussi exceptionnellement longue (il réalisa son dernier film, AIMER, BOIRE ET CHANTER, à 90 ans passés !) qui l’imposera comme l’un des plus grands cinéastes français contemporains.

 

Aujourd’hui, un marivaudage spatio-temporel à Montparnasse.

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Samedi 16 janvier

 

Hier, fin N°10. Si on a vu le film, on devine tout de suite, rien qu’en voyant le visage incroyablement expressif et émouvant de Chiara Mastroianni, qui l’illumine de la première à la dernière minute : CHAMBRE 212 (2019), écrit et réalisé par Christophe Honoré. Elle a, Chiara, ce je ne sais quoi que d’autres n’ont pas, qui nous met (en tout cas qui me met) dans un drôle d’état… Ses traits représentent tellement le mariage miraculeux de ceux de ses deux parents que ce sont dix, vingt, cinquante souvenirs de cinéma qui viennent à l’esprit quand on se perd dans son regard, quand on s’abandonne à sa mélancolie, quand on sourit de la voir sourire. Surtout dans ce film où elle est la maîtresse du jeu, où elle donne le la, où elle mène la danse des amours passés, présents, à venir. Des amours envolés, oubliés, rêvés. Des amours déçus, perdus, vaincus par le temps qui passe, les sentiments qui se lassent.
Ce que raconte CHAMBRE 212 est finalement assez grave, et pas forcément gai, mais il le fait avec une légèreté, une fantaisie, une liberté qui en font un spectacle en permanence réjouissant. C’est l’un des plus beaux films de Christophe Honoré et une sacrée passe de deux après le très beau PLAIRE, AIMER ET COURIR VITE en 2017.

 

Aujourd’hui, pas besoin de s’approcher, un plan d’ensemble suffit. C’est c’la oui…

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Dimanche 17 janvier

 

Hier, fin N°11. Alors là, celui-là je ne m’y attendais pas ! LE PÈRE NOËL EST UNE ORDURE (1982), réalisé par Jean-Marie Poiré, écrit et interprété par les membres de la troupe qu’on appelait encore « du Splendid », du nom du café-théâtre créé en 1974 dans une ancienne pizzeria de Montparnasse et sur la scène duquel ils avaient fait leurs premières armes. Un film que (presque) tout le monde a vu au moins vingt fois, pas forcément en entier et forcément pas au cinéma, j’exagère à peine. C’est typiquement le truc qu’on regarde à la télé, en général pendant la période des fêtes de fin d’année (il doit faire partie des plus multi-rediffusés, pas autant que LA GRANDE VADROUILLE, il ne faut pas exagérer, mais pas loin…), histoire de rigoler un brin en famille, en anticipant en chœur les répliques qui vous restent dans un coin de la tête à force d’avoir été entendues.
En 1982, la troupe n’avait déjà plus de Splendid que le nom et se montrait bien davantage sur les écrans que sur les planches. En fait tout avait basculé dès 1978 avec LES BRONZÉS, adaptation au cinéma, réalisée par Patrice Leconte, de leur spectacle AMOUR, COQUILLAGES ET CRUSTACÉS. Gros succès, donc on prend les mêmes et on recommence l’année suivante avec LES BRONZÉS FONT DU SKI. C’était parti, ça a duré quelques années et puis tout le monde est passé à autre chose, et c’était bien comme ça. Mais l’équipe plus du tout du tout du Splendid a fait l’erreur de céder aux sirènes du pognon et s’est laissée aller à tourner LES BRONZÉS 3, AMIS POUR LA VIE en 2005. Et tout le monde a bien compris que c’était une arnaque, à commencer par le titre.

 

Aujourd’hui, des personnages hauts en couleurs et follement attachants.

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Lundi 18 janvier

 

Hier, fin N°12. Un film formidable ! Ces deux beaux vieux (surtout pas des vieux beaux, le sens des mots a du sens !), sereinement heureux de voguer ensemble aux abords de je ne sais plus quelle côte, et la voix mutine de Juliette Greco : « Un monsieur aimait un jeune homme / Surtout ne nous affolons pas. / Il faut voir autour de nous comme / Les amours vont leur propre pas. »
LES INVISIBLES (2012), documentaire réalisé par Sébastien Lifschitz, qui met en scène la parole passionnante de quelques femmes, de quelques hommes, nés dans l’entre-deux-guerres. Elles et ils n’ont aucun point commun sinon d’être homosexuels et d’avoir choisi de le vivre au grand jour, à une époque où la société les rejetait. Ils ont aimé, lutté, désiré, fait l’amour. Aujourd’hui, ils racontent ce que fut cette vie insoumise, partagée entre la volonté de rester des gens comme les autres et l’obligation de s’inventer une liberté pour s’épanouir. Ils n’ont eu peur de rien…
Sébastien Lifschitz, qu’on connaît bien à Bordeaux puisqu’il était présent lors des deux dernières éditions du Fifib, a commencé à la fin des années 90 par des longs métrages de fiction (dont le plus beau pour moi est WILD SIDE, en 2004, montré justement lors du Fifib 2020). LES INVISIBLES est son premier grand film documentaire (après une première réalisation en 2001, LA TRAVERSÉE) et il continue depuis dans cette voie, nous offrant des films tous plus beaux les uns que les autres, jusqu’au magnifique ADOLESCENTES, sorti à l’automne dernier. Il en a réalisé un autre depuis (lui aussi montré lors du Fifib 2020) : PETITE FILLE, produit pour la télé et diffusé récemment sur Arte. On ne désespère pas tout à fait de pouvoir le projeter en salle, mais ça va être compliqué….

 

Aujourd’hui, un jeune détective en mission dans un magasin de chaussures…

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Mardi 19 janvier

 

Hier, fin N° 13. Si on a l’a vu un certain nombre de fois (c’est mon cas), on reconnaît le film immédiatement, en même temps que le couple d’acteurs de dos : Claude Jade et Jean-Pierre Léaud. Sinon, comme c’est souvent le cas dans les choix d’Aurore qui connaît bien la chanson, la réponse est dans la bande son, en l’occurence dans les paroles de QUE RESTE-T-IL DE NOS AMOURS de Charles Trenet : « Bonheur fané, cheveux au vent, baisers volés, rêves mouvants… » C’est BAISERS VOLÉS (1968) de François Truffaut, bien sûr. Le troisième chapitre des aventures existentialo-sentimentales d’Antoine Doinel entamées en 1959 avec LES 400 COUPS (Truffaut avait 27 ans, Léaud 14). Suivit en 1962 ANTOINE ET COLETTE, court métrage de 30 minutes qui ouvrait le film à segments L’AMOUR À VINGT ANS. Et après BAISERS VOLÉS, il y aura en 1970 DOMICILE CONJUGAL et enfin L’AMOUR EN FUITE en 1979 (sorte d’épilogue au destin de Doinel, parsemé de nombreux extraits des épisodes précédents en guise de retour en arrière, ce dernier volet est resté le mal aimé du cycle… Il faut peut-être le revoir…)
On évoquait, à l’occasion du DERNIER MÉTRO, l’art de la déclaration d’amour chez Truffaut. BAISERS VOLÉS en offre un irrésistible exemple. Antoine Doinel, invité à déjeuner par son patron, Monsieur Tabard, se retrouve à prendre le café seul à seule avec l’épouse de celui-ci, Fabienne, qui l’a subjugué (on le comprend, c’est la divine Delphine Seyrig) dès lors qu’il l’a aperçue dans le magasin de chaussures du mari. Madame Tabard sert le café, se lève pour mettre un 33 tours (du Mozart) sur le tourne-disque et demande gentiment : « Vous aimez la musique, Antoine ? » Celui-ci, pétrifié, transi de dévotion, lui répond dans un souffle : « Oui, Monsieur »… avant de s’enfuir, honteux. Drôle et bouleversant à la fois, le summum de ce qu’on pourrait appeler « la déclaration par lapsus ».

 

L’extrait du jour, avec son indice : deux solitudes qui se croisent à Tokyo.

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Mercredi 20 janvier

Hier, fin N°14. Pas facile ! Aucun personnage, pas d’acteurs à reconnaître, uniquement le décor urbain et la musique. Ville asiatique, japonaise puisqu’on voit des enseignes à calligraphie verticale. Tokyo ? Musique pop anglo-saxonne. Le film n’est donc pas forcément japonais, il faut penser occidental, américain peut-être. Cling ! Une petite idée commence à s’allumer mais on se résout à consulter l’indice pour y voir plus clair : « Deux solitudes qui se croisent à Tokyo. » Plus de doute, c’est bien ça : LOST IN TRANSLATION (2003) de Sofia Coppola. Une chronique nocturne en état de grâce, habitée par un duo d’acteurs épatants. Bill Murray en acteur sur le déclin venu dans la capitale japonaise pour cachetonner dans un spot publicitaire, déçu de lui-même, incapable de s’intéresser à ce qui l’entoure, infoutu de dormir à cause du décalage horaire. Dans le même hôtel, Scarlett Johansson est la toute jeune femme d’un photographe de mode qui l’oublie complètement pour se consacrer à ses shootings dérisoires… Les deux solitudes vont effectivement faire la paire, le temps d’une parenthèse enchantée.
C’est le deuxième film et la confirmation éclatante du talent de Sofia Coppola, la fille de Francis – qu’on avait d’ailleurs découverte en fille d’Al Pacino dans LE PARRAIN 3 réalisé par son père –, après le très remarqué et remarquable VIRGIN SUICIDES en 1999. On a beaucoup aimé aussi ses deux films suivants, MARIE-ANTOINETTE (2006) et SOMEWHERE (2010), un peu moins les deux d’après, THE BLING RING (2013) et LES PROIES (2017), mais c’était pas mal quand même. Si bien qu’on avait très envie de programmer son dernier opus, ON THE ROCKS (2020), d’autant plus qu’elle y retrouve Bill Murray. Mais macache ! C’est un film de plateforme, en l’occurence Apple TV+, qu’on ne pourra donc pas voir en salle. Il s’ajoute à la déjà longue liste des films de cinéma visibles sur tous les écrans sauf sur ceux des cinémas français, de ROMA d’Alfonso Cuaron à MANK de David Fincher en passant par MARRIAGE STORY de Noah Baumbach (avec Scarlett Johansson) ou LES SEPT DE CHICAGO d’Aaron Sorkin. Il faut absolument trouver une solution pour que les salles puissent programmer ces films qui sont faits pour le grand écran, c’est une évidence. Et peu importe qu’ils puissent être vus en même temps sur les plateformes, les spectateurs choisiront. L’essentiel est justement qu’ils aient le choix : les voir chez eux ou au cinéma. Et chez Utopia, on est prêt à prendre le pari qu’il y en aura beaucoup qui choisiront le cinéma. Notre cinéma.

L’extrait du jour : fragments d’un trio amoureux.

 

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Jeudi 21 janvier

Hier, fin N° 15. Sur ce coup, le faux ami, celui qui peut nous enduire d’erreur, c’est Louis Garrel et son bonnet rouge. Parce qu’il apparaît dans le film uniquement lors de ces trente dernières secondes, en invité de la fête qui va séduire le duo sur lequel doit se porter toute notre attention : Monia Chokri et … Xavier Dolan. Nous sommes dans LES AMOURS IMAGINAIRES (2010), deuxième film, tourné un an après J’AI TUÉ MA MÈRE, du prodige québecois. Le troisième larron du trio évoqué par Aurore dans son indice, c’était Nils Schneider, qui débuta en même temps que Dolan.
Pour la petite histoire, Garrel était là parce que Dolan avait prévu de lui confier le premier rôle de son film suivant, LAURENCE ANYWAYS. Finalement, c’est Melvil Poupaud qui a joué Laurence, et il est magnifique.
J’arrête là avec ce film qu’à vrai dire je n’ai pas vu et je fais un retour en arrière, sur la fin N° 3 de ce quiz, celle d’ON CONNAIT LA CHANSON. Parce que j’écris ces lignes mardi matin, parce qu’hier soir j’ai appris comme tout le monde la mort de Jean-Pierre Bacri et comme on dit, ça m’a fichu un coup. Le grand Jean-Pierre Bacri, bien plus grand que ces perroquets faiseurs de l’actualité qui se sont empressés de le momifier en « éternel râleur du cinéma français ». Comme il le dirait lui-même, ça-ça-ça m’énerve ! Pour ON CONNAIT LA CHANSON, Resnais a tourné tout spécialement un film-annonce où ses acteurs disent les paroles de célèbres chansons de variété française. À Bacri est échu un tube de Joe Dassin : « Elle m’a dit d’aller siffler là-haut sur la colline, de l’attendre avec un bouquet d’églantines. J’ai cueilli des fleurs et j’ai sifflé tant que j’ai pu, j’ai attendu, attendu, elle n’est jamais venue. Zaï zaï zaï zaï… Zaï zaï zaï zaï… » Allez revoir ce film-annonce sur internet, on le trouve facilement : la voix de Bacri, son ton, son phrasé, ses mimiques font de ces quelques secondes un moment inoubliable de drôlerie accablée. Ou d’accablement drôle, ça marche dans les deux sens. Adieu Bacri (référence directe à un de ses plus beaux rôles – pas du tout de râleur, ni de bougon, ni de ronchon – dans un très joli premier film, ADIEU GARY (2009), réalisé par Nassim Amaouche. C’était l’une des premières pages de notre gazette N°101).

Aujourd’hui, un visage de femme au père très encombrant…

 

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Vendredi 22 janvier

 

Hier, fin N° 16. C’est la magnifique actrice Sandra Hüller dans le film allemand TONI ERDMANN (2016), écrit et réalisé par Maren Ade. Un des trucs les plus étonnants que nous ait offert le cinéma au cours de ces 10 dernières années, à la fois hilarant et bouleversant, intime et universel, affectif et politique. Les retrouvailles imprévues entre une fille et son père qui n’habitent plus sur la même planète. Elle est le parfait produit de la réussite économique allemande, exilée à Bucarest où elle travaille pour un cabinet d’audit dont l’objectif essentiel est d’aider les entreprises locales à licencier vite et sans bavures. Elle mène donc une vie confortable et amorale, pleine de pognon et vide de sens. Lui est le symbole d’une génération qui s’est battue contre le modèle capitaliste et toutes ses règles, il est imprévisible, adepte des déguisements les plus improbables et des blagues du plus mauvais goût. L’irruption du père à l’improviste va mettre le feu à l’univers glacial de la fille et l’obliger enfin à se poser les questions qui comptent.
Curieusement, Maren Ade n’a réalisé aucun film depuis cet exceptionnel TONI ERDMANN (c’était son troisième long métrage, après deux opus restés confidentiels). Elle a produit ou co-produit quelques films d’autres cinéastes, dont l’excellent LES SIFFLEURS du roumain Corneliu Porumboiu, montré chez nous tout début 2020, mais rien en son nom. On s’impatiente…

Aujourd’hui, un indice en chantant : « pré-pa-rez vot’, préparez votre pâte… »

 

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Samedi 23 janvier

Hier, fin N° 17. Ah ! Ah ! Ah ! Je vous l’avais annoncé, Aurore n’a pas pu résister : PEAU D’ÂNE (1970), écrit et réalisé par Jacques Demy, d’après le conte de Charles Perrault (in LES CONTES DE LA MÈRE L’OYE). L’histoire du roi Jean Marais qui a la douleur de perdre sa très belle épouse (Catherine Deneuve rousse), laquelle avant de trépasser lui fait promettre de ne se remarier (et il va devoir le faire pour donner un héritier mâle au royaume) qu’avec une femme au moins aussi belle et aussi bien faite qu’elle-même. Le piège infernal ! Car le roi Jean Marais ne va trouver qu’une seule prétendante qui réponde à ce niveau d’exigence : sa propre fille (Catherine Deneuve blonde) ! La situation deviendrait scabreuse si la merveilleuse Delphine Seyrig alias la Fée des Lilas n’y mettait pas son grain de sel en chanson : « Mon enfant, on n’épouse jamais ses parents… » Ce n’est malheureusement pas Delphine Seyrig qu’on entend chanter dans le film, de sa voix si particulière et envoûtante : elle est doublée par Christiane Legrand, la sœur de Michel. Mais il existe une version enregistrée par la comédienne, écoutez la, vous trouverez avec moi qu’elle a beaucoup plus de charme. Catherine Deneuve, elle, chante avec la même voix que dans LES DEMOISELLES DE ROCHEFORT, celle d’Anne Germain.
Le dernier Demy du quiz ? Ou faut-il s’attendre aux trente dernières secondes de LOLA, de LA BAIE DES ANGES… ? Jusqu’où ira la demymanie d’Aurore ? Les paris sont ouverts…

Aujourd’hui, une chorégraphie de légionnaire.

 

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Dimanche 24 janvier

Hier, fin N°18. Avec l’irréductible Denis Lavant qui, dans ces trente secondes, prouve une fois de plus qu’il est le plus physique, le plus organique, le plus électrique, le plus élastique des acteurs français. Dans un premier temps, c’est HOLY MOTORS (2012) de Leos Carax qui m’est venu à l’esprit : Lavant (complice de Carax depuis BOY MEETS GIRL en 1983), le mouvement, la lumière… Mais pas possible, Lavant est trop jeune à l’image. Donc on remonte dans le temps, jusqu’à 1999 et au magnifique BEAU TRAVAIL de Claire Denis. Claire Denis l’aventurière, qui reste pour moi la plus grande cinéaste française en activité.
Un peloton de la Légion Étrangère oublié, abandonné quelque part dans le golfe de Djibouti. Sous un soleil de plomb, sur une terre dont on ne voit pas le bout, au bord d’une mer tellement limpide qu’elle en devient insondable, vivent et s’activent quelques soldats d’une armée fantôme qui joue à la guerre faute de pouvoir la faire et s’occupe à réparer les routes, ce qui est déjà plus utile… Denis filme avec une sensualité extraordinaire ces corps d’homme qui bougent, s’entraînent, se touchent, se heurtent, s’empoignent, se relâchent, s’apaisent… Comme le dit l’indice d’Aurore, c’est une véritable chorégraphie qui se déploie et qui fascine.
BEAU TRAVAIL est le témoin d’une époque bénie mais révolue où les films pouvaient être diffusés à la télévision puis sortir en salle sans que les professionnels de la profession poussent des cris d’orfraie. Le film est passé sur Arte, qui l’a produit, le 17 avril 2000 en prime time, et les salles ont pu le programmer à partir du 3 mai. Ce fut également le cas à l’époque avec des titres aussi mémorables que LE PÉRIL JEUNE de Cédric Klapisch ou RESSOURCES HUMAINES de Laurent Cantet. Qui ont été de vrais succès en salle. Aujourd’hui ce n’est plus possible : les positions sur ce qu’on appelle « la chronologie des médias » se sont crispées et tout est bloqué. C’est pour ça qu’on vous disait il y a quelques jours que ce serait très compliqué de programmer le très beau PETITE FILLE de Sébastien Lifschitz, diffusé sur Arte tout récemment.

Aujourd’hui, deux paumés sur un pont de Paris.

 

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Lundi 25 janvier

On pourrait dire que le hasard fait bien les choses sauf que ce n’est pas le hasard mais la suite dans les idées d’Aurore qui a rebondi d’un rôle de Denis Lavant à un autre. Pour la fin N°18, je racontais m’être d’abord fourvoyé du côté de Leos Carax alors qu’il fallait penser à Claire Denis… En fait j’étais juste en avance d’un épisode puisque c’est la fin N° 19 qui, hier, nous mène à Carax. Et à son troisième film : LES AMANTS DU PONT NEUF (1991). Les amants – c’est justement le titre de la chanson des Rita Mitsouko qui enflamme la séquence –, on les reconnaît à peine sur cette barge qui fend les eaux de la Seine : Denis Lavant donc et Juliette Binoche, déjà au centre du film précédent de Carax, MAUVAIS SANG (1986).
LES AMANTS DU PONT NEUF, c’est le film d’amour fou qui a collé sur le dos de Carax l’étiquette de cinéaste maudit, de génie mégalo, d’enfant gâté du cinéma français. Tournage à rallonge (il a duré trois ans !), trois fois interrompu, budget dépassé dans les grandes largeurs à cause de la construction de décors insensés, à cause des accidents, à cause d’une tempête… Et à l’arrivée un poème lyrique et radical qui ne tient absolument pas ses promesses de succès public… Le réalisateur aura toutes les peines du monde à s’en remettre et il faudra attendre 8 ans avant de voir son film suivant, POLA X (pour la première fois sans Denis Lavant), pas tout à fait à la hauteur des attentes de ses admirateurs. Et encore 13 ans de patience jusqu’à son vrai grand retour avec HOLY MOTORS (entre temps, il y eut l’inénarrable MERDE, l’un des trois segments de TOKYO, co-réalisé par Michel Gondry et Bong Joon-ho). Rien depuis 2012, cette année 2021 devrait en principe voir la sortie de ANNETTE, une comédie musicale tournée en anglais avec Adam Driver, Marion Cotillard et la chanteuse Angèle, écrite et composée par Ron et Russel Mael, du groupe Sparks. Notre impatience est à la mesure du mystère qui entoure le projet…

Aujourd’hui, California Dreaming à plein volume !

 

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Mardi 26 janvier

Hier, fin N°20, où l’on retrouve Tony Leung, déjà présent dans les trente dernières secondes de HAPPY TOGETHER (fin N° 5). Face à lui, en hôtesse de l’air délurée, l’irrésistible Faye Wang. C’est CHUNGKING EXPRESS (1994), le film qui a fait découvrir Wong Kar-Wai en France, où il est sorti en mars 1995. Le cinéaste, né à Shanghai mais installé à Hong-Kong, a réalisé deux films auparavant, AS TEARS GO BY (1988) et surtout le fondateur NOS ANNÉES SAUVAGES (1990) mais ils sortiront chez nous ultérieurement.
CHUNKGKING EXPRESS a été réalisé presque par accident, comme une parenthèse de légèreté et d’enthousiasme alors que l’entreprise compliquée que fut la réalisation du film de sabre LES CENDRES DU TEMPS était à l’arrêt. Chronique amoureuse à quatre voix, instinctive et mélancolique, tournée essentiellement de nuit, en décors naturels et caméra le plus souvent à l’épaule, CHUNGKING EXPRESS dégage une spontanéité, un romantisme pop parfaitement euphorisants.
Constante du cinéma de Wong Kar-Wai, la musique tient un rôle essentiel. Et comme le souligne l’indice d’Aurore, c’est CALIFORNIA DREAMIN’, interprété par The Mamas and the Papas (créateurs du morceau en 1965) qui est le leitmotiv du film, accompagnant toutes les émotions du personnage joué par Faye Wang. Si vous cliquez sur le lien suivant (https://youtu.be/7ol9qzDsCCQ), vous pourrez voir une vidéo qui fait défiler les séquences au son de cette chanson symbole du flower power. Sauf cas de mauvaise humeur chronique et persistante, l’action galvanisante est garantie. Effet secondaire à prévoir : une envie furieuse de (re)voir le film.

Aujourd’hui, le premier film d’un duo belge.

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Mercredi 27 janvier

Hier, fin N° 21. L’ambiance est à la glace et à l’esprit loufoque (louphoque pour l’occasion ?) Nous sommes dans L’ICEBERG (2005), écrit, réalisé et interprété par un duo qui n’est belge que par sa moitié masculine, Dominique Abel. Fiona Gordon, la moitié féminine, est née en Australie et de nationalité canadienne. Et tout comme les trois mousquetaires étaient, comme chacun le sait, quatre, le duo est en fait un trio : le troisième larron scénariste, réalisateur et acteur dans un tout petit rôle s’appelle Bruno Romy et lui aussi est belge, ça en fait donc deux sur trois…
On découvrait avec L’ICEBERG un univers très particulier, drôlatique, poétique, chorégraphique, hommage assumé aux grands burlesques du cinéma muet et à l’art clownesque. L’histoire de cette manager de fast-food qui voit sa vie et sa vision des choses chamboulées par une nuit dans la chambre froide de sa gargote à malbouffe nous entraînait résolument hors des sentiers battus de la comédie.
Depuis nous avons programmé à Utopia tous les films du trio : RUMBA (2008), leur plus gros succès, LA FÉE (2011), que Fiona Gordon et Dominique Abel sont venus présenter chez nous en avant-première (délicieuse soirée), et PARIS PIEDS NUS (2017), signé des seuls Gordon et Abel, qui restera dans nos mémoires ne serait-ce que parce qu’il a offert son ultime rôle à la grande Emmanuelle Riva, disparue un peu plus d’un mois avant la sortie du film. Gordon et Abel travaillent semble-t-il sur un nouveau projet : L’ÉTOILE FILANTE.
Pour l’anecdote, Fiona Gordon apparaît au générique de MONTHY PYTHON, SACRÉ GRAAL, dans le rôle d’une « fille au château Anthrax ». Elle devait avoir 17 ou 18 ans. On ouvrira l’oeil la prochaine fois qu’on reverra le film.

Aujourd’hui, Capri, c’est fini !

 

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Jeudi 28 janvier

Hier, fin N° 22. Sur la terrasse de la villa Malaparte à Capri, sous le soleil exactement, le metteur en scène Fritz Lang met en place le travelling qui suit son héros Ulysse devant le bleu infini de la Méditerranée, mer et ciel confondus… et ce n’est pas une mince affaire (de morale, comme dirait l’autre). C’est LE MÉPRIS (1963), un des films emblématiques du début de la carrière de Jean-Luc Godard, avec À BOUT DE SOUFFLE (1960) et PIERROT LE FOU (1965). Un Godard qui à l’époque tournait plus vite que son ombre : imaginez qu’en 1963, l’année du MÉPRIS, deux autres de ses longs métrages sont sortis dans les salles : LE PETIT SOLDAT et LES CARABINIERS ! Sans compter sa participation à deux films collectifs, LES PLUS BELLES ESCROQUERIES DU MONDE et ROGOPAG…
LE MÉPRIS permet à Godard de livrer une réflexion à la fois amoureuse et pas mal désabusée sur le cinéma, à travers l’implosion d’un couple magistralement incarné par Michel Piccoli et surtout Brigitte Bardot, qui trouve là le plus beau et le plus intense rôle de sa carrière (avec, dans un style très différent, celui dans LA VÉRITÉ (1960) de Clouzot ?). Pourtant Godard imaginait au départ un tout autre couple d’acteurs : Frank Sinatra et Kim Novak ! Ça aurait donné tout autre chose, mais je dois dire qu’on a du mal à imaginer quoi. Le co-producteur italien, Carlo Ponti, proposa de son côté Marcello Mastroianni et Sophia Loren – qui accessoirement était son épouse. Mais soutenu par son producteur français Georges de Beauregard, Godard fit en fin de compte le bon choix d’associer la star Bardot (qu’il utilisera de nouveau en 1966, pour une courte apparition dans MASCULIN FÉMININ) et Piccoli, qui était loin d’être une vedette.
Le scénario est adapté du roman d’Alberto Moravia, que Godard qualifiait sans aménité aucune de « vulgaire et joli roman de gare… », ajoutant quand même que « c’est avec ce genre de roman que l’on tourne souvent de beaux films. »
Les beaux films sont d’autant plus beaux quand la musique est à la hauteur. Celle que Georges Delerue a composée pour LE MÉPRIS est sublime, notamment « le thème de Camille » – repris par Scorsese dans son CASINO – que vous pouvez retrouver en cliquant sur ce lien : https://youtu.be/nJ3yN0m5Gk0.

Aujourd’hui, la mer encore, avec un autre film mythique de la Nouvelle Vague !

 

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Vendredi 29 janvier

Hier, fin N° 23. L’un des plus beaux et des plus déchirants regards caméra que l’on puisse voir au cinéma. Qui vient au terme d’une magnifique séquence en travelling suivant la fuite du gamin Jean-Pierre Léaud jusqu’à la mer. C’est LES 400 COUPS (1959) bien sûr, premier long-métrage en forme de coup de tonnerre de François Truffaut, acte de naissance de la « Nouvelle vague » avec le À BOUT DE SOUFFLE de Jean-Luc Godard qui surgira l’année suivante.
En s’attachant aux tribulations irrévérencieuses d’Antoine Doinel, un ado qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celui qu’il fut pas si longtemps auparavant, Truffaut dit son fait au monde étriqué des adultes, sans courage et sans cœur, et prend définitivement le parti de l’enfance.
À propos des deux films de Truffaut déjà proposés dans ce quiz, on évoquait des déclarations d’amour. Ici c’est une manifestation radicale de non amour qui nous marque à jamais : se présentant le matin en cour après avoir fait l’école buissonnière la veille avec son copain René, Antoine est alpagué par son prof, le grisâtre « Petite feuille », qui lui demande quelle excuse il a bien pu inventer, et pour commencer de lui présenter l’indispensable mot de ses parents. « J’en ai pas, M’sieur. » « Ah ! Tu n’en as pas… Et tu crois que ça va se passer comme ça ? » « C’était… c’était ma mère, M’sieur . » « Eh bien quoi, ta mère ? » « Elle est morte, M’sieur ! » De quoi couper la chique à Petite Feuille… C’est à la fois irrésistiblement drôle et absolument terrible, révélateur d’une douleur et d’une rage bien ancrées chez le cinéaste.
En plus d’être la première des aventures d’Antoine Doinel, LES 400 COUPS est aussi le premier volet de ce qu’on peut appeler la trilogie de l’enfance de Truffaut : suivront L’ENFANT SAUVAGE en 1969 et L’ARGENT DE POCHE en 1976.

Aujourd’hui, la disparition d’une mère…

 

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Samedi 30 janvier

Hier, fin N° 24. Ce beau visage n’est pas forcément très connu, c’est celui de la très remarquable actrice italienne Margherita Buy dans MIA MADRE (2015) de Nanni Moretti, avec qui elle a déjà tourné dans LE CAÏMAN (2006) et HABEMUS PAPAM (2011) mais c’est la première fois qu’elle tient le premier rôle. Celui d’une réalisatrice doublement sous pression : professionnellement elle est en plein tournage d’un film politique pas commode à maîtriser, surtout lorsque débarque l’acteur américain qui est au centre du projet et qui s’avère capricieux, mythomane, à côté de la plaque (c’est l’occasion de scènes réjouissantes avec John Turturro, très marrant) ; au plan personnel, elle est très marquée par l’hospitalisation et la mort probablement prochaine de sa mère, ancienne prof de latin toujours vive et espiègle (superbe Giulia Lazzarini, qu’on voit aussi dans ces trente dernières secondes), à laquelle elle est très attachée. L’intime et le public se mêlent, entre rire et larmes, et Moretti parvient à témoigner de choses très personnelles, avec le souci constant de les rendre universelles. Après avoir plusieurs fois endossé le rôle principal de ses films, c’est comme s’il s’était trouvé cette fois un alter ego féminin pour mieux parler de lui à travers une autre. Pour sa part, il s’est réservé le personnage relativement ingrat du frère trop raisonnable et un brin sentencieux, qui ne fait que souligner l’instabilité de sa sœur.
Depuis MIA MADRE, Moretti a réalisé le très beau documentaire SANTIAGO, ITALIA (2018). Et si 2020 n’avait pas tourné en eau de boudin, on aurait pu découvrir son nouveau film de fiction, TRE PIANI, adapté d’un roman israélien – c’est la première fois que Moretti ne tourne pas un scénario original – , l’histoire de trois familles habitant à trois étages différents du même immeuble romain. Margherita Buy est une nouvelle fois de l’aventure. On espère une sortie du film en 2021…

Aujourd’hui, mourir encore, mais mourir… de rire !

 

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Dimanche 31 janvier

Hier fin N° 25, celle d’un film placé sous le signe de l’humour so british ! Mais pas le côté humour flegmatique et distingué, non plutôt le rire tonitruant et libérateur, ne dédaignant pas le mauvais esprit provocateur voire le mauvais goût le plus achevé. C’est JOYEUSES FUNÉRAILLES (2007) de Frank Oz, avec une tripotée d’acteurs peu connus mais tous à leur affaire et passablement déchaînés.
Le patriarche de la famille vient de mourir, le corbillard roule dans la campagne anglaise parée des couleurs de l’automne, vers le charmant cottage où le cercueil doit être exposé. À l’arrivée des pompes funèbres, Daniel, l’un des fils qui vivait avec son épouse dans la demeure paternelle, demande à voir une dernière fois son père pour vérifier si le thanatopracteur lui a fait la meilleure bouille possible. À peine ouverte la boîte en chêne premier choix, tombe l’exclamation insensée, impensable, redoutée de tout bon professionnel de la mort attentif à la qualité irréprochable de ses pompes et de ses œuvres : « qui est-ce ? » demande avec un flegme tout britannique le fils néanmoins surpris. « Oh my god ! », les croquemorts se sont trompés de corps. Ce couac n’est que le premier épisode de ces funérailles pas tristes qui vont prendre une tournure démente au fur et à mesure de l’arrivée des invités… Si on émet l’hypothèse que le rire n’est que meilleur lorsqu’il est interdit, JOYEUSES FUNÉRAILLES en fait une impeccable démonstration en foulant aux pieds tous les tabous liés à la mort et au cérémonial qui l’entoure.
Le film n’a laissé aucune trace dans les annales, et il est passé inaperçu dans la quasi totalité des salles. Mais chez nous à Utopia, ce fut un vrai phénomène, porté par un bouche-à-oreille rigolard : il est resté à l’affiche des mois et des mois et a totalisé 15 903 entrées, ce qui le place au 8ème rang de nos plus gros succès en 20 ans d’existence !

Aujourd’hui, la grande évasion des poules.


 

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Lundi 1er février

Hier, fin N° 26. So british again et cette fois c’est le must de l’animation anglaise : les fameux studios Aardman et leur CHICKEN RUN (2000), dirigé par Nick Park et Peter Lord. Pour être franc, le film est autant américain qu’anglais puisque réalisé aux Etats-Unis sous la houlette de Dreamwork, illustre boîte de production co-créée et encore co-dirigée à l’époque par Steven Spielberg.
On avait découvert les studios Aardman et leurs géniales créatures en pâte à modeler animées image par image (technique de la stop motion ou de l’animation en volume) à Noël 1994 avec les premières aventures de Wallace et Gromit et on était tombés immédiatement sous le charme : personnages irrésistibles, humour absurde, imagination débordante, soin maniaque apporté à l’animation et à la mise en scène… c’était absolument emballant.
Après toute une série de courts métrages très remarqués et moult fois récompensés (CREATURE COMFORTS a même remporté un Oscar en 1990), les studios Aardman passent donc pour la première fois au long métrage avec CHICKEN RUN, qui narre la prise de conscience, puis l’organisation militante, puis la grande évasion (comme le souffle Aurore) des poules surexploitées et poussées à bout par la fermière la plus détestable, de la plus avide, de la plus cynique des fermières de toute la campagne anglaise : la tyrannique Mrs Tweedy.
Le film est très réussi et porte haut l’esprit burlesque déjanté de l’équipe Aardman. Mais on sent quand même l’industrialisation qui pointe son nez. Elle sera de plus en plus présente dans les films suivants (WALALCE ET GROMIT, LE MYSTÈRE DU LAPIN GAROU, LES PIRATES !, SOURIS CITY…), nous faisant regretter la fraîcheur artisanale des débuts. Mais je fais le difficile, parce que Aardman, c’est quand même vraiment bien.

L’extrait du jour et son indice : le ciel sur Berlin.


 

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Mardi 2 février

Hier, fin N° 27. Un ange perché sur l’épaule d’un ange, au sommet de la Colonne de la Victoire, tutoyant le ciel au dessus de Berlin (c’est l’indice d’Aurore, et c’est la traduction littérale du titre original du film, DER HIMMEL ÜBER BERLIN ) : LES AILES DU DÉSIR (1987) de Wim Wenders, co-écrit avec l’écrivain et dramaturge Peter Handke. Ils sont deux anges dans le film – Cassiel (Otto Sander), celui qu’on voit ici, et Damiel (le grand Bruno Ganz), qui observent les comportements des humains, qui se mêlent à eux sans but précis sinon de voir comment ils vivent. En principe ils n’interfèrent pas avec la réalité humaine mais deux rencontres vont bouleverser le destin de l’ange le plus sensible, Damiel : un ex-ange déchu qui n’est autre que Peter Falk venu tourner dans un film sur l’époque nazie, et une trapéziste dont il va tomber éperdument amoureux.
LES AILES DU DÉSIR marque le retour de Wim Wenders en Allemagne et plus précisément à Berlin – dont la géographie est au centre du film – après une escale de 5 ans aux Etats Unis où il a réalisé deux films marquants : le très rarement montré et pourtant intéressant HAMMET (1982), produit par Coppola, film noir fantasmé tourné entièrement en studio, et le triomphal PARIS, TEXAS, Palme d’Or à Cannes en 1984.
On retrouvera Cassiel, toujours ange, et Damiel, devenu humain par amour pour sa trapéziste, dans SI LOIN, SI PROCHE en 1993. Mais cette fausse suite ne sera pas à la hauteur… De fait, LES AILES DU DÉSIR est le dernier grand film de fiction réalisé par Wenders, toutes ses tentatives suivantes s’avérant décevantes, sauf LISBONNE STORY en 1994, belle réussite en mode mineur.
Ce sont ses films documentaires qui retiendront notre attention, avant tout pour la richesse des personnalités auxquelles ils sont consacrés : en particulier les vétérans musiciens cubains de BUENA VISTAL SOCIAL CLUB (1999), la chorégraphe allemande Pina Bausch dans PINA (2011) et le photographe brésilien Sebastião Salgado dans LE SEL DE LA TERRE (2014).

Aujourd’hui, les déambulations de deux amants immortels.


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Mercredi 3 février

 

Hier, fin N° 28. Tilda Swinton et Tom Hiddleston, le teint blafard, les yeux hagards et bientôt toutes incisives dehors, fondent – en s’excusant poliment, c’est ça la classe ! – sur leurs proies qui n’auront même pas le temps d’être surprises : c’est ONLY LOFVERS LEFT ALIVE (2013), magnifique film de vampires de Jim Jarmush. De Tanger à Détroit, les errances amoureuses d’un couple millénaire, qui a parcouru le monde et vécu une multitude d’expériences extraordinaires, vivant en permanence aux confins les plus obscurs de la société. Tout comme leur amour, les relations qu’ils entretiennent avec l’humanité sont vieilles de plusieurs siècles puisqu’ils sont irrémédiablement condamnés à l’immortalité…
Un film de dandy, exaltant et envoûtant, qui a une place à part dans la petite histoire d’Utopia Bordeaux. Sorti le 19 février 2014, ONLY LOVERS… est resté à l’affiche chez nous près d’un an puisque la dernière projection a eu lieu le dimanche 25 janvier 2015. En partenariat avec nos amis de Bordeaux Rock pour l’ouverture de leur festival, nous proposions ce soir-là une séance exceptionnelle avec en première partie un concert de Jozef van Wissem, luthiste baroque compositeur de la musique originale du film. Et pour l’occasion, Jim Jarmusch nous avait fait la surprise de nous adresser un petit message vidéo que nous avons évidemment projeté au début de la soirée (vous pouvez voir la vidéo en cliquant ici). Et franchement, voir Jim Jarmush en plan rapproché, ses éternelles lunettes de soleil sur le nez, nous lancer un chaleureux « Hello, youtopia bordôô ! », nous remercier pour la programmation longue durée de son film et souhaiter au public une bonne soirée avec son ami Jozef… ça restera un souvenir inoubliable.

 

Aujourd’hui, un vidéo-clip fantastique très new-wave…


 

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Jeudi 4 février

Hier, fin N° 29. Nouvelle variation sur le thème des vampires – qui hante le cinéma depuis ses débuts : n’oublions pas que Friedrich Wilhelm Murnau a tourné NOSFERATU, l’un des chefs d’oeuvre du genre, en 1922. La jeune Susan Sarandon dans la nuit bleutée, sur la mélodie déformée du Trio pour piano et cordes N°2 de Schubert (indissociablement lié au BARRY LYNDON de Kubrick) : c’est LES PRÉDATEURS (1983) de Tony Scott.
De mon point de vue nous ne sommes pas sur les hauteurs arpentées par Jim Jarmusch dans ONLY LOVERS LEFT ALIVE. Tirant parti d’une distribution ultra classe et sexy (le couple de vampires Catherine Deneuve / David Bowie attire dans ses rets l’innocente Susan Sarandon), LES PRÉDATEURS déploie ses volutes bleues pour créer un univers vaporeux, à la fois chic et décadent, d’un érotisme de papier glacé. Superficiel donc mais assez fascinant et très agréable à regarder, il ne faut pas bouder son plaisir.
LES PRÉDATEURS est le premier long métrage de Tony Scott, le petit frère de Ridley, avec lequel il a fait ses armes dans la publicité. Mais Tony n’a pas eu la carrière de son aîné, il n’a pas réalisé DUELLISTES, ALIEN, BLADE RUNNER, ni THELMA ET LOUISE… Il a connu son plus grand succès avec son deuxième film, le médiocre TOP GUN (1986) et s’est enlisé dans le tout venant du cinéma d’action industriel, dont ressortent tout de même quelques films moins standardisés : on citera TRUE ROMANCE (1993), polar énervé sur un scénario de Tarantino, SPY GAME (2001), avec Robert Redford et Brad Pitt, ou encore DÉJÀ VU (2006), intrigant thriller jouant sur les paradoxes temporels.

Aujourd’hui, nouvel extrait : des vies à la campagne.


 

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Vendredi 5 février

Hier, fin N° 30. On reconnaît tout de suite la voix de Raymond Depardon. Pas de doute, on est dans un des films de sa trilogie PROFILS PAYSANS. Mais lequel ? Pas si évident que ça… On peut éliminer le troisième, LA VIE MODERNE (2008), qu’il a filmé en format scope (image quasiment 2,5 fois plus large que haute). Ce n’est pas le cas ici. On hésite donc entre les deux premiers, L’APPROCHE (2001) et LE QUOTIDIEN (2004)… Et il s’agit bien de ce deuxième volet : PROFILS PAYSANS : LE QUOTIDIEN, qui s’intéresse tout particulièrement à la transmission des fermes dans ces régions de moyenne montagne du Massif Central et à la manière dont les agriculteurs plus jeunes prennent la relève.
Raymond Depardon est venu présenter le film chez nous le 30 mars 2005, on se souvient d’un échange passionnant avec le public, de sa disponibilité et de sa faculté à partager le pourquoi et le comment de son travail. Et on lui laisse la parole : « Je filme des gens qui vivent dans un autre monde, et qui sont devenus une minorité. Après plusieurs années de repérages, c’est dans la moyenne montagne que j’ai trouvé les personnes les plus isolées. Ce sont elles qui nous ont le plus touchés. Elles n’apparaissent pas dans les statistiques, les organisations agricoles les ont oubliées parce qu’elles ne sont pas suffisamment représentatives.
Il faut donner la parole à des timides, à des silencieux. Il ne faut pas entendre que les bavards, les grandes gueules et ceux qui ont le bagout. Il faut aussi filmer ceux qui sont peut-être un peu moins sympathiques, plus méfiants, des personnes âgées, très âgées, qui ont une vraie personnalité, une vraie nature ou des jeunes pleins d’énergie déterminés à faire leur métier sans idéologie néo-rurale. »

Aujourd’hui, on reste à la ferme, mais avec une révolution…


 

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Samedi 6 février

Hier, fin N° 31. L’acteur qu’on voit dans ces trente dernières secondes est américain et s’appelle James Cromwell. Pour une fois, il tient ici le rôle (humain) principal mais il fait partie de ces excellents comédiens qu’on a repérés cent fois dans des seconds rôles sans arriver à retenir leur nom : on se souvient particulièrement de lui en salopard intégral dans L.A. CONFIDENTIAL (1997) de Curtis Hanson ou en Prince Philip dans THE QUEEN (2006) de Stephen Frears… Mais pour trouver le titre du film du jour, ce n’est pas lui qu’il faut regarder, c’est son petit compagnon, rose du groin à la queue : BABE, LE COCHON DEVENU BERGER (1995), film australien de Chris Noonan. Une fable familiale malicieuse comme tout, rondement menée, confondante de bienveillance mais jamais niaise, qui nous narre les aventures d’un porcelet gagné à la foire par le brave fermier Arthur Hogget et qui, pour éviter de finir en charcuterie, va prouver son utilité à la ferme en devenant imbattable dans la garde et la conduite des moutons. Son secret : leur parler gentiment plutôt que de leur aboyer dessus comme l’ont toujours fait ses concurrents canins…
Le film est signé par le quasi-inconnu Chris Noonan (il ne tournera qu’un seul autre film, MISS POTTER (2006), biopic sur la célèbre naturaliste et écrivaine principalement connue pour ses ouvrages à destination des enfants) mais c’est George Miller, le réalisateur des quatre MAD MAX, qui l’a produit et sans doute supervisé. Miller réalisera d’ailleurs lui-même une suite en 1998, BABE, LE COCHON DANS LA VILLE, nettement plus sombre et sans doute moins réussie, qui ne retrouvera pas du tout le succès du premier opus.

Aujourd’hui, un duo pour rire.


 

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Dimanche 7 février

Hier, fin N° 32. Gérard Depardieu dans la trentaine, beau et encore svelte, regarde, incrédule mais presque admiratif, Pierre Richard et sa copine tout récemment rencontrée s’arracher à leur ponton et dériver tranquillement sur les eaux d’un lac mexicain. C’est LA CHÈVRE (1981) de Francis Veber. L’archétype à la française de ce qu’il est convenu d’appeler le « buddy movie », qui se construit sur les tribulations avant tout comiques d’un duo improbable, ici le costaud et le dégingandé, le dégourdi et le nigaud, le rationnel et le rêveur, l’efficace et le maladroit congénital. Triomphe public, qui conduira tout naturellement Francis Veber – scénariste réputé dont c’est le deuxième long métrage en tant que réalisateur après le demi-échec du JOUET en 1976 – à reconduire le couple Depardieu / Richard dans deux autres aventures tout aussi populaires : LES COMPÈRES (1983) et LES FUGITIFS (1986).
Outre les qualités de fabrication des films qu’il a écrits – et souvent réalisés – dans les années 70/80 (ça s’est fâcheusement gâté par la suite), on retiendra de Francis Veber la suite qu’il a dans les idées quand il s’agit de donner un nom à ses personnages. Dans LA CHÈVRE, Pierre Richard s’appelle François Perrin. C’est également le nom qu’il portait dans LE JOUET déjà cité, ainsi qu’auparavant dans LE GRAND BLOND AVEC UNE CHAUSSURE NOIRE (1972) d’Yves Robert. Mais François Perrin ne se résume pas à Pierre Richard : c’est aussi le nom de Patrick Dewaere dans COUP DE TÊTE (1979) de Jean-Jacques Annaud, de Jean-Pierre Marielle dans CAUSE TOUJOURS… TU M’INTÉRESSES (1979) d’Edouard Molinaro, et enfin de Patrick Bruel dans LE JAGUAR (1996). Curieusement Pierre Richard changera de patronyme dans LES COMPÈRES et LES FUGITIFS, pour devenir François Pignon. Un nom qui a lui a aussi tout une histoire : elle commence en 1973 avec Jacques Brel dans L’EMMERDEUR de Molinaro. Après Pierre Richard, ce sera Jacques Villeret qui l’endossera dans LE DÎNER DE CONS (1998), puis Daniel Auteuil dans LE PLACARD (2000), Gad Elmaleh dans LA DOUBLURE (2006) et enfin, la boucle est bouclée, Patrick Timsit dans le remake inutile de L’EMMERDEUR (2008) ! Une telle permanence identitaire n’est évidemment pas un hasard, c’est comme si, au-delà des histoires divertissantes qu’il raconte, Veber voulait créer et faire évoluer un Caracactère : l’innocent un peu à côté de la plaque, étranger à tout esprit de calcul et de compétition, donc complètement démuni devant la dureté de la société, mais qui finit par emporter, sinon le pactole en tout cas la sympathie à force de gentillesse et d’intégrité morale… Pas de quoi en faire un plat, mais c’est plutôt rigolo.

Aujourd’hui, un géant à la voix qui vacille…


 

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Lundi 8 février

Hier, fin N° 33. Depardieu bis. Un peu plus tard, la cinquantaine largement entamée et beaucoup moins svelte, en chanteur de bal. Les paroles du tube de Michel Delpech donnent la réponse : J’avais une vie de dingue… QUAND J’ÉTAIS CHANTEUR (2006) de Xavier Giannoli. Un beau film mélancolique qui chronique la rencontre réparatrice entre Alain Moreau – et son orchestre ! –, crooner de soirées dans les dancings ou les casinos autour de Clermont-Ferrand, tâcheron des après-midis dansants, sans illusions mais jamais cynique, toujours ravi de la chaleur d’un public reconnaissant, et l’inattendue Marion, ses vingt-cinq ans lumineux ébranlés par quelques récentes baffes de la vie, fragilisée par une déception amoureuse et un gamin qu’elle ne sait pas par quel bout prendre. Ce ne sera pas le grand amour toujours mais une parenthèse de douceur dans un monde de brutes.
Xavier Giannoli est l’un des plus intéressants – et des plus discrets, c’est sans doute pourquoi son nom n’est pas très connu – parmi les cinéastes français en activité, abordant à chaque film des sujets très différents, avec un classicisme assumé et toujours inspiré : après QUAND J’ÉTAIS CHANTEUR, on lui doit À L’ORIGINE (2008), avec François Cluzet en constructeur d’autoroute usurpateur, MARGUERITE (2015), avec Catherine Frot en cantatrice calamiteuse mais passionnée, et L’APPARITION (2017), avec Vincent Lindon en journaliste enquêtant sur la véracité d’une manifestation divine. Trois films que nous avons programmés et ardemment défendus. Le seul de ses films sur lesquels on a fait l’impasse, c’est SUPERSTAR (2012), avec Kad Merad.
Autant vous dire qu’on attend avec grande impatience son adaptation des ILLUSIONS PERDUES de Balzac, où il retrouve Cécile de France et Depardieu entourés au milieu d’une distribution incroyable : Benjamin Voisin, Vincent Lacoste, Jeanne Balibar, André Marcon et… Xavier Dolan.

Aujourd’hui, autour d’une dame brune…


 

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Mardi 9 février

 

Hier, fin N° 34. La « longue dame brune », on la reconnaît tout de suite évidemment, et le film c’est elle, dès le titre : BARBARA, réalisé en 2017 par Mathieu Amalric, avec Jeanne Balibar, dont on entend la voix dans ces trente dernières secondes. Mais c’est bien Barbara elle-même qu’on voit à l’image, dans un de ces documents d’archives qui reviennent régulièrement au cours du film, en contrepoint à la fiction. Mathieu Amalric n’a pas du tout cherché à réaliser un biopic traditionnel sur la vie de la chanteuse, mais à construire à petites touche une évocation sensible de sa personnalité et de son art. De même que Jeanne Balibar – qui a reçu pour sa performance un César bien mérité de la meilleure actrice – réussit à incarner Barbara sans jamais essayer de l’imiter ou de la mimer. Le metteur et sa comédienne créent ainsi un univers fait de bribes et de broc, de sensations et de simili-anecdotes, de rêveries inventées mêlées d’images retrouvés.
Pour la petite histoire, Barbara s’est essayée, au début des années 1970, à être actrice dans deux films, qui n’ont pas laissé un souvenir impérissable : FRANTZ (1971), aux côtés de Jacques Brel qui passait pour la première fois à la réalisation, et L’OISEAU RARE (1973), comédie de Jean-Claude Brialy dans laquelle elle donnait la réplique à quelques pointures, dont Jacqueline Maillan et Micheline Presle.
On préfèrera retrouver Barbara au cinéma à travers ses chansons qui illuminent quelques films qu’on aime : « Dis, quand reviendras-tu ? » et « Une petite cantate » dans deux séquences de CAMILLE REDOUBLE (2012) de Noémie Lvovsky, « Septembre » sur les dernières minutes de MADEMOISELLE CHAMBON (2009) de Stéphane Brizé, ou encore « Ce matin-là » sur le générique de fin de LES CHANSONS D’AMOUR (2007) de Christophe Honoré (le seul morceau de la bande son du film qui n’est pas signé Alex Beaupin).

 

Aujourd’hui, juste un regard dans un magasin de jouet.


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Mercredi 10 février

 

Hier, fin N° 35. Cette ultime scène, échange de regard magnétique entre Cate Blanchett et Rooney Mara, seules au monde parmi la foule d’un restaurant, est aussi magnifique que le film tout entier : CAROL (2015) de Todd Haynes. À l’époque, Todd Haynes n’avait pas réalisé de film pour le cinéma depuis 8 ans et I’M NOT THERE, son évocation ébouriffante de la personnalité multiple de Bob Dylan (dont l’une des facettes était déjà incarnée par Cate Blanchett). Il avait travaillé entretemps pour la télévision, signant entre autres en 2011 une très belle MILDRED PIERCE en trois épisodes avec une Kate Winslet étincelante. Pour son retour au grand écran, il revient aussi au mélodrame féminin (et féministe), dans lignée de LOIN DU PARADIS (2002). CAROL est moins explicite, plus secret, plus distancié mais non moins émouvant si l’on sait percevoir le feu sous la glace. De fait, le récit de cette rencontre amoureuse entre Carol, grande bourgeoise qui étouffe sous le joug des conventions, et Therese, jeune vendeuse de jouets dans un grand magasin qui a encore le choix de ne pas s’enfermer dans une vie toute tracée, est tout simplement bouleversant de finesse et de beauté.
CAROL était en compétition au Festival de Cannes 2015. Ce n’est pas Cate Blanchett, dans le rôle-titre, qui a été récompensée du Prix d’interprétation féminine, c’est Rooney Mara / Therese. Tout le monde était d’accord pour dire que le prix aurait dû en toute justice être attribué conjointement aux deux sublimes comédiennes.
Le scénario du film est adapté du roman de Patricia Highsmith (Ed. Calmann-Lévy et Livre de poche), connu également sous les titres « The Price of salt » et en France « Les Eaux dérobées ». Il faut souligner, c’est loin d’être anodin, que l’écrivaine se vit refuser – c’était en 1952 – le manuscrit par son éditeur (malgré le succès de son premier roman, « L’Inconnu du Nord-Express ») qui ne croyait pas une seconde que l’histoire d’un amour lesbien pourrait intéresser les lecteurs. Les lectrices, de toute évidence, il n’en avait que faire… Patricia Highsmith dut trouver un autre éditeur et publier le roman sous le pseudonyme de Claire Morgan. Le succès fut au rendez-vous, surtout dans l’édition de poche, vendue « à près d’un million d’exemplaires » (dixit Highsmith elle-même dans la préface à la réédition de son livre).

 

Aujourd’hui : portrait de Paris en 1962.


 

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Jeudi 11 février

Hier, fin N° 36. Là, c’est quand même assez pointu et il faut bien l’indice donné par Aurore, « Portrait de Paris en 1962 », pour nous mettre sur la bonne voie… Il m’a fallu quand même regarder trois fois ces trente dernières secondes pour avoir une idée précise. Regarder et surtout écouter : ce n’est qu’à la troisième vision/écoute que j’ai reconnu la voix d’Yves Montand. Et là tout s’est éclairé : c’est LE JOLI MAI (1963), film documentaire réalisé par Chris Marker et Pierre Lhomme. Ce qui m’a égaré aussi au début, c’est le ton grave du texte, presque tragique – c’est sans doute pour ça que la voix de Montand est moins chantante que lorsqu’il galèje –, alors que je garde du film un souvenir beaucoup plus lumineux, énergique, enjoué. Mais avec une vraie gravité aussi, et c’est donc sur cette tonalité qu’il s’achève.
Mai 62. Ce printemps-là n’est pas comme les précédents, il marque le début d’une ère nouvelle:
premier mois de paix après sept ans d’une guerre qui n’ose toujours pas dire son nom, pile poil au milieu des « Trente Glorieuses ». Chris Marker et Pierre Lhomme partent caméra à l’épaule et micro en main aux quatre coins de Paris, capter des bouffées de ce printemps-là. « Le Joli Mai sera un films à ricochet ! », ils seront des « lanceurs de questions sur l’eau de Paris », curieux de voir comment elles rebondissent, ce qu’elles provoquent, si elles vont loin… Pour sûr qu’elles vont loin puisque les réponses qu’elles suscitent résonnent encore aujourd’hui !
LE JOLI MAI est le premier véritable long métrage de Chris Marker (1921 - 2012) , jusque là auteur de courts ou moyens métrages qui avaient bousculé le genre documentaire : on pense en particulier à LA JETÉE, réalisé juste avant. Il a poursuivi une riche carrière avec des films aussi essentiels que LOIN DU VIETNAM (1967), LE FOND DE L’AIR EST ROUGE (1977), sur mai 68, ou SANS SOLEIL (1983)… et il y en a plein d’autres, dont un film d’une petite heure, LA SOLITUDE DU CHANTEUR DE FOND (1974), consacré à … Yves Montand !
Pierre Lhomme (1930 - 2019) quant à lui, n’a pas réalisé d’autre long métrage que LE JOLI MAI. Il est connu et reconnu comme l’un des plus grands directeurs de la photographie du cinéma français (collaborateur de Cavalier, Rappeneau, Melville, Eustache, Ivory).

L’extrait du jour et son indice : illusions perdues sur un paquebot de croisière.


 

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Vendredi 12 février

Hier, fin N° 37. Ce collage d’images qui passent du coq à l’âne, de voix qui se chevauchent, de sons plus ou moins agressifs, puis ces lettres qui prennent possession de l’écran pour livrer leur absence de commentaire… Pas de mystère – ou plutôt que du mystère ! –, on est chez Godard dernière manière, celui qui abandonné non pas la fiction, puisque plusieurs comédiens « jouent » dans le film, mais toute idée de continuité narrative, pour composer des films-essais, des films-poèmes bruitistes qui peuvent ouvrir la porte vers d’autres dimensions aussi bien que vous laisser sur le carreau, voire vous faire passer d’un état à l’autre au gré du cheminement de la pensée en action. Ici, c’est donc FILM SOCIALISME (2010). Pas du tout spécialiste de Godard, je ne gloserai pas davantage sur le film et je relèverai seulement deux détails.
D’abord la bande-annonce proprement hallucinante qu’avait imposée le cinéaste : des images qui défilent à 200 à l’heure et qui défient toute tentative de décryptage, avant qu’on ne réalise, au terme de la minute et quatorze secondes que dure l’exercice, qu’on vient de voir le film entier en ultra-accéléré. Vertige…
Ensuite le bateau sur lequel a été tournée la première partie du film, cette croisière dont parle Aurore dans son indice. Hasard ou prémonition – avec l’helvète underground, on ne sait jamais –, Godard a filmé cette parabole d’une Europe dévoyée, réduite à n’être plus qu’une marchandise touristique pour retraités… sur le Costa Concordia ! Le paquebot ringardement de luxe qui devait faire naufrage deux ans plus tard, le 13 janvier 2012, sur le littoral sud de la Toscane. On se souvient de son piteux capitaine qui s’était lâchement carapaté dans un des premiers canots de sauvetage, se souciant comme d’une guigne de ses passagers, dont 16 n’ont pas survécu.
C’est bien connu, jamais deux détails sans un troisième : Godard avait annoncé que FILM SOCIALISME serait son dernier film. C’était bien sûr du pipeau puisqu’il a réalisé ensuite ADIEU AU LANGAGE en 2014 et en 3D, et LE LIVRE D’IMAGE en 2018 et pour une diffusion uniquement à la télé.

Aujourd’hui : un frère et une sœur à Marseille.


 

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Samedi 13 février

Hier, fin N° 38. « Un frère et une sœur à Marseille » nous souffle l’indice d’Aurore, ici encore bien utile pour situer les choses. Pas sûr que j’aurais reconnu sans son aide les dernières images de NÉNETTE ET BONI (1996) de Claire Denis. La jeune fille qui fume s’appelle Alice Houri, elle a l’âge du personnage (15 ans, 16 à la limite) et elle débute au cinéma avec ce rôle de Nénette, après avoir tourné deux ans plus tôt un téléfilm avec Claire Denis. Elle est superbe dans le film mais malheureusement on ne l’a quasiment jamais revue après, sinon dans le tout aussi marseillais LA GRAINE ET LE MULET (2007) d’Abtellatif Kechiche. Boni, le frère de Nénette, c’est Grégoire Colin, qui va devenir un des acteurs fétiches de Claire Denis.
Un frère et une sœur se retrouvent sans vraiment le vouloir et apprennent à s’aimer en même temps qu’à devenir adultes. Sur ce canevas familial et somme toute familier, Claire Denis construit un film qui déborde de liberté et d’invention, jamais convenu, jamais contraint, aussi stylisé que charnel. NÉNETTE ET BONI est le quatrième jalon d’une passionnante œuvre en construction, après CHOCOLAT (1988), S’EN FOUT LA MORT (1990) et J’AI PAS SOMMEIL (1993). Et son film suivant sera BEAU TRAVAIL (1999), déjà célébré dans ce quiz. Une quinte royale !
NÉNETTE ET BONI, c’est aussi la première collaboration entre Claire Denis et le groupe anglais Tindersticks, qui composera ensuite la musique de tous ses films, soit sous la signature du groupe, soit sous celle de son leader, Stuart Stapples, ou – pour le seul VENDREDI SOIR (2002) – sous celle de Dickon Hinchliffe, membre fondateur des Tindersticks.
À 72 ans, Claire Denis déborde de projets et on pourra voir bientôt (je ne sais pas si on peut encore utiliser ce mot pour envisager la réouverture des salles de cinéma, mais ça aide à garde le moral) son nouveau film, qu’elle a fini de tourner cet hiver : FEU, co-écrit avec Christine Angot (comme UN BEAU SOLEIL INTÉRIEUR en 2017), avec Juliette Binoche (pour la troisième fois consécutive), Vincent Lindon (pour la troisième fois non consécutive), Bulle Ogier (youpie!) et… Grégoire Colin !

Aujourd’hui : une éducation sentimentale en Suède.


 

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Dimanche 14 février

Hier, fin N° 39. Là aucune hésitation, nul besoin d’indice car c’est un des films qui ont marqué notre année 2020 : LA BEAUTÉ DES CHOSES (1995), l’ultime film de Bo Widerberg, qui aura mis 25 ans pour arriver sur les écrans français puisqu’il est n’est sorti qu’en février de l’an dernier. Et c’est le propre fils du réalisateur, Johan, qui interprète le jeune héros du film, s’avançant vers la caméra et vers l’avenir, fort de l’expérience extraordinaire qu’il aura vécue, en cette délétère année 1943, en aimant sa professeure d’anglais tout en se liant d’une curieuse amitié avec le mari de celle-ci… Nous avons ardemment défendu LA BEAUTÉ DES CHOSES en première page de notre gazette et, le bouche-à-oreille aidant, le film a connu un beau succès chez nous, interrompu par le premier confinement et la fermeture des salles. Bo Widerberg, mort d’un cancer en 1997, c’est avec Bergman l’autre grand réalisateur suédois contemporain – le troisième géant du cinéma suédois si on ajoute le pionnier Victor Sjöström, qui fit d’ailleurs l’acteur pour Bergman dans un de ses plus beaux films, LES FRAISES SAUVAGES (1957) –, dont la carrière est malheureusement restée dans l’ombre envahissante de celle du génial mais encombrant Ingmar. Widerberg se présentait lui-même, dès ses premiers pas de cinéaste, comme l’anti-Bergman. Entre deux fermetures, nous aurons eu le temps de programmer la première partie d’une rétrospective consacrée à Widerberg par le distributeur indépendant Malavida, à qui l’on doit la redécouverte du cinéaste. Six de ses films réalisés pendant la première période de sa carrière, entre 1962 et 1971. Une seconde partie, composée de ses films plus récents, était prévue pour l’été 2021. On peut encore espérer qu’elle sera maintenue…

Aujourd’hui : une oreille trouvée dans un jardin…


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Lundi 15 février

 

Hier, fin N° 40. Isabella Rossellini dans toute sa splendeur, omniprésente dans BLUE VELVET (1986) de David Lynch. À partir de la découverte par Jeffrey (Kyle Mac Lachlan) d’une oreille humaine abandonnée sur l’herbe d’une pelouse parfaitement tondue dans un quartier tranquille à pleurer d’une petite ville banale à mourir, Lynch nous entraîne dans une descente aux enfers au plus profond d’un univers de vices, de violences, de perversions sexuelles, un univers où sévissent des êtres « qu’aucune loi, aucun interdit, aucune torture n’effraient »… Dans la carrière de Lynch, BLUE VELVET fait suite à l’expérience traumatisante de DUNE (1984) film de commande qui l’a englouti sous l’énormité de son budget. Sans se laisser abattre il enchaîne donc avec le même producteur, le tycoon Dino De Laurentis, mais avec un projet totalement personnel et un budget raisonnable qui va lui permettre de garder le contrôle absolu des opérations. Il réembauche Kyle Mac Lachlan, qui restera son complice dans l’aventure TWIN PEAKS et rencontre Isabella Rossellini avec qui il va vivre une grande histoire d’amour pendant quatre ans. On peut dire ainsi que BLUE VELVET est le film des premières fois : première fois qu’il dirige LAURA DERN, qu’on retrouvera en premier rôle dans SAILOR ET LULA (2006) et INLAND EMPIRE (2006), et surtout première fois qu’il collabore avec le musicien Angelo Badalamenti, qui va prendre une place prépondérante dans l’univers lynchien, composant la musique originale de tous les films du cinéaste (sur LOST HIGHWAY (1997), il s’est partagé le travail avec Trent Reznor), les enveloppant de ses ambiances aussi voluptueuses que vertigineuses. Il n’y a qu’à regarder et écouter pour la énième fois le générique de TWIN PEAKS pour se convaincre de l’adéquation parfaite entre les mondes intérieurs de Lynch et Badalamenti: https://youtu.be/0WrUKnFSCok

 

L’extrait du jour et son indice : femme fatale.


 

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Mardi 16 février

 

Hier, fin N° 47. Au centre de l’image, c’est Glenn Ford (grand acteur américain classique, pas tout à fait reconnu à sa juste valeur). À ses côtés, une femme qu’on reconnaît immédiatement, avant même de voir son visage, au simple spectacle de sa chevelure qui tombe en cascades sur son dos : Rita Hayworth, dans GILDA (1946) bien sûr. Ce film noir de Charles Vidor (typique réalisateur de studio sans éclat particulier) représente l’apogée de la carrière de l’actrice, son rôle le plus fameux qui lui offre la scène mythique où elle chante « Put the blame on Mame » et ondule en robe-bustier moulante, atteignant le comble de l’érotisme en faisant simplement glisser le long gant noir qui habille son bras. Le film a été construit autour de celle qu’on surnommait « la déesse de l’amour » et pourtant l’apparition à l’écran de Rita/Gilda se fait attendre un bon moment. Tout le début de l’intrigue est centré sur la rencontre et la relation trouble entre deux hommes : agressé par des seconds couteaux, Johnny Farrel (Glenn Ford), beau garçon un peu voyou, est sauvé par Ballin Mudson, un patron de boîte de nuit très distingué (George McReady, qui n’a jamais accédé au rang de vedette mais qui reste inoubliable en criminel général va-t-en guerre dans LES SENTIERS DE LA GLOIRE (1957) de Kubrick) qui lui fait quasiment les yeux doux et lui offre son amitié en même temps qu’une fonction d’associé dans ses affaires. L’idée d’une relation homosexuelle entre les deux hommes est ainsi abordée de manière certes allusive mais bien réelle, audace rare pour l’époque. Mais LE personnage féminin va venir tout bouleverser, en la personne de Gilda, que Mudson « achète » littéralement et épouse au cours d’un voyage. Or l’incandescente Gilda fut autrefois la maîtresse de Farrel, et accessoirement la cause de ses malheurs… Comme vous pouvez le constater dans la toute fin du film – un peu niaise –, ça s’arrange entre eux. Le fait qu’on reconnaisse Rita Hayworth à sa seule voluptueuse chevelure met bien l’accent sur le « sacrilège » que commit Orson Welles lorsqu’il décida de confier à celle qui était alors son épouse le rôle principal de LA DAME DE SHANGHAI (1947), tout en décrétant que le personnage aurait les cheveux courts et blonds platine… Sans qu’il y ait de lien de cause à effet, le couple se sépara peu de temps après…

 

Aujourd’hui : une galerie marchande à Bruxelles.


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Mercredi 17 février

 

Hier, fin N° 42. Je ne me souvenais plus du tout que Charles Denner avait joué (un rôle secondaire certes, mais quand même…) dans ce film. Heureusement la présence de Delphine Seyrig et de la toute jeunette Lio (c’était sa deuxième apparition au cinéma) a fait tilt : c’est GOLDEN EIGHTIES (1986) de Chantal Akerman. Dans l’univers pimpant et coloré d’une galerie marchande, entre un salon de coiffure, un café, un cinéma et une boutique de confection, employés et clients ne vivent et ne s’occupent que d’amour : ils le rêvent, le disent, le chantent, le dansent. Rencontres, retrouvailles, trahisons, passions, dépits. Déclinant toutes les formes de la séduction et du sentiment amoureux, les histoires se croisent et s’entremêlent, commentées par les chœurs malicieux des shampouineuses et d’une bande de garçons désœuvrés. L’empreinte de Jacques Demy est évidente : on retrouve Delphine Seyrig, une base de comédie musicale, et ces personnages amoureux de l’amour, qui l’espèrent, le loupent, le recroisent. Peut-être… Mais Golden eighties est bien un film de Chantal Akerman ! A priori moins radical que ses œuvres des années 1970, le film séduit d’abord par son parfum de madeleine de l’époque, mais laisse au final un goût bien amer… C’est presque étonnant qu’il ait fallu attendre la fin numéro 42 pour que ce quiz propose un film de Chantal Akerman. Aurore est une admiratrice fervente de l’oeuvre de la plus grande réalisatrice qu’ait connu le cinéma belge. Après sa disparition en 2015, c’est Aurore, au prix d’un travail passionné et tenace, qui nous a permis de proposer, de juin 2016 à février 2017, un hommage au long cours à la cinéaste, en 14 films traduisant la richesse d’une œuvre libre, singulière, radicale.

 

Aujourd’hui : un film de vacances.


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Jeudi 18 février

 

Hier, fin N° 43. On reconnaît parmi ces joyeux agités Valeria Bruni-Tedeschi qui prend le talon de sa chaussure pour un micro, le trop rare (à l’écran, il se rattrape sur les planches) Jacques Bonnafé, Sabrina Seyvecou (découverte chez Jean-Claude Brisseau, cinéaste maudit jusqu’à être privé de l’annonce de sa mort par la triste cérémonie des César 2020), le grand jaune Jean-Marc Barr et Gilbert Melki, à qui le précédent a ouvert dans le film des horizons sexuels insoupçonnés… Et si les acteurs ne suffisent pas à nous faire trouver la réponse, il faut écouter les paroles de la chanson endiablée qui les fait saliver : des bulots = coquillages ; des ormeaux = coquillages ; des crevettes = crustacés ; des palourdes = coquillages ; des tourteaux = crustacés ; des saint-jacques = coquillages ; et enfin des bigorneaux = coquillages aussi. CQFD : c’est CRUSTACÉS ET COQUILLAGES (2004), réalisé par le duo Olivier Ducastel et Jacques Martineau. Une comédie impertinente et euphorique, pleine de grâce et de chansons, qui, le temps d’un séjour estival dans les calanques de Marseille, va battre, rebattre et mélanger les cartes des jeux de l’amour et du hasard, pour ouvrir tous les cœurs à la tolérance, aux joies du partage et au bonheur d’être ensemble. Autant de trucs qui font rêver par les temps qui ne courent plus du tout… Ducastel et Martineau s’étaient déjà essayés à la comédie musicale dès leur premier film, le très charmant JEANNE ET LE GARÇON FORMIDABLE (1997), avec Virgnie Ledoyen, Mathieu Demy et déjà Jacques Bonnafé. Parmi leurs films suivants, on en notera un qui n’est jamais sorti au cinéma : réalisé en 2008 dans le cadre d’une éphémère collection « La Comédie Française fait son cinéma », et donc joué par les actrices et acteurs du Français (Catherine Ferran, Pierre Louis-Calixte, Laurent Stocker, Elsa Lepoivre…), il s’agit de la première adaptation filmée de la pièce de Jean-Luc Lagarce JUSTE LA FIN DU MONDE… qui sera de nouveau portée à l’écran en 2016, de manière beaucoup plus tonitruante, par Xavier Dolan.

 

Aujourd’hui : immersion dans le trouble de l’adolescence.


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Vendredi 19 février

 

Hier, fin N° 44. Ambiance bleutée pour une Adèle Haenel de 18 ans dans NAISSANCE DES PIEUVRES (2007). Naissance d’une cinéaste, Céline Sciamma, auteure complète, qui va prendre une place prépondérante dans le cinéma français avec ce premier film et les suivants : TOMBOY (2011), BANDE DE FILLES (2014) et PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU (2019). Elle vient de terminer PETITE MAMAN, qui sera en compétition au prochain Festival de Berlin. Ne pas oublier son travail de scénariste pour les autres, tout particulièrement pour MA VIE DE COURGETTE (2015), magnifique film d’animation de Claude Barras. Naissance aussi d’une grande actrice : Adèle Haenel avait débuté à 12 ans dans LES DIABLES (2001) de Christophe Ruggia mais LA NAISSANCE DES PIEUVES peut être considéré comme son vrai premier rôle, son premier choix conscient qui annonce une carrière d’une richesse et d’une constance rares, couronnée très tôt par son César de la meilleure actrice en 2015 pour LES COMBATTANTS de Thomas Cailley et jalonnée par des collaborations avec quelques unes et quelques uns des cinéastes les plus passionnants de l’époque, à commencer par Céline Sciamma bien sûr, mais aussi Bertrand Bonnello (L’APOLLONIDE, 2011), Katel Quillévéré (SUZANNE, 2013), André Téchiné (L’HOMME QU’ON AIMAIT TROP, 2014), les frères Dardenne (LA FILLE INCONNUE, 2016), Pierre Salvadori (EN LIBERTÉ !, 2017) ou Robin Campillo (120 BATTEMENTS PAR MINUTE, 2017)… NAISSANCE DES PIEUVRES marquait également les débuts de deux autres jeunes actrices : Pauline Hacquart, qui tient en fait le rôle central du film, et Louise Blachère. Mais la suite a été moins heureuse – ou plutôt moins visible, car le succès est loin d’être synonyme de bonheur et d’équilibre – pour elles, qu’on n’a revues par la suite que dans des rôles secondaires ou dans des films qui sont passés un peu inaperçus. Dommage car elles sont toutes deux formidables dans le film de Céline Sciamma.

 

Aujourd’hui, l’unique Palme remportée par une femme.


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Samedi 20 février

 

Hier, fin N° 45. À vrai dire, je ne gardais pas le souvenir de cette fin sub-aquatique et il m’aurait fallu pas mal de temps et de fouinage pour trouver le titre du film concerné. Heureusement l’indice d’Aurore a coupé court à toute hésitation : « L’unique palme remportée par une femme », c’est bien sûr LA LEÇON DE PIANO (1993) de Jane Campion, lauréat de la Palme d’Or du Festival de Cannes 1993. Et de fait Jane Campion est bien la seule cinéaste à avoir remporté cette récompense en 72 éditions du Festival. Dans le même ordre d’idée, quatre réalisatrices seulement ont reçu le Grand Prix du jury, deuxième distinction dans la hiérarchie du palmarès : la hongroise Marta Meszaros a fait figure de pionnière en 1984 avec JOURNAL À MES ENFANTS, puis il a fallu attendre le siècle suivant avec trois femmes récompensées : la japonaise Naomi Kawase pour LA FORÊT DE MOGARI en 2007, l’italienne Alice Rohrwacher pour LES MERVEILLES en 2014 et enfin la franco-sénégalaise Mati Diop pour ATLANTIQUE en 2019. Il semblerait qu’il y ait une petite accélération mais question parité, le bilan cannois n’est pas brillant… Et encore faut-il préciser que Jane Campion n’a pas été la seule lauréate de la Palme 1993, elle l’a partagée avec le chinois Chen Kaige pour son ADIEU MA CONCUBINE. De là à dire que les femmes n’auront glané qu’une demi-palme en 72 festivals de Cannes… En tout cas, ça nous fait rebondir sur les Palmes d’or ex-aequo. Il n’y en a pas eu des wagons, mais le cas n’a pas été non plus exceptionnel. On compte ainsi 9 festivals qui se sont terminés par un partage de la récompense suprême. Pour ceux que ça amuse, voici la liste : 1952 : OTHELLO d’Orson Welles (USA) et DEUX SOUS D’ESPOIR de Renato Castellani (Italie) ; 1961 : UNE AUSSI LONGUE ABSENCE d’Henri Colpi (France) et VIRIDIANA de Luis Bunuel (Espagne) ; 1966 : UN HOMME ET UNE FEMME de Claude Lelouch (France) et CES MESSIEURS DAMES de Pietro Germi (Italie) ; 1972, coup double italien : LA CLASSE OUVRIÈRE VA AU PARADIS d’Elio Petri et L’AFFAIRE MATTEI de Francesco Rosi ; 1973 : LA MÉPRISE d’Alan Bridges (GB) et L’ÉPOUVANTAIL de Jerry Schatzberg (USA) ; 1979 : APOCALYPSE NOW de Francis Ford Coppola (USA) et LE TAMBOUR de Volker Schlöndorff (RFA) ; rebelote en 1980 : KAGEMUSHA d’Akira Kurosawa (Japon) et QUE LE SPECTACLE COMMENCE de Bob Fosse (USA) ; 1982 : MISSING de Costa Gavras (USA) et YOL de Yilmaz Guney (Turquie) ; 1997 : LE GOÛT DE LA CERISE d’Abbas Kiarostami (Iran) et L’ANGUILLE de Shohei Imamura (Japon). Les grands Kiarostami et Imamura resteront dans l’histoire comme les derniers co-palmés de Cannes puisqu’au début des années 2000 (j’ai été incapable de retrouver la date précise), le Festival a décidé de spécifier dans son règlement que l’ex-aequo n’est possible que pour un seul prix du palmarès et en aucun cas pour la Palme d’Or.

 

Aujourd’hui : une autre Palme sur la perte d’un fils.


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Dimanche 21 février

 

Hier, fin N° 46. Encore une Palme d’or donc. Celle du Festival de Cannes 2001 : LA CHAMBRE DU FILS de Nanni Moretti. On voit en plan d’ensemble Nanni Moretti, Laura Morante et Jasmine Trinca marcher, ensemble mais séparés, chacun comme perdu dans ses pensées, sur une plage de Menton, au son de la très belle mélodie de « By this river », chanson de Brian Eno. Épilogue apaisé mais encore douloureux d’un film bouleversant qui raconte, avec une retenue et une intelligence magnifiques, la perte d’un fils, la manière dont elle dynamite l’équilibre d’une famille unie, la fragilité mais finalement la force des liens qui unissent un père, une mère, une fille qui doivent continuer à vivre. Entre Nanni Moretti et le Festival de Cannes, c’est une longue histoire qui a démarré dès ECCE BOMBO, le deuxième long métrage du cinéaste italien, en compétition dans l’édition 1978. Après un entr’acte d’une quinzaine d’années – qui verront les films de Moretti sélectionnés dans d’autres festivals internationaux, notamment LA MESSE EST FINIE couronné d’un Ours d’argent à Berlin 1986) –, Moretti fait son retour dans la sélection officielle cannoise en 1994 avec JOURNAL INTIME, avec lequel il décroche le Prix de la mise en scène. Tous ses films suivants seront présentés en compétition : APRILE en 1997, LA CHAMBRE DU FILS donc en 2001, LE CAÏMAN en 2006, HABEMUS PAPAM en 2011 et MIA MADRE en 2015. Et le film qu’il a achevé l’an dernier, TRE PIANI, sera sans aucun doute présent au Festival de Cannes 2021… s’il a lieu. Par contre, aucune récompense depuis la Palme d’or de LA CHAMBRE DU FILS. Même pas un Prix d’interprétation masculine pour Michel Piccoli dans HABEMUS PAPAM et là, pour le coup, on se demande encore comment le jury a pu lui préférer Jean Dujardin dans THE ARTIST…

 

Aujourd’hui : grosse parodie de western…


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Lundi 22 février

 

Hier, fin N° 47. Qu’est ce que c’est que ce film ? Avec un Kirk Douglas en pantin aussi désarticulé que bondissant, une Ann Margret qui se contente d’en sourire d’un air gourmand et un Arnold Schwarzenegger encore débutant en cow-boy benêt et forcément baraqué… Je ne l’ai jamais vu mais ce ne fut pas trop compliqué de trouver le titre : Douglas et Schwarzenegger n’ont tourné qu’une seule fois ensemble, dans cette pochade intitulée en français CACTUS JACK, THE VILLAIN en version originale, réalisée en 1979 par Hal Needham et apparemment sortie sur les écrans français en juillet 1980. Comme le laissent deviner les trente secondes finales, il s’agit d’une parodie de western délirante et résolument cartoonesque, inspirée en particulier des courts métrages animés de Chuck Jones mettant en scène l’oiseau Bip-Bip et Vil Coyote qui lui court après sans jamais pouvoir l’attraper et se ratatine systématiquement à la fin de chaque poursuite. On se demande bien où Aurore a pu dénicher cette rareté nanardesque, eh bien c’est chez YOYO VIDÉO, le dernier vidéo-club de Bordeaux, situé dans le quartier du Grand Parc, 4 rue des Frères Portmann, centre commercial Counord. YOYO VIDÉO c’est la caverne d’Ali Baba, plus de 20 000 références en DVD ou Blu-ray, et contrairement au plate-formes de streaming, ce n’est pas un algorithme qui vous accueille et vous conseille, c’est un passionné de cinéma en chair, en os et en chaleur humaine. En ces temps de fermeture des salles, YOYO VIDÉO, c’est l’ultime bastion de la cinéphilie bordelaise, qu’on se le dise ! Pour en revenir à CACTUS JACK, son réalisateur Hal Needham (1931-2013) a mené une fructueuse carrière de cascadeur débutée dans les années cinquante avant de passer à la réalisation à la fin des années soixante dix en tant que « yes man » de Burt Reynolds, méga-vedette à l’époque. Ils ont tourné ensemble une bonne demi-douzaine de films purement commerciaux à base de comédie bas de plafond, de baston, de grosses bagnoles et de pin-up, dont les plus connus sont les trois premiers : COURS APRÈS MOI SHÉRIF (1977), LA FUREUR DU DANGER (1978) et TU FAIS PAS LE POIDS SHÉRIF (1980). On ne sait pas pourquoi ni comment CACTUS JACK s’est glissé en douce au deux-tiers de la trilogie…

 

Aujourd’hui : énorme partie de rires…


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Mardi 23 février

 

Hier, fin N° 48. Rien qu’à voir ces trente dernières secondes, on rigole des souvenirs qu’on garde des quatre vingt dix huit minutes qui les précèdent. C’est le génial Peter Sellers dans THE PARTY (1968) de Blake Edwards. Sellers dans le rôle d’un acteur indien répondant au nom de Hrundi V. Bakshi qui, après s’être fait virer pour avoir semé une panique indescriptible sur le tournage d’un film sur la vaillante armée britannique en Inde, se retrouve invité par erreur à un pince-fesses organisé par le producteur du film en question. Il va faire subir à la soirée mondaine le même sort qu’au plateau de tournage : le dynamitage, la destruction par les maladresses et les gaffes en cascade. THE PARTY, c’est l’apogée de la veine purement burlesque de Blake Edwards (1922-2010), un des maîtres de la comédie américaine post-classique, celle des années 60, 70 et 80. Une veine étroitement liée à la personnalité hors-normes de Peter Sellers, avec qui Blake Edwards a créé la saga de l’inspecteur Clouseau et des PANTHÈRE ROSE : six films entre 1963 et 1978 (même s’il faudrait oublier celui réalisé justement en 1978, LA MALÉDICTION DE LA PANTHÈRE ROSE, l’épisode de trop : on décidera donc unilatéralement que la série s’arrête en 1976 avec le désopilant QUAND LA PANTHÈRE ROSE S’EMMÊLE). Blake Edwards a réalisé parallèlement des comédies moins centrées sur le gag, plus écrites, développant des personnages plus fouillés et des situations plus complexes. Parmi ses plus grandes réussites, on n’en citera que deux : DIAMANTS SUR CANAPÉ (1961), avec Audrey Hepburn, et bien sûr le merveilleux VICTOR, VICTORIA (1982), avec son épouse et complice artistique Julie Andrews. Pour l’anecdote, on rappellera enfin qu’Edwards a tourné en 1983 un remake du film de François Truffaut L’HOMME QUI AIMAIT LES FEMMES (1977), titré en français L’HOMME À FEMMES. Avec Burt Reynolds, dont on parlait hier, dans le rôle que jouait Charles Denner. Ce n’était pas une bonne idée.

 

Aujourd’hui : dans une pension de famille en bord de mer.


 

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Mercredi 24 février

Hier, fin N° 49. Le lien avec le film précédent se fait tout naturellement, par le biais du comique burlesque et de la guimbarde pétaradante. Où l’on a le plaisir et l’honneur de faire la connaissance de Hulot, prénom Monsieur, qui pour l’heure part en vacances. Vous avez ainsi dans le désordre le titre de ce film que Jacques Tati a réalisé en 1953, quatre ans après JOUR DE FÊTE. Dédaignant la foule affairée qui s’entasse dans les cars et les trains, Hulot a sorti sa vieille décapotable et s’est lancé hardiment sur la route… semant la panique, suscitant injures et quolibets sur son passage. Mais lui, imperturbable, trace son chemin à travers la tempête. L’hôtel où il prend ses quartiers d’été ressemble à tous les hôtels de la plage du monde. Devant la mer, il y a les baigneurs et les pâtés de sable. Aux mêmes heures, on retrouve autour des mêmes tables les mêmes têtes : la blonde Martine qui fait des ravages parmi les estivants esseulés ; l’homme d’affaire incapable de se séparer de son téléphone pas encore portable ; l’intellectuel aux discours toujours prêts ; le commandant raide comme la justice ; l’Anglaise et son tricot ; le grand garçon et sa maman… L’arrivée de Monsieur Hulot bouleverse la vie de ce petit monde : il provoque les catastrophes comme il respire, ses meilleures intentions dégénèrent en désastres que seul son optimisme flegmatique lui permet de supporter allègrement… C’est donc avec ce film que le génial Tati invente et incarne à l’écran le personnage de Monsieur Hulot, que l’on retrouvera dans ses trois longs métrages suivants : MON ONCLE (1958), PLAYTIME (1967) et TRAFIC (1971). La filmographie se résume en effet à cinq titres, à cause de son perfectionnisme bien sûr, mais aussi à cause du désastre financier qu’a constitué PLAYTIME, son grand œuvre, l’apogée de son art visionnaire, dont l’échec le laissa ruiné, épuisé, désabusé. Après TRAFIC, tourné à l’économie et qui ne pouvait en aucun cas compenser le cataclysme PAYTIME, Tati réalisa en 1974 PARADE, documentaire en forme de spectacle d’adieu dans lequel on le voit jouer plusieurs sketches au sein de la troupe d’une sorte de cirque, dont les spectateurs les plus émerveillés sont des enfants. Puis plus rien jusqu’à sa mort en 1982. Plus rien, ce n’est pas tout à fait vrai puisque Sylvain Chomet nous a offert en 2010 une merveille de film d’animation, L’ILLUSIONNISTE, d’après un scénario écrit mais jamais tourné par Jacques Tati, conservé dans ses archives sous le titre « Film Tati n° 4 ».

Aujourd’hui : Gaspard en vacances à Dinard.


 

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Jeudi 25 février

Hier, fin N° 50. On associe tout de suite Amanda Langlet, la comédienne à l’écran, aux films d’Eric Rohmer. Elle a débuté au cinéma avec lui en 1983 dans PAULINE À LA PLAGE, elle avait 16 ans. Ici elle en a 13 de plus, nous sommes en 1996 dans CONTE D’ÉTÉ. Elle tournera un troisième film avec Rohmer en 2003 : le peu connu TRIPLE AGENT. Le Gaspard en vacances à Dinard, on l’aperçoit, en regardant attentivement, parmi les passagers du bateau de Emeraude Lines : c’est Melvil Poupaud. CONTE D’ÉTÉ est le troisième des « Contes des quatre saisons », réalisés par Rohmer dans les années 90, assez curieusement dans le désordre : CONTE DE PRINTEMPS en 1990, CONTE D’HIVER (pour moi le plus beau) en 1991, CONTE D’ÉTÉ donc en 1996 et CONTE D’AUTOMNE en 1998. Rohmer est un habitué de ces cycles de films qui peuvent évidemment se voir séparément mais qui sont autant de variations autour des mêmes thèmes et qui finissent par constituer un tout. Il a commencé dès le début de sa carrière, dans les années 60, avec les « Six contes moraux » : deux longs courts métrages d’abord, LA BOULANGÈRE DE MONCEAU (1962) et LA CARRIÈRE DE SUZANNE (1963) puis LA COLLECTIONNEUSE (1966) qui en fait était le quatrième conte, réalisé avant le troisième, le très célèbre MA NUIT CHEZ MAUD (1968), et ensuite LE GENOU DE CLAIRE (1970) pour finir par L’AMOUR L’APRÈS-MIDI (1972). Quant aux années 80, elles furent celles des « Comédies et Proverbes », six films qui s’amusent à illustrer un proverbe ou une citation empruntée à la littérature classique ou au bon sens populaire : LA FEMME DE L’AVIATEUR (1981), LE BEAU MARIAGE (1982), PAULINE À LA PLAGE déjà cité, LE RAYON VERT (1986), LES NUITS DE LA PLEINE LUNE (1984), inoubliablement lié à la découverte de l’étoile filante Pascale Ogier et enfin L’AMIE DE MON AMIE (1987).

Aujourd’hui : retour au coeur de l’enfer.


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Vendredi 26 février

 

Hier, fin N° 51. Saisissante. Tout comme l’est la séquence d’ouverture du film, qui montre la jungle s’enflammer sous les bombes au napalm, au son de « The End » des Doors. C’est APOCALYPSE NOW (1979) de Francis Ford Coppola. Qui restera comme l’un des deux chefs d’oeuvre inspirés au cinéma de fiction américain par la guerre du Vietnam, l’autre étant bien évidemment VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER (THE DEER HUNTER), réalisé l’année précédente par Michael Cimino. « En 1976, Coppola, réputation au zénith et compte en banque fourni – il a triomphé avec les deux premiers PARRAIN et obtenu une première Palme d’Or à Cannes avec THE CONVERSATION (1974) –, décide d’adapter le roman de Joseph Conrad Au coeur des ténèbres, en le transposant du Congo de 1901 au Vietnam de 1970… Dès l’origine, APOCALYPSE NOW s’est placé sous le signe de la démesure. Du scénario au tournage, dont les chiffres donnent le tournis, tout est dans l’emphase. Coppola est impérial au milieu de l’effervescence. Il croit que le monde est à lui alors que tout prouve le contraire. Le tournage a lieu aux Philippines, dont l’armée utilise le même matériel que celle des Etats Unis. Un jour, les hélicoptères désertent pour s’en aller mitrailler la guérilla anti-gouvernementale réfugiée dans la jungle ! Une autre fois, un typhon détruit les décors… De 12 millions de dollars, le budget passe à 30. La production devient un enfer dont les gazettes se régalent : Brando changé physiquement (il est devenu gros) et qui ne connaît pas son texte, Harvey Keitel renvoyé dans ses foyers et remplacé par Martin Sheen, lequel fête son arrivée par un infarctus au milieu d’une scène. Le tournage traîne, s’embourbe. « Apocalypse when ? », titrent les journaux. Après un an de jungle et des kilomètres de pellicule, le retour à Los Angeles est douloureux. Le prince est devenu mendiant. Le montage coûtera une fortune : la première version durait 6 heures ! « Apocalypse now n’était pas un film sur le Vietnam, c’était le Vietnam », déclarera Coppola. « Comme l’armée américaine, nous étions arrogants, nous avions trop de monde, trop de matériel, trop d’argent et, peu à peu, nous sommes devenus fous ». (Thierry Frémeaux, L’Express) APOCALYPSE NOW a remporté un énorme succès dans sa version initiale qui durait 2h33. Coppola était néanmoins frustré de ce premier montage qui avait sacrifié trop de matériel et proposa donc une version intégrale en 2001 sous le titre APOCALYPSE NOW REDUX, d’une durée de 3h23. Mais considérant que la version REDUX était trop longue, il mit au point en 2019 APOCALYPSE NOW FINAL CUT, ramené à 3h02, qui constitue pour lui « la version parfaite ». Jusqu’à la prochaine ? Aucun problème, on ne s’en lasse pas.

 

Aujourd’hui : ¡ No pasaran !


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Samedi 27 février

 

Hier, fin N° 52. Recueillement et émotion n’empêchent nullement le poing levé. Nous sommes devant l’un des films les plus emblématiques du cinéma de Ken Loach : LAND AND FREEDOM (1995). Pour la première fois, Loach quitte la Grande Bretagne – il venait de tourner trois de ses plus beaux films sur les Anglais d’en bas : RIFF-RAFF (1991), RAINING STONES (1993) et LADYBIRD (1994) – pour planter sa caméra dans l’Espagne de la Guerre civile. Il n’abandonne par pour autant les prolos qu’il a toujours filmés avec une tendresse et une attention uniques puisqu’il nous entraîne sur les pas de David, jeune, chômeur, idéaliste et généreux, qui décide de quitter Liverpool pour se joindre aux brigades internationales qui luttent en Espagne contre Franco et ses sbires. Sur le front, en Aragon, il va se battre aux côtés de Bernard (c’est Frédéric Pierrot, qui à l’époque ne devait même pas imaginer qu’il pourrait devenir célèbre grâce à un rôle de psy dans une série d’Arte…), Lawrence, Coogan et Bianca. Ils sont allemands, américains, français… venus des quatre coins du monde. Portés par l’Espoir, comme aurait dit Malraux, mais bientôt confrontés aux inévitables désillusions que charrient tous les combats, aussi beaux et grands soient-ils… Certains ont reproché à LAND AND FREEDOM de ne pas assez montrer les enjeux de lutte anti-franquiste et la complexité des stratégies politiques qui s’y côtoyaient, voire s’y affrontaient. Mais Loach ne cherche pas à faire œuvre d’historien ; comme dans tous ses films, il s’intéresse à des femmes et des hommes ordinaires qui font face, il filme un groupe humain dans toute sa richesse, dans ce qui le construit comme dans ce qui le détruit, il fait exister avec une vérité sidérante des caractères formidablement attachants. Le public français en tout cas (en particulier celui des salles Utopia – c’était avant Bordeaux) n’a pas fait la fine bouche et a fait un triomphe à ce film exaltant. LAND AND FREEDOM était en compétition au Festival de Cannes 1995 mais est reparti bredouille. Ce n’est qu’un nuage dans le ciel radieusement bleu des relations entre Ken Loach et Cannes puisque le cinéaste anglais fait partie du club très fermé des réalisateurs qui ont remporté deux Palmes d’Or : en 2006 pour LE VENT SE LÈVE et en 2016 pour MOI, DANIEL BLAKE. Il a par ailleurs glané trois Prix du Jury : en 1990 pour HIDDEN AGENDA, en 1993 pour RAINING STONES et en 2012 pour LA PART DES ANGES. Je ne sais pas si un autre réalisateur a fait mieux, on aura peut-être l’occasion d’y revenir…

 

Aujourd’hui : quinze années de luttes à travers le monde.


 

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Dimanche 28 février

 

Hier, fin N° 53. La force conjuguée des images et du commentaire ironique en voix off fait que ces trente dernières secondes vous marquent durablement. Ce sont celles de LE FOND DE L’AIR EST ROUGE (1977), très remarquable film documentaire réalisé et monté par Chris Marker, qui retrace en deux parties, « Les Mains fragiles » et « Les Mains coupées » l’émergence de la nouvelle gauche dans les années soixante et soixante-dix à travers une série d’événements historiques. De la guerre du Vietnam à la mort du Che, de Mai 68 au Printemps de Prague, du Watergate au coup d’Etat du Chili, le cinéaste dépeint les luttes idéologiques, les mouvements de protestation et de répression, les espoirs et les échecs d’une génération politique. Surtout, il critique de manière acide les Pouvoirs et écrit la synthèse désenchantée de nombreuses années de militantisme, sans prétendre aucunement à l’exhaustivité et revendiquant à chaque minute la subjectivité de son essai. Contrairement au JOLI MAI (fin N° 36 de ce quiz), dont les prises de vue avaient été réalisées spécialement pour l’occasion, LE FOND DE L’AIR EST ROUGE est entièrement composé d’images d’archives (« Du bon usage des épluchures » disait avec humour Marker). Le déroulant avant le générique de fin le souligne d’ailleurs clairement : « Les véritables auteurs de ce film, bien que pour la plupart ils n’aient pas été consultés sur l’usage fait ici de leurs documents, sont les innombrables cameramen, preneurs de son, témoins et militants dont le travail s’oppose sans cesse à celui des Pouvoirs, qui nous voudraient sans mémoire. » L’art de Chris Marker, maître inégalé du montage, est de faire naître les correspondances et les contrepoints, les transitions logiques et les virages à angle droit, d’utiliser des motifs qui font lien. La scène de générique de début, extraordinaire, met ainsi en parallèle, en une symphonie de la résistance, des images de luttes, de violence, de poings qui se lèvent, et des extraits du CUIRASSÉ POTEMKINE (1926) d’Eisenstein. Plus tard, plusieurs minutes terribles sur la guerre au Vietnam seront immédiatement suivies par les paroles d’un syndicaliste de Besançon évoquant la naissance de sa conscience politique lors de la guerre d’Indochine. Et voilà que les combats de libération dans la jungle asiatique trouvent leur lien avec ceux des usines franc-comtoises qui développeront des initiatives autogestionnaires…

 

Aujourd’hui, tout autre chose : un conte de fée, cruel et sordide.


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Lundi 1er mars

Hier, fin N° 54. Willem Dafoe submergé par une foule de femmes sans visage dans l’épilogue en noir et blanc, énigmatique à souhait, de ANTICHRIST (2009) de Lars Von Trier. La musique, magnifique, est celle de l’aria « Lascia ch’io pianga – Laisse-moi pleurer » de Georg Friedrich Haendel, que Von Trier réutilisera d’ailleurs dans NYMPHOMANIAC (2014). C’est assez marrant de noter que Haendel lui-même a utilisé à trois reprises cet air composé en 1705, dans deux opéras et un oratorio. Des vertus séculaires du recyclage… Dès sa présentation en compétition au Festival de Cannes, ANTICHRIST a créé la controverse, taxé de provocation outrancière, de violence complaisante, de pornographie, de misogynie… Il faut dire qu’avec cette chronique d’un couple en pleine implosion après la perte d’un enfant, cherchant refuge dans un chalet perdu dans la forêt, baptisé « Eden », et ne trouvant qu’auto-destruction et naufrage dans la folie, Lars Von Trier n’y va pas de main morte, mais ce n’est pas vraiment une surprise, il n’a jamais prétendu être un cinéaste paisible et consensuel. Nombreuses réactions à l’époque exprimaient un certain effroi et ne voyaient pas comment le cinéaste pourrait aller plus loin dans la radicalité… elles ne savaient pas que suivraient, après la relative accalmie MELANCHOLIA (2011), les tempêtes NYMPHOMANIAC déjà cité et THE HOUSE THAT JACK BUILT (2018). À Cannes, ANTICHRIST a été récompensé par un prix d’interprétation décerné à Charlotte Gainsbourg. Pour le coup personne n’a trouvé à y redire, tant la comédienne livre une performance au-delà des qualificatifs. Lars Von Trier porte chance à ses comédiennes puisque Kirsten Dunst fut également primée pour MELANCHOLIA. À titre personnel, le cinéaste a été récompensé de la Palme d’Or pour ce qui est probablement son moins bon film : DANCER IN THE DARK en 2000, après avoir reçu le Prix du jury en 1991 pour EUROPA et le Grand Prix en 1996 pour le magnifique BREAKING THE WAVES. Pour l’heure Von Trier est privé de compétition cannoise depuis qu’il a été déclaré « persona non grata » en 2011 pour des propos provocateurs sur Hitler. THE HOUSE THAT JACK BUILT a été montré sur la Croisette en 2018 mais hors compétition.

Aujourd’hui : concerto pour harmonica.


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Mardi 2 mars

Hier, fin N° 55. Claudia Cardinale / Jill McBain donnant à boire aux cheminots, au son du thème qu’Ennio Morricone a composé pour son personnage, mélodie lyrique magnifiée par la voix de la soprano Edda Dell’Orso. C’est bien sûr IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L’OUEST (1968) de Sergio Leone. Cette fin donne raison à la comédienne, qui voyait dans son personnage d’ex-prostituée venue dans l’Ouest partager la vie d’un fermier et de ses enfants – sauvagement assassinés par Henry Fonda et ses sbires avant même qu’elle arrive – la figure centrale du film. Et il faut noter qu’en même temps que le personnage féminin, c’est la foule des travailleurs ordinaires que ce final met en valeur : mort Henry Fonda, le salopard qui en valait douze à lui tout seul, mort Gabriele Ferzetti, l’homme d’affaires infirme rattrapé par la cupidité inhérente au capitalisme naissant, mort Jason Robards, le bandit de grands chemins à l’ancienne donc dépassé, disparu à l’horizon Charles Bronson, le vengeur à l’harmonica condamné à vivre seul, à jamais… Oubliés les héros et anti-héros, place aux ouvriers qui construisent la ligne de chemin de fer, qui bâtissent l’avenir du pays. On remarquera également que le style et la tonalité de cette séquence finale en font l’exact opposé de la scène d’ouverture du film, dix minutes muettes, sans musique, étirant jusqu’au vertige le peu de temps qui reste à vivre aux trois chasseurs de prime qui attendent Harmonica et son colt sur le quai d’une gare perdue dans le désert. IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L’OUEST est le western ultime de Sergio Leone, sa réussite la plus achevée dans le genre – IL ÉTAIT UNE FOIS LA RÉVOLUTION (1971), bien que très réjouissant et offrant moult morceaux de bravoure, n’aura pas la même ampleur. Et pourtant, lorsque la sortie triomphale aux Etats-Unis de la « Trilogie du dollar » lui ouvre les portes des studios hollywoodiens, le cinéaste italien souhaite changer de registre et mettre en chantier l’adaptation de « The Hoods », roman autobiographique sur la période de la prohibition, écrit par un ex-truand. Mais la Paramount ne l’entend pas de cette oreille : Leone aura carte blanche et gros budget pour tourner d’abord un western, puisque c’est de ce genre qu’il est le maestro. Pour le film de gangsters, on verra plus tard. La major a eu raison puisque de cette commande est né un chef d’oeuvre – co-écrit faut-il le rappeler par Dario Argento et Bernardo Bertolucci – qui sera aussi le plus gros succès public de Leone. Lequel devra attendre bien des années et affronter bien des obstacles pour réaliser enfin son adaptation de « The Hoods ». Ce sera IL ÉTAIT UNE FOIS EN AMÉRIQUE (1984), son second chef d’oeuvre et son dernier film.

L’extrait du jour et son indice : « moi je m’balance… »


 

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Mercredi 3 mars

Hier, fin N° 56. Bernadette Lafont envoie dans les ronces ses chaussures à talon et prend la route de la liberté, jetant un premier coup d’oeil qu’on devine énervé au panneau d’avertissement aux nomades qui dit bien l’état d’esprit du bled qu’elle quitte, puis un deuxième qu’on imagine curieux à l’affichette qui donne le titre du film du jour : LA FIANCÉE DU PIRATE (1969) de Nelly Kaplan. La musique est la version instrumentale tendance bastringue de la chanson de Barbara indissolublement attachée au film, « Moi je m’balance », écrite et composée par Georges Moustaki : « Moi, je m’balance, je m’offre à tous les vents, sans réticence / Moi je m’balance, je m’offre à qui me prend, le cœur indifférent… / Moi, je m’balance, au soleil de minuit, de mes nuits blanches / Moi, je m’balance, chacun sera servi, mais c’est moi qui choisis… » Les paroles de Moustaki donnent bien le ton joyeusement libertaire de cette comédie sardonique et incendiaire qui fustige l’hypocrisie et la médiocrité d’une petite humanité dominée par les mâles. Comme le résume Nelly Kaplan elle-même, c’est « l’histoire d’une sorcière des temps modernes qui n’est pas brûlée par les inquisiteurs, car c’est elle qui les brûle. » La sorcière, c’est l’irrésistible, l’irréductible Bernadette Lafont, égérie de la Nouvelle Vague révélée une douzaine d’années plus tôt par Truffaut dans son court métrage mythique LES MISTONS puis par Chabrol dans LE BEAU SERGE, qui trouve là l’un des rôles de sa vie symbole de l’émancipation radicale des femmes. Elle jouera un personnage approchant quelques années plus tard dans UNE BELLE FILLE COMME MOI (1972), son seul long métrage avec Truffaut. Née en Argentine de parents juifs russes, venue en France à l’âge de 22 ans, Nelly Kaplan était un drôle d’oiseau migrateur, libre comme l’air, qui avait débuté dans le cinéma aux côté du réalisateur Abel Gance, avec qui elle collabora pendant une dizaine d’années. Proche des surréalistes, tout particulièrement d’André Breton, elle écrivit des livres érotiques épinglés par la censure, puis réalisa plusieurs courts métrages avant de lancer ce coup d’éclat dans la mare que fut LA FIANCÉE DU PIRATE, qui n’échappa pas lui non plus aux ciseaux d’Anastasie puisqu’il fut à sa sortie interdit aux moins de 18 ans pour cause de « sujet considéré comme libertin ». Tu parles, Charles ! Nelly Kaplan réalisa ensuite quelques films (PAPA, LES PETITS BATEAUX en 1971, NÉA en 1976…) passés un peu inaperçus. Pas sûr que ça l’ait beaucoup affectée. Passionnée par le dessin, elle tourna des documentaires sur des maîtres de la peinture. Elle continua à aimer la poésie et publia plusieurs livres dont une autobiographie en 2016 : « Entrez, c’est ouvert ! » aux éditions L’Âge d’homme. Elle a été emportée à 89 ans par une vague de la Covid, en novembre 2020.

Aujourd’hui : la première nuit d’amour du cinéma français.


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Jeudi 4 mars

Hier, fin N° 57. La musique pas vraiment guillerette de Johannes Brahms accompagne Jeanne Moreau et Jean-Louis Bory qui s’en vont en 2 CV sur une route de campagne. C’est LES AMANTS (1958) de Louis Malle. Son troisième film après son documentaire sur le commandant Cousteau, LE MONDE DU SILENCE (1956), absolument inregardable aujourd’hui (je le sais, j’ai essayé) et sa première fiction très remarquée, ASCENSEUR POUR L’ÉCHAFAUD (1957). Déjà interprétée par Jeanne Moreau, avec qui le réalisateur vécut une grande histoire d’amour, qui se terminait au moment du tournage des AMANTS – pas exclu que cette passion finissante ait influé sur l’ambiance du film, sa vision douloureuse de l’amour. La populaire bien que décapotable Deudeuche est le symbole du chemin parcouru par Jeanne (c’est aussi le prénom du personnage du film) qui, au début du récit, circule plutôt en limousine de luxe. Mariée à un directeur de journal qui la considère comme un accessoire divinement décoratif, elle s’ennuie à mourir dans sa demeure hautement bourgeoise de Dijon, s’offre à Paris une liaison sans désir avec un joueur de polo avantageusement séduisant et s’ennuie de plus belle – Louis Malle règle ses comptes avec ses origines bourgeoises : le petit monde qu’il décrit est débectant à souhait – jusqu’à ce qu’elle rencontre par hasard un jeune archéologue naïf, romantique, et client fidèle de Citroën, donc. Elle découvre l’amour, le plaisir et la soif de liberté. On a un peu de mal à imaginer aujourd’hui le scandale que causa ce film très librement inspiré d’un bref conte libertin du 18ème siècle, « Point de lendemain » de Dominique Vivant Denon. Mais la bonne société de l’époque, vivement aiguillonnée par les ligues catholiques, clama bien fort sa réprobation horrifiée devant un film qui montre une femme mariée, et plus encore UNE MÈRE, prendre du plaisir dans l’adultère et, pire que tout, décider de quitter mari et enfant pour vivre sa vie, comme dirait JLG. Sans doute à son corps défendant, Louis Malle (1932-1995) réalisa par la suite plusieurs films qui suscitèrent de vives controverses dans la mesure où ils mettaient en scène, sans jugement, des sujets et des personnages casse-gueule : LE SOUFFLE AU COEUR (1971), qui raconte un inceste entre une mère et son fils adolescent (la famille est domiciliée à Dijon, décidément…), LACOMBE LUCIEN (1974), portrait d’un jeune type, pendant l’occupation, qui devient un collabo ordinaire autant par hasard que par dépit d’avoir été refusé par la Résistance et qui éprouve une attirance pour la fille d’un tailleur juif, ou encore LA PETITE / PRETTY BABY (1978), récit d’un amour fort entre un photographe et une très jeune prostituée, pensionnaire d’un bordel de la Nouvelle-Orléans.

Aujourd’hui : âmes errantes à Hong Kong


 

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Vendredi 5 mars

Hier, fin N° 58. Où l’on retrouve l’ambiance si particulière des films de Wong Kar Wai, en tout cas ceux de la première partie de sa carrière. Il s’agit ici de LES ANGES DÉCHUS (1996) qui, dans sa filmographie, se situe entre les deux films précédemment évoqués dans ce quiz : CHUNKING EXPRESS (1995) et HAPPY TOGETHER (1997). À l’époque Wong Kar Wai tournait comme il respirait, ce n’est malheureusement plus le cas aujourd’hui : comme on s’en lamentait déjà dans la notule sur HAPPY TOGETHER, aucune nouvelle depuis 2013 et THE GRANDMASTER… Pas de surprise, LES ANGES DÉCHUS s’achève au son d’une chanson pop anglo-saxonne, en l’occurrence la version a cappella de « Only you », tube sans lendemain (1983) du groupe vocal anglais The Flying Pickets – pour rendre à César ce qui lui appartient, il convient de préciser que le titre avait été créé l’année précédente par le groupe new-wave Yazoo, avec une instrumentation très électro. Un tueur à gages en a assez du tuer. Une femme lui sert d’agent et rêve qu’il tombe amoureux d’elle. Une jeune femme veut se venger d’un amour déçu. Une autre rêve du grand amour. Un garçon muet déambule dans les rues. Les anges déchus sont romantiques, insomniaques et survoltés. On les croise à Hong-Kong, la nuit… La parole à Wong Kar Wai : « On a filmé de nuit, ce qui est préférable à Hong-Kong car la ville est bien trop agitée de jour pour pouvoir y tourner. C’est pour cela que les habitants de Hong-Kong trouve que, dans mes films, la ville est étrangement calme. On a tourné sans la moindre autorisation, ce qui précipite le rythme du tournage et ajoute à la pression. J’aime bien ça… » Wong Kar Wai pousse plus loin encore que dans ses films précédents sa recherche visuelle et graphique, joue avec le temps : mouvements décomposés, accélérés ou ralentis, objectif grand angle, déformations, montage abrupt. L’ambiance est claustrophobe, oppressante. On sortait joyeux de CHUNKING EXPRESS, ici c’est la mélancolie qui nous tient compagnie, c’est bien aussi.

Aujourd’hui : écouter une ville.


 

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Samedi 6 mars

Hier, fin N° 59. On reconnaît, en même temps que les acteurs, Rudiger Vogler et Patrick Bauchau, le tramway brinquebalant de Lisbonne, qui serpente, monte et descend au gré de la topographie aventureuse des rues de la capitale portugaise. C’est LISBONNE STORY (1994) de Wim Wenders, mis en musique par le groupe Madredeus. On en parlait dans la notule consacrée aux AILES DU DÉSIR comme de la dernière réussite en date parmi les fictions du cinéaste allemand. Et de fait, a près deux films très ambitieux, un brin enflés, et pour tout dire pas vraiment convaincants (JUSQU’AU BOUT DU MONDE en 1991 et SI LOIN SI PROCHE en 1993), Wenders redescendait sur terre, jouait la modestie, la simplicité et nous offrait un film qui nous rappelait délicieusement ses premiers, ceux que nous avons tant aimés… Quelques anti-héros pas mal seuls, un peu à côté de leurs pompes et donc très attachants, et Lisbonne, ville fascinante, ville blanche comme disait Alain Tanner, ville extraordinairement cinégénique, invitation permanente à la balade erratique, à la flânerie curieuse, aux rencontres de hasard… Et voilà, avec ces trois bouts de chandelle à la flamme bien vivace, Wenders retrouvait son style et nous donnait un film chaleureux, divertissant, drôle aussi, parsemé d’un humour quasi-burlesque qu’on ne lui connaissait guère. LISBONNE STORY marquait pour Wenders les retrouvailles avec l’un de ses acteurs fétiches, Rudiger Vogler, présent dans LA LETTRE ÉCARLATE (1972) et surtout premier rôle dans les trois films qui avaient fait entrer le cinéaste allemand dans la cour des grands : les merveilleux ALICE DANS LES VILLES (1974), FAUX MOUVEMENT (1975) et AU FIL DU TEMPS (1976). Parick Bauchau, lui, était au centre de L’ÉTAT DES CHOSES (1981), premier tournage de Wenders au Portugal.

Aujourd’hui : éloge du mouvement à Portland.


 

 

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Dimanche 7 mars

Hier, fin N° 60. Des cinéastes qui savent filmer avec grâce les skaters sachant skater avec grâce, on n’en connaît deux : Gus Van Sant et Larry Clark. À vrai dire, non, on en a découvert un troisième récemment : Jonah Hill et son 90’S (2019). En tout cas il n’y en a qu’un qui est de Portland, Oregon (indice d’Aurore), c’est Gus Van Sant. Et ces trente dernières secondes sont celles de PARANOID PARK (2007). Curieusement, quand le film est sorti, après sa sélection au Festival de Cannes 2007, on l’a présenté comme étant le premier réalisé par Van Sant après sa « Trilogie de l’adolescence », censément constituée de GERRY (2002 mais sorti en France en 2004), ELEPHANT (2003, Palme d’Or à Cannes) et LAST DAYS (2005). Je dis curieusement, car PARANOÏD PARK est bien plus un film sur l’adolescence que ne le sont GERRY ou LAST DAYS, dont les héros sont déjà passés dans l’âge adulte. Si bien qu’on parle couramment maintenant d’une « Tétralogie de l’adolescence ». « Paranoid Park » est le nom que les jeunes donnent au skatepark qu’ils se sont construit illégalement sous un pont autoroutier aux confins de Portland. Un lieu hors du monde des adultes que fréquente assidûment Alex, ado secret, solitaire et membre de la confrérie des rêveurs sur roulettes. À peine le film commencé, Alex est convoqué par la police. On vient le chercher en plein cours pour l’interroger sur la mort d’un vigile survenue près du fameux skatepark. Que s’est-il passé cette nuit-là ? Alex cache-t-il quelque chose ? On a du mal à le déterminer, tant il s’obstine à taire ses sentiments, glissant sur sa vie comme il glisse sur sa planche. Gus Van Sant filme les jeunes corps le plus souvent en mouvement d’une caméra flottante, suspendant le temps en des ralentis planants : c’est Christopher Doyle, fidèle complice de Wong Kar Wai, qui dirige la photo du film. L’ambiance sonore tient un rôle essentiel dans la création de cette atmosphère enveloppante, Gus Van Sant mêle musique électroacoustique (Robert Normandeau, Frances White, Ethan Rose), musique classique (Beethoven avec des extraits de la Symphonie n°9), rap (Cool Nutz), mélodies nostalgiques de Nino Rota empruntées aux films de Federico Fellini JULIETTE DES ESPRITS et AMARCORD… Cela dit, j’ai été incapable de retrouver le titre et l’interprète du morceau qu’on entend sur ces images finales… Elle vont entraîner dans leur périple.

PS : on a retrouvé ! La chanson finale est signée un certain Cast King, artiste folk/country méconnu dont le label indépendant de Portland Mississippi Records a édité un album regroupant quelques uns des rares enregistrements qui existent de Cast King. Vous pouvez écouter « Outlaw », le titre choisi par Gus van Sant dans PARANOID PARK, en cliquand ici : https://www.youtube.com/watch?v=jb8uYv6MnvQ

Aujourd’hui : Mao et Lénine, deux filles argentines.


 

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Lundi 8 mars

 

Hier, fin N° 61. Il faut vraiment avoir vu le film pour que ces deux filles taillant la route à bord d’un bus, filmées en noir et blanc un peu charbonneux, nous disent quelque chose. Mao et Lénine, les deux filles argentines de l’indice d’Aurore, sont les héroïne aussi dérangeantes qu’attachantes de TAN DE REPENTE (2002) de Diego Lerman. Deux pétroleuses complices à la vie, à la mort, adeptes du système D qui avancent dans la vie au gré de leur fantaisie et de leur soif de découverte, n’hésitant pas, avec un culot d’enfer, à employer des moyens que la morale et surtout et la loi réprouvent… Elle vont entraîner dans leur périple une Marcia qui va taper grave dans l’oeil de Mao alors qu’elle est leur exact contraire, prise dans la routine et complexée par ses kilos en trop. Mao et Lénine vont braquer un chauffeur de taxi, lui faucher sa caisse, et kidnapper la dodue craintive pour l’emmener voir la mer. Car Marcia n’a jamais vu la mer. Une drôle d’équipée, dont l’itinéraire imprévisible bifurque à tout moment au gré des pannes d’essence, des rencontres, des occases… TAN DE REPENTE est le premier long métrage de Diego Lerman, tourné avec une énergie inversement proportionnelle au budget de production. Le film s’inscrit dans le mouvement foisonnant qui, au début des années 2000, a permis au cinéma argentin de connaître un véritable renouveau grâce à tout un groupe de cinéastes qui entamaient leur carrière : Pablo Trapero avec MUNDO GRUA (1999), Fabian Bielinsky avec NUEVA REINAS (2000), Lucrecia Martel avec LA CIENAGA (2001), Lisandro Alonso avec LA LIBERTAD (2001), ou encore Carlos Sorin avec HISTORIAS MINIMAS (2002). Après TAN DE REPENTE, Diego Lerman a réalisé quatre longs métrages, tous distribués en France : MIENTRAS TANTO (2006), L’OEIL INVISIBLE (2010), REFUGIADO (2014) et NOTRE ENFANT (2017). Il a aussi créé en 2014 une série pour une chaîne de télé argentine, LA CASA, qui, elle, est inédite en France.

 

L’extrait du jour et son indice du jour, en un mot : « silencio ! »


 

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Mardi 9 mars

 

Hier, fin N° 62. La fin d’un film sans fin. MULHOLLAND DRIVE (2001) de David Lynch. Ce qui devait être au départ l’épisode pilote d’une série dans la lignée de TWIN PEAKS est devenu un film à part entière et s’est imposé presque instantanément comme l’une des oeuvres mythiques des années 2000. Inépuisable source de fascination et d’interrogations. Comme on l’a évoqué rapidement dans une précédente notule, MULHOLLAND DRIVE occupe une place tout à fait particulière dans l’histoire d’Utopia Bordeaux : c’est le film qu’on a gardé le plus longtemps à l’affiche, plus d’un an, du 21 novembre 2001 au 23 décembre 2002 ! 57 semaines au fil desquelles est née une énigme que Lynch lui-même ne pouvait pas imaginer. Je raconte… Ce n’est pas arrivé tout de suite à la sortie du film, plutôt au bout de quelques mois, au moment où on a diminué la fréquence des séances, où on a commencé à le programmer seulement trois fois par semaine. C’est alors qu’on a remarqué un spectateur qu’on ne connaissait pas jusque là, qu’on n’a jamais vu à la caisse pour un autre film. Il venait voir exclusivement MULHOLLAND DRIVE et il était là quasiment à chaque séance. Un gars assez étrange, la quarantaine incertaine, toujours seul, toujours un sac de plastique à la main, des lunettes rafistolées. Si le mari de Margaret, la femme à la bûche de TWIN PEAKS n’était pas mort le soir même de leurs noces, ça aurait pu être lui… Pas bavard, limite revêche, comme concentré sur sa mission : acheter son ticket (tarif plein, toujours) pour MULHOLLAND DRIVE et voir le film, revoir le film, inlassablement. Je pense sincèrement ne pas exagérer en avançant qu’il l’a vu au moins quarante fois dans nos salles ! Dans l’équipe, on l’a très vite et très affectueusement baptisé Mulho Man. On aurait pu essayer d’engager la conversation et lui demander le pourquoi de ce qu’on ressentait comme une addiction à MULHOLLAND DRIVE… mais on n’a jamais trouvé le bon moment, on n’a jamais osé. Et puis est arrivé le 23 décembre 2002, MULHOLLAND DRIVE a fini par quitter l’affiche… et Mulho Man a disparu, on ne l’a jamais revu. Et on en a tiré conclusion qui s’imposait : pas de doute, c’était une preuve supplémentaire du pouvoir de MULHOLLAND DRIVE. Le film avait créé son propre spectateur, qui s’était effacé en même temps que lui.

 

Aujourd’hui : Monsieur Oscar dans sa limousine.


 

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Mercredi 10 mars

 

Hier, fin N° 63. Vol au-dessus d’un nid de limousines blanches qui parlent en clignotant ou qui clignotent en parlant, et prennent acte de la fin du cinéma : « les hommes ne veulent plus de moteur, ne veulent plus d’action. Amen » C’est HOLY MOTORS (2012) de Leos Carax. Son dernier film en date. Qui réussit à donner une dimension presque poétique à ces ridicules bagnoles de luxe longues comme un jour sans pain, signes extérieurs de richesse dérisoires à force d’ostentation. On se souvient des courts métrages d’animation corrosifs de Tex Avery qui mettaient le personnage du loup lubrique et imbécile au volant de ces véhicules interminablement vains et on rappellera qu’ils ont été utilisés plus récemment comme symbole de l’absurdité du capitalisme chez un autre cinéaste visionnaire et radical, David Cronenberg : toute l’action de COSMOPOLIS (2012) se déroulait à bord d’un de ces paquebots sur roue, qui servait de bureau à Robert Pattinson, lequel se transformait en chauffeur Uber d’un modèle approchant dans MAPS TO THE STARS (2014). Mais chez Cronenberg, les limousines sont noires, pas blanches. Il n’est pas exclu que le cinéaste canadien soit beaucoup moins romantique, beaucoup plus pessimiste que Leos Carax. La Lincoln (construite par Ford Motor Company) immaculée de HOLY MOTORS est conduite par Céline (la regrettée Edith Scob), aux petits soins pour son passager, Monsieur Oscar, personnage multiple, qui a d’abord l’allure d’un homme d’affaires, avant de changer dix fois d’identité et d’apparence pour honorer les rendez-vous notés sur son agenda. L’intérieur de la limousine ressemble à une loge où M. Oscar se change en fonction des rôles qu’il doit endosser : tueur à gages, mendiante, vieillard, père de famille, créature virtuelle… Monsieur Oscar, c’est évidemment Denis Lavant, complice indéfectible de Carax depuis BOY MEETS GIRL (1983), qui met son génie de comédien caméléon au service d’un film insaisissable, merveille de bizarrerie, d’humour noir et de mélancolie.

 

Aujourd’hui : un polar roumain aux Canaries.


 

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Jeudi 11 mars

 

Hier, fin N° 64. Le visage à l’eau forte de l’actrice Catrinel Marlon laisse place à un son et lumière high-tech et néanmoins ringard sur le rythme à trois temps d’une valse de Strauss… Strauss certes, mais lequel ? Pas Richard, Johann – l’opérette plutôt que l’opéra, le mousseux plutôt que le champagne. Et plus précisément Johann Strauss II dit fils ou le jeune : « Valse Tu et toi opus 367 ». Ce final pompier et dérisoire en dit long sur l’humour noir et décalé de ce film roumain : LES SIFFLEURS (2019), écrit et réalisé par Corneliu Porumboiu. Un polar ultra-stylisé, à la fois ludique et tragique, d’une légèreté profonde, qui suit le parcours un rien erratique de Cristi, policier corrompu de Bucarest venu sur l’île de La Gomera (le titre original du film), aux Canaries, d’une part pour suivre la sublime Gilda, sous l’emprise de laquelle il est définitivement tombé, et d’autre part pour apprendre à maîtriser la langue sifflée (d’où le titre français) utilisée par les mafieux comme langage codé pour échapper à la surveillance de la police… Une histoire improbable, dans laquelle les dés sont pipés, dans laquelle tous les protagonistes sont dupés, que Porumboiu mène avec maestria, jouant en virtuose avec les codes du polar. Corneliu Porumboiu, 45 ans, a été découvert en 2006 dès son premier long métrage, 12h08 À L’EST DE BUCAREST. Parmi ses films suivants, on retiendra particulièrement POLICIER, ADJECTIF (2009) et LE TRÉSOR (2015). Il est l’un des réalisateurs apparus dans la deuxième partie des années 2000 et qu’on regroupés sous le terme de « Nouvelle Vague roumaine », aux côtés de cinéastes tout aussi passionnants dont le plus célèbre est Cristian Mungiu avec 4 MOIS, 3 SEMAINES, 2 JOURS (2007, Palme d’Or à Cannes), AU-DELÀ DES COLLINES (2012) et BACCALAURÉAT (2016). On citera également Cristi Puiu (qui déclara pourtant : « Il n’y a pas de nouvelle vague roumaine, juste des réalisateurs désespérés ») avec LA MORT DE DANTE LAZARESCU (2005) ou SIERANEVADA (2016) ; Radu Muntean avec BOOGIE (2008), MARDI APRÈS NOËL (2010) ou L’ÉTAGE DU DESSOUS (2015 ; Adrian Sitaru avec PICNIC (2007), ILLÉGITIME (2016) ou FIXEUR (2016) ; ou encore Radu Jude avec LA FILLE LA PLUS HEUREUSE DU MONDE (2009), PAPA VIENT DIMANCHE (2013) ou AFERIM ! (2015). Il vient de remporter l’Ours d’Or du Festival de Berlin (si on peut appeler festival un truc qui s’est déroulé uniquement en ligne) avec son nouveau film BAD LUCK BANGING : on peut voir une première bande-annonce, les acteurs sont masqués, ça fait peur…

 

Aujourd’hui : ode à la débauche avant le Printemps.


 

 

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Vendredi 12 mars

 

Hier, fin N° 65. 30 dernières secondes aussi explosives que les 4530 qui les ont précédées (le film dure 1h16). C’est LES PETITES MARGUERITES (1966) de Vera Chytilova. Pour évoquer ce film tchèque, je ne saurais mieux faire que vous restituer ce qu’écrivait Bertrand Grimault, de l’association Monoquini, qui l’a programmé chez nous dans le cadre de son cycle « Désordre », sur les Échos de mai 68 au cinéma : « Célébré internationalement dès sa sortie comme un chef-d’œuvre subversif de la Nouvelle Vague tchèque qui a émergé dans la période de libéralisation aboutissant au Printemps de Prague, Les Petites marguerites se présente de prime abord comme un véritable feu d’artifice cinématographique combinant les effets visuels et sonores, les jeux de couleur, les compositions élaborées et un montage éclaté, où l’on détecte pêle-mêle l’influence de Godard, du cinéma expérimental américain et du Pop art. C’est un film dans la lignée burlesque de nombreuses productions du renouveau tchèque, imprégné ici d’un joyeux féminisme libertaire où les valeurs traditionnelles sont consciencieusement bousculées, sinon réduites en miettes par l’absurde. Vera Chytilova, unique femme au milieu de cette génération de jeunes cinéastes (Milos Forman, Juraj Herz, Jan Nemec, Ivan Passer, Jiri Menzel, Jaromil Jirès…) et en opposition formelle avec leur fidélité au cinéma-vérité, insuffle dans son second long métrage un anticonformisme virulent, malmenant un scénario déjà très délié, basé sur une surenchère galopante de mauvais sentiments. À tel point qu’on a autant qualifié de « pop » que de « punk » ce film résolument en prise, voire en avance, sur son temps. On conçoit que ce nihilisme dévergondé ait été fraichement accueilli par les autorités… Le dégel politique des années 60, tentative d’un « socialisme à visage humain » qui avait vu l’abolition de la censure, fut interrompu par l’invasion soviétique en août 1968 et par un régime de « normalisation » – dans le sens d’un retour aux normes totalitaires – qui durera deux décennies. Dans ce contexte, contrairement à la plupart de ses collègues qui choisirent l’exil, Chytilova (1929-2014) demeura en Tchécoslovaquie, rencontrant de grandes difficultés à poursuivre sa carrière après Les Fruits du paradis (1969), qui prolongeait les audaces expérimentales de son précédent film… »

 

Aujourd’hui : invasion hilarante de petits bonshommes verts.


 

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Samedi 13 mars

 

Hier, fin N° 66. Le grand balèze en jupette qui court vers ce qui reste de son immeuble pour retrouver femme et enfants, c’est Jim Brown. Joueur professionnel de football américain devenu acteur à la fin de sa carrière sportive, et propulsé vedette de la « blaxploitation », ce courant de la série B américaine des années 70 qui a contribué à la lutte pour les droits civiques en donnant enfin des rôles de premier plan aux acteurs afro-américains. Jim Brown a gagné ses galons dans le genre avec le diptyque des SLAUGHTER : pour reprendre les titres français, MASSACRE (1972) de Jack Starret et L’EXÉCUTEUR NOIR (1973) de Gordon Douglas. Et il se trouve que l’épouse qu’il brûle de rejoindre est interprétée par Pam Grier, star féminine number one de la même blaxploitation grâce à ses rôles dans COFFY, LA PANTHÈRE NOIRE DE HARLEM (1973) et FOXY BROWN (1974), tous deux réalisés par Jack Hill. Avant bien sûr d’être immortalisée par Quentin Tarantino dans JACKIE BROWN (1997). Quant au brun frisé qui s’apprête à ouvrir un refuge pour tous les animaux de la création, c’est le crooner gallois Tom Jones, visiblement heureux de pouvoir nous chanter sur le générique de fin « It’s not unusual » – son plus grand tube avec « She’s a lady » –, après avoir été interrompu en plein spectacle, plus tôt dans le film, par l’irruption des Martiens. Car oui, je bavarde, je bavarde et j’en oublie de vous dire que c’est la fin de MARS ATTACKS (1996) de Tim Burton. Une parodie iconoclaste en même temps qu’un hommage au cinéma américain de SF des années cinquante, qui voit une armada de très laids envahisseurs venus de la planète Mars fondre sur notre bonne vieille terre représentée comme souvent par les Etats-Unis d’Amérique. Les extra-terrestres sont ici incontestablement animés de mauvaises intentions et les terriens américains de leur côté sont à de très rares exceptions près d’une bêtise et d’une pusillanimité insondables. Heureusement, il y a encore quelques marginaux et autres rêveurs pour sauver la mise… MARS ATTACKS est réussi et réjouissant mais il est beaucoup moins personnel et bouleversant que les trois films précédents de Tim Burton, sans doute les plus beaux de sa carrière : EDWARD AUX MAINS D’ARGENT (1990), BATMAN, LE DÉFI (1992) et ED WOOD (1994). Le cinéaste ne retrouvera d’ailleurs jamais tout à fait ce niveau d’inspiration et attristera ses fans les plus fervents en entrant dans l’écurie mondialisée Disney au début des années 2010.

 

Aujourd’hui : un train movie de trois frères endeuillés.


 

 

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Dimanche 14 mars

 

Hier, fin N° 67. Quel réalisateur américain est-il assez francophile pour nous faire entendre « Les Champs Élysées » de Joe Dassin sur le générique de fin de son film ? Wes Anderson bien sûr, dont on attend avec de plus en plus d’impatience le dernier opus, THE FRENCH DISPATCH, entièrement tourné à… Angoulême. Ici, ce sont les trente dernières secondes de À BORD DU DARJEELING LIMITED (2007). De droite à gauche sur la banquette du train : Adrian Brody, Owen Wilson et Jason Schwartzman. Si le premier nommé est un nouveau venu dans l’univers d’Anderson, les deux autres sont les complices actifs de tout le début de sa carrière, sachant que THE DARJEELING LIMITED est le cinquième film du cinéaste après BOTTLE ROCKET (1996, inédit en France), RUSHMORE (1998), LA FAMILLE TENENBAUM (2001) et LA VIE AQUATIQUE (2003). Owen Wilson est présent comme acteur dans les quatre et il est par ailleurs co-scénariste des trois premiers. Jason Schwartzman, lui, tient le rôle principal de RUSHMORE et il a co-écrit THE DARJEELING LIMITED. Dans la famille Anderson rapprochée, il ne manque en quelque sorte que le père : Bill Murray bien sûr, présent dans RUSHMORE et LA FAMILLE TENENBAUM, indépassable Steve Sissou de LA VIE AQUATIQUE. Dans THE DARJEELING, il est présent aussi mais on ne le voit que dans la première séquence, juste le temps pour lui de… rater le train ! Comme s’il passait le témoin à la jeune génération d’acteurs… mais pour un temps seulement, il reviendra dès MOONRISE KINGDOM (2012). Les trois strangers on the indian train sont trois frangins qui se sont perdus de vue depuis la mort de leur père suivie du départ de leur mère pour une destination inconnue et qui se rejoignent au bout du monde pour entamer ce que Francis, l’aîné, appelle une « quête spirituelle », un voyage de retrouvailles et de recollage de pots cassés. Vous imaginez bien que le périple va être épique, et fantaisiste, et coloré, en un mot andersonien… qui nous laisse en bout de course ravi comme Shankar mais tenaillé par une interrogation lancinante : que se serait-il passé si Bill Murray avait réussi à monter dans le train ?

 

Aujourd’hui : tornade blonde rencontre ours solitaire.


 

 

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Lundi 15 mars

 

Hier, fin N° 68. Catherine Deneuve, radieuse comme jamais, se précipite dans les bras d’Yves Montand, qui a dû, tous comptes faits, se dire qu’il en avait marre de jouer les Robinson Crusoé sur son île caribéenne. C’est bien sûr LE SAUVAGE (1975) de Jean-Paul Rappeneau. Une fantaisie trépidante, intelligente et toujours savoureuse, digne des grandes comédies américaines signées Hawks ou Capra qui sont des références permanentes pour le cinéaste français. Le titre du film est d’ailleurs assez injuste car c’est bien la Deneuve qui est le moteur du film. Si ça se trouve, le Montand, qui ne perdait jamais une occasion de faire son macho et qui a râlé pendant tout le tournage parce qu’il craignait qu’on l’utilise comme « faire-valoir » de sa partenaire, a mis son veto à un titre du genre « La Tornade blonde » ou « L’Irrésistible emmerdeuse », plus conforme à la réalité du film. J’extrapole évidemment mais la mauvaise humeur de Montand sur le plateau est avérée, il semblerait qu’il n’ait pas tout à fait digéré le fait de ne pas être le premier choix des auteurs, qui avaient d’abord envisagé Elliot Gould (propulsé vedette par M.A.S.H.), Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, Lino Ventura… Montand bougonnait toujours en assurant la promotion au moment de la sortie : « C’est gentillet, un bon petit film de famille, on ne va pas en faire un fromage… » commenta-t-il au journal télévisé d’Yves Mourousi. L’accueil critique et le succès public le feront changer d’avis puisqu’il sera plus que partant pour le film suivant de Jean-Paul Rappeneau, TOUT FEU, TOUT FLAMME (1982). Inspiré à Rappeneau par un voyage au Brésil où il avait été frappé par le contraste entre la folie tonitruante de la métropole de São Paulo et le calme paradisiaque d’un ilot hors du temps situé à une encablure de son port, LE SAUVAGE est censé se dérouler à Caracas, capitale du Venezuela, et dans une île au large de ses côtes. Mais Rappeneau raconte que la plupart des scènes insulaires ont été tournées aux Bahamas, en calculant le cadre au centimètre pour ne avoir dans le champ les bateaux de plaisance ou les villas des touristes et en ajoutant des vues de jungle et de montagne prises au Venezuela. L’île vue du ciel quand Nelly y arrive en hydravion est l’une des îles Vierges au nord de Porto-Rico, et l’île vue de la mer quand Martin y arrive en bateau est celle de Port-Cros, au large d’Hyères. That’s entertainment !

 

Aujourd’hui : la femme des bois.


 

 

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Mardi 16 mars

 

Hier, fin N° 69. Serment amoureux d’une sobriété définitive et bouleversante. La révélation Jean Louis Coulloc’h (qu’on n’a malheureusement guère revu au cinéma depuis) et Marina Hands sublime dans le rôle de sa vie. C’est LADY CHATTERLEY (2006) de Pascale Ferran. Adaptation du roman de David Herbert Lawrence (1885-1930) qui est, pour la réalisatrice, « la plus belle histoire d’amour du monde ». Pascale Ferran réussit un magnifique film sur l’éveil, celui des corps, celui des cœurs et sur le caractère subversif de l’amour, un film immense où la libération des sens va de pair avec la libération des esprits, où la prise de conscience de soi-même induit la prise de conscience du monde. L’amour passionné qui va naître entre Constance Chatterley, épouse d’un Lord revenu diminué de la Grande Guerre, et le garde-chasse Parkin, l’homme des bois, sera pour la jeune femme une révolution aussi bien intime que politique, un bouleversement de son corps en même temps que de sa vision de la société anglaise puritaine et de son système pyramidal de classes. C’est en fait la deuxième version du roman de Lawrence que Pascale Ferran, Roger Bohbot et Pierre Trividic ont adapté à l’écran. Car l’écrivain anglais a raconté trois fois en l’espace de deux ans l’histoire de Lady Chatterley. La première version, « Constance Chatterley » (The First Lady Chatterley), a été écrite en 1926. « Lady Chatterley et l’homme des bois » (John Thomas and Lady Jane), la deuxième version, qui a donc servi de base au film, a été écrite en 1927. Et la troisième version, la plus célèbre, « L’Amant de Lady Chatterley » (Lady Chatterley’s lover), a été publiée à compte d’auteur en Italie en 1928 et seulement en 1960 en Angleterre, ce qui valut à son éditeur, Penguin Books, un procès retentissant pour obscénité : les bien pensants jugeaient les scènes de sexe trop explicites et scandaleuse la différence de classe sociale entre les deux amants. Le verdict fut heureusement favorable à l’éditeur… Pour continuer sur ce chapitre des différentes versions, le film de Pascal Ferran fit lui-même l’objet d’une déclinaison longue, reprenant le titre complet du roman, LADY CHATTERLEY ET L’HOMME DES BOIS, diffusée sur Arte en deux parties pour une durée totale de 3h40, soit une heure de plus que la version cinéma. On signalera aussi que le roman de D.H. Lawrence, dans sa troisième version, a été adapté en 1955 par Marc Allégret, avec Danielle Darrieux en vedette. Et pour finir, on s’en voudrait de ne pas citer les productions ouvertement érotiques inspirées par le roman ou plutôt par l’image sulfureuse qu’il trimballe : LA JEUNE LADY CHATTERLEY également titré LES AMANTS DE LADY CHATTERLEY (1977) de l’américain Alan Roberts, qui récidivera en 1986 avec une autre version plus sobrement intitulée LADY CHATTERLEY ; un improbable film japonais daté de la même année, VOLUPTEUSE LADY CHATTERLEY de Katsuhiko Fujii ; L’AMANT DE LADY CHATTERLEY (1981) de Just Jaeckin avec Sylvia Kristel (le duo d’EMMANUELLE) ; et deux séries B italiennes datées de 1989 : de nouveau L’AMANT DE LADY CHATTERLEY de Frank De Niro (un cousin resté en Italie ?) et L’HISTOIRE DE LADY CHATTERLEY de Lorenzo Onorati.

 

Aujourd’hui : idylle de l’après-Mai 68.


 

 

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Mercredi 17 mars

Hier, fin N° 70. Sur l’image en format 1 x 1,37, souvent utilisé par le réalisateur, le blanc s’efface, c’est le noir qui l’emporte et absorbe les visages de Clotilde Hesme et Louis Garrel. Le romantisme a cédé le pas au désespoir. Et à la mort, même. C’est LES AMANTS RÉGULIERS (2005) de Philippe Garrel. « C’est une nuit de Mai 68, dans Paris. François Dervieux a 20 ans, il est poète. Il marche parmi les manifestants, participe aux barricades, regarde les CRS dans le blanc des yeux. Sur le toit d’un immeuble où il s’est réfugié, il rêve à 1789, à 1848, il se demande s’il doit préférer le romantisme à l’anarchie, l’anarchie à la mort, et la mort au réalisme. LES AMANTS RÉGULIERS est un film-fleuve en deux chapitres, et scindé en plusieurs poèmes : les espérances du feu, les espoirs fusillés, les éclats d’amertume, le sommeil des justes. Avec d’un côté un film barricade (tableaux de Mai, filmé comme l’avènement d’une fête apeurée, noyée sous un brouillard de lacrymo), et à sa suite un film barricadé, suivant le repli des insoumis, de ceux qui ne voulaient plus de cette vie, choisissant de vivre libre, en autarcie, dans une une maison dans les bois en bord de monde, pleine de garçons, de filles et d’opium. Là, François va rencontrer une fille, Lilie, à moins que ce ne soit un ange. Ils s’aimeront (« nos mains, elles sont pareilles »)… et advienne que pourra… » (Gilles Verdiani, Le Nouvel observateur) LES AMANTS RÉGULIERS est un des sommets de la carrière de Philippe Garrel, débutée au milieu des années 1960 et qui se poursuit encore aujourd’hui. C’était la première fois qu’il tournait avec son fils Louis, qui avait quasiment l’âge du personnage. Le réalisateur avait lui-même 20 ans en mai 68 mais il a tenu à dire que la part de l’autobiographie dans le film « … n’est pas si grande qu’on pourrait le penser. Bien sûr, j’ai vécu cette course sur les toits de Paris pour échapper à la police, cette guerre civile. Mais le film est très romancé et s’inspire plutôt de la littérature et en particulier de Stendhal avec « Le Rouge et le noir » et « La Chartreuse de Parme ». Car mon film se résume à comment l’amour vous blesse, puis vous sauve avant de vous perdre de nouveau. » LES AMANTS RÉGULIERS s’inscrit aussi dans l’héritage de grands cinéastes dont Philippe Garrel revendique l’influence. Il a ainsi copié intentionnellement une scène de LA MAMAN ET LA PUTAIN en hommage à Jean Eustache qui était son ami. Et il se place « dans la lignée d’un cinéma qui trouve que L’ATALANTE de Jean Vigo est le plus beau film du monde. »

L’extrait du jour et son indice : le jour se lève.


 

 

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Jeudi 18 mars

Hier, fin N° 71. On terminait la notule précédente avec Philippe Garrel se réclamant du cinéma qui trouve que L’ATALANTE est le plus beau film du monde. On va commencer celle-ci avec François Truffaut qui, lui, faisait partie de ceux qui pensent que le plus beau film du monde, c’est… L’AURORE (1927) de Friedrich Wilhelm Murnau. Comme l’indique le sous-titre du film, c’est « Un chant sur deux êtres humains » qui pourrait se passer à n’importe quelle époque, en n’importe quel pays. Un fermier sous l’emprise de sa maîtresse tente de tuer sa femme, puis, pris de remords, de la reconquérir. Les époux arpentent la grande ville, se jouant de ses pièges dans la joie et l’amour retrouvés. À la fin, le drame revient, mais pour achever de les réunir. Un mélodrame universel, que Murnau transforme en symphonie cosmique et sensuelle, d’une force renversante, d’une beauté exaltante. Au milieu des années vingt, Friedrich Wilhelm Murnau est le plus grand cinéaste allemand. Il a réalisé en l’espace de quelques années NOSFERATU LE VAMPIRE (1922), LE DERNIER DES HOMMES (1924), FAUST, UNE LÉGENDE ALLEMANDE (1926)… C’est après avoir vu, baba d’admiration, LE DERNIER DES HOMMES que le producteur américain William Fox – une pointure, il a dans son écurie John Ford, Howard Hawks, Frank Borzage… et sa société deviendra la légendaire Twentieth Century Fox, récemment et tristement avalée par l’insatiable ogre Disney – décide d’inviter Murnau à Hollywood. Pour réaliser un film « infiniment cultivé, symbolique, bref tout à fait européen »… C’était une époque où les producteurs étaient encore des gens du spectacle, pas des financiers, qui payaient des traversées en transatlantique à des artistes simplement parce qu’ils étaient géniaux… Murnau fait donc le voyage et va disposer d’une liberté totale, en même temps que d’un budget plus vaste que tout ce qu’il avait connu en Allemagne. Tous ses désirs sont exaucés, les plus fous de ses projets de décors sont construits… Et il réussit à ne pas se laisser engloutir sous cette profusion de moyens et réalise un de ses chefs d’oeuvre. L’AURORE ne connaîtra malheureusement qu’un succès public très limité et la carrière américaine de Murnau tournera court. Il mettra en 1930 les voiles pour Tahiti où il tournera son ultime merveille, TABOU (1931), qu’il n’aura pas le temps de voir sortir en salle puisqu’il mourra en mars 1931 dans un accident de voiture. Un petit plaisir pour finir, voici le lien vers un épisode du Blow Up d’Arte, signé Luc Lagier , qui invite – sans leur demander leur avis – quelques stars du cinéma américain à célébrer le culte de L’AURORE : https://youtu.be/7ukk46FrCAc

Aujourd’hui, une histoire d’amour au climat étrange.


 

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Vendredi 19 mars

Hier, fin N° 72. Après L’AURORE, on continue à tutoyer les sommets, au risque d’en avoir le souffle coupé. L’ultime baiser entre Kim Novak et Jimmy Stewart, avant la chute. L’implacable fatum s’incarne dans une innocente religieuse et dans la musique somptueusement tragique de Bernard Herrmann. C’est évidemment VERTIGO (1958) d’Alfred Hitchcock, sorti en France sous le titre pâlichon de SUEURS FROIDES, qu’on s’empressera d’oublier. Le plus beau, le plus fascinant des films d’Hitchcock. Je sais, les avis divergent, d’aucuns préfèrent qui FENÊTRE SUR COUR (1954), qui LES ENCHAÎNÉS (1946), qui PSYCHOSE (1960) ou LA MORT AUX TROUSSES (1959)… Hitchcock a quand même un sacré palmarès ! Mais pour moi, c’est décidé, VERTIGO est le plus grand, celui qu’on peut voir dix fois en marchant à fond, en éprouvant à la dixième vision des émotions nouvelles, en découvrant des détails qui nous avaient échappé lors des neuf précédentes… À partir d’un roman à énigme des français Boileau et Narcejac (« D’entres les morts », publié en 1954), Hitchcock construit un suspense machiavélique qui est aussi et surtout une des plus belles histoires d’amour fou jamais contées, en même temps qu’une magistrale leçon de cinéma. VERTIGO nous entraîne dans la quête obsessionnelle de John « Scottie » Ferguson, flic de San Francisco mis au rancart suite à une course poursuite sur les toits au cours de laquelle sa peur panique du vide a causé la mort d’un de ses collègues. Un Scottie désoeuvré, ne sachant plus que faire de sa vie, qui va se retrouver embarqué dans une enquête piégée, sur les traces d’une sublime Madeleine elle-même hantée par une certaine Carlotta Valdes, suicidée il y a bien des années… C’est l’occasion de scènes de filatures hypnotiques dans San Francisco et ses alentours (je me souviens d’un supplément des Inrockuptibles qui revisitait les lieux mythiques du tournage) : le fleuriste de Claude Street, le cimetière de Mission Dolores, le Musée de la Légion d’Honneur, le restaurant Ernie’s et ses tentures pourpres, la baie sour le Golden Gate Bridge, la mission de San Juan Battista… À sa sortie, VERTIGO fut très fraîchement accueilli par la critique – sauf en France où Truffaut, Rohmer et d’autres le défendirent ardemment – et ne connut qu’un médiocre succès public. Ce n’est qu’au fil des années qu’il accéda au rang de film culte, avec ses adeptes et ses descendants. On en citera deux exemples aux antipodes l’un de l’autre : Chris Marker, adorateur de la première heure, le cite ouvertement dans LA JETÉE (1962) ; quant à Brian De Palma, il en tournera une sorte de remake officieux avec OBSESSION (1976), dont il confiera la musique à un certain… Bernard Herrmann.

Aujourd’hui : toujours prendre la vie du bon côté…


 

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Samedi 20 mars

Hier, fin N° 73. « Always look on the bright side of life ! » swingue la chorale des crucifiés au sommet du Golgotha, le mont du Calvaire aux portes de Jérusalem (la séquence a été tournée, plus prosaïquement, dans la région de Monastir en Tunisie). Ce sont les trente dernières secondes, assez inoubliables, de MONTY PYTHON, LA VIE DE BRIAN (1979), réalisé par Terry Jones. Chez les Monty Python, c’est en effet Jones qui assuma ce poste essentiel, et ce dès SACRÉ GRAAL (1975), le premier « vrai » film de la bande (LA PREMIÈRE FOLIE… alias AND NOW FOR SOMETHING COMPLETELY DIFFERENT (1971) était une compilation de sketches), pour lequel il faisait tandem avec l’autre Terry : Gilliam. Mais autant ce premier essai était pour ainsi dire fortuit (Jones et Gilliam expliquant qu’ils s’y étaient collés parce que les autres ne voulaient surtout pas du job), autant Jones s’investit véritablement dans la mise en scène de BRIAN ainsi que du troisième et dernier film des Python, LE SENS DE LA VIE (1983). Quant à Terry Gilliam, sa filmographie future (entamée dès 1977 avec JABBERWOCKY) prouvera qu’il était fait pour réaliser. Quand on y pense, cette scène de crucifixion collective est d’une audace assez estomaquante. Tout comme le film entier d’ailleurs, fable férocement iconoclaste qui raconte l’existence chaotique de Brian Cohen, né par malchance le même jour que Jésus Christ, et par dessus le marché dans l’étable voisine. Il sera condamné toute sa vie à être pris pour le messie (à commencer par les trois ahuris de Rois mages) et ça ne lui attirera que des emmerdements, jusqu’à la funeste conclusion qu’on connaît, heureusement égayée par l’illustration chantée de la méthode Coué. Plus hérétique que blasphématoire, charge à boulets rouges non pas contre le Christ lui-même, que les Monty Python considèrent visiblement comme un chic type, mais contre l’imbécillité crasse de tous les fanatisme, religieux ou pas, LA VIE DE BRIAN s’attira sans surprise les foudres de toutes les autorités ecclésiastiques. À New York, des prêtres, des pasteurs et des rabbins défilèrent ensemble pour huer le film, un rabbin émérite allant même jusqu’à éructer : « Je serais fou de joie si ce film retournait là même où il a été produit : en Enfer ! » En Angleterre, la sortie du film fut interdite dans certaines villes, après qu’une association catholique eut essayé en vain de bloquer son visa d’exploitation. LA VIE DE BRIAN fut interdit en Norvège pendant quelques mois, en Irlande jusqu’en 1987, en Italie jusqu’en 1990 ! Une chose est sûre, c’est que les spécialistes ont très tôt reconnu la justesse historique du film, tant dans son évocation du personnage de Jésus que dans la contextualisation de l’époque dans laquelle il vivait. Il faut dire que Terry Jones (disparu en 2020 des suites d’une saloperie de maladie neurodégénérative) ne se contentait pas d’être un amuseur génial, adorant se déguiser en femme pour jouer la mère atrabilaire de Brian Cohen, il était aussi un historien distingué, diplômé d’Oxford et spécialiste de l’époque médiévale. Un petit cadeau pour finir : une vidéo (de piètre qualité mais c’est mieux que rien) de la scène hilarante de la réunion clandestine du FPJ (Front Populaire de Judée), dont les ennemis jurés sont certes les Romains, mais aussi et surtout ces sales traîtres de Galilée Libre : https://youtu.be/SX0KBls7bto

Aujourd’hui : costume, cravate et lunettes noires.


 

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Dimanche 21 mars

Hier, fin N° 74. Loin de la terre, au-delà des étoiles… On ne verra pas la trombine de l’extra-terrestre qui joue aux billes avec des mini-planètes. C’est MEN IN BLACK (1997) de Barry Sonnenfeld. Un divertissement plutôt réussi et gentiment fantastique adapté d’un comic book publié au début des années 90 chez un petit éditeur (Malibu), bientôt racheté par Marvel qui sera lui-même avalé vingt ans plus tard par la tentaculaire Disney Company à qui on ne souhaite qu’une chose, c’est de mourir étouffée de sa goinfrerie sans limite. Les deux Hommes En Noir du film (le vétéran Tommy Lee Jones et le débutant Will Smith, qui ne sont pas pour rien dans la réussite de l’affaire) ont la même dégaine que les agents du FBI mais ils sont spécialisés dans la traque et la mise hors d’état de nuire des extra-terrestres délinquants qui, s’ils sont une minorité parmi les quelques 1500 aliens vivant clandestinement et sous défroque humaine à New York (essentiellement dans le quartier de Manhattan), peuvent se révéler particulièrement dangereux en raison de leurs pouvoirs, extra-terrestres eux aussi, c’est logique. Mais les Men In Black disposent de leur côté de quelques gadgets jamesbondesques, notamment le neuraliseur qui leur permet d’effacer la carte mémoire des témoins de l’existence des envahisseurs : il vaut mieux pour la tranquillité des humains qu’ils continuent à se croire les seules créatures intelligentes de l’univers. Nous sommes évidemment dans le domaine de la fantaisie débridée et, dans ce registre, MEN IN BLACK est le successeur direct d’un SOS FANTÔME – GHOSTBUSTERS (1984) d’Ivan Reitman ou d’un RETOUR VERS LE FUTUR (1985) de Robert Zemeckis. Est-ce un hasard si les trois films ont le même producteur : un certain Steven Spielberg ? Comme ses deux prédécesseurs, MEN IN BLACK a remporté un énorme succès public. Synonyme malheureusement, comme pour ses deux prédécesseurs, de «sequels », de suites opportunistes cherchant à exploiter le filon. Seront donc commis un MEN IN BLACK II (2002) et un MEN IN BLACK III (2012), toujours réalisés par Sonnenfeld et interprétés par le duo Jones-Smith. Et, calamitas calamitatum, il y aura une quatrième mouture, désertée par l’équipe d’origine : MEN IN BLACK INTERNATIONAL (2019) de F. Gary Gray, avec un tandem mixte, Tessa Thomson et Chris Hemsworth. Heureusement ce numéro 4 a fait un remarquable flop, promesse d’un arrêt définitif de la saga.

Aujourd’hui : le combat d’une femme brésilienne.


 

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Lundi 22 mars

Hier, fin N° 75. On a juste le temps d’apercevoir la grande Sonia Braga avant que la caméra scrute les termites qui grignotent avidement des morceaux de poutre, comme la corruption et les malversations des puissances de l’argent sapent les fondements de la société brésilienne. C’est le magnifique AQUARIUS (2016) de Kleber Mendonça Filho, cinéaste passionnant qui est l’une des révélations majeures du cinéma internationale de ces dix dernières années. Découvert en France en 2014 avec son premier long-métrage, LES BRUITS DE RÉCIFE (2012), il a, après AQUARIUS, réalisé le formidable BACURAU (2019), co-signé avec Juliano Dornelles, collaborateur-complice, directeur artistique et décorateur sur ses deux premiers films. « Aquarius », c’est le nom d’une petite résidence coquette construite dans les années 40, sise face à l’océan et les plages de Recife, sur la très huppée Avenida Boa Viagem. C’est là que vit Clara, Madame Clara, comme l’appellent les habitants du quartier, avec un mélange d’affection et de respect craintif. Il faut dire qu’elle en impose, Clara, femme de caractère et belle comme une icône païenne. Mais voilà, Aquarius a été vidé de ses habitants par un important promoteur, qui a racheté tous les appartements dans le but avoué de démolir l’immeuble pour en construire un dix fois plus grand et cent fois plus rentable. Mais Clara résiste. Elle se refuse à vendre son logement malgré la somme que l’on devine rondelette offerte par la compagnie immobilière. Elle se retrouve donc seule dans cet immeuble fantôme, bientôt harcelée par les promoteurs. Et on découvrira qu’il y a bien des façons de persécuter un individu… C’est David contre Goliath. Et c’est aussi et surtout un film éminemment politique qui raconte deux cultures, deux Brésil qui s’entrechoquent et s’affrontent. Deux visions du monde irréconciliables qui se toisent : la loi de l’argent, des réseaux, des influences contre celle du métissage, de la mixité sociale, du partage et de la dignité. Klebert Mendonça Filho est en pointe dans le combat des artistes brésiliens contre le régime d’extrême-droite qui accable son pays. Au Festival de Cannes 2016, deux ans et demi avant l’arrivée au pouvoir du sinistre Jair Bolsonaro, toute l’équipe d’AQUARIUS protestait publiquement, lors de la montée des marches, contre la destitution de la présidente Dilma Roussef, présentant aux yeux du monde des affichettes de combat : « Un coup d’état a eu lieu au Brésil », « Nous résisterons », « Le Brésil n’est plus une démocratie »… Un mot sur Sonia Braga, sans doute la seule actrice brésilienne à avoir gagné une reconnaissance internationale grâce à quelques rôles marquants dans DOÑA FLOR ET SES DEUX MARIS (1976) de Bruno Barreto, LE BAISER DE LA FEMME ARAIGNÉE (1985) d’Hector Babenco ou encore MILAGRO (1988) de Robert Redford… Elle est superbe dans AQUARIUS et Kleber Mendonça Filho l’a tout naturellement rappelée pour un des rôles centraux de BACURAU.

Aujourd’hui : petit tour en Islande.


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Mardi 23 mars

Hier, fin N° 76. Comme dans un rébus, tous les éléments du titre sont à l’image durant ces trente dernières secondes : on voit beaucoup de chevaux et un peu moins d’hommes (on voit aussi des femmes bien sûr, mais dans le titre, le terme « hommes » est utilisé dans son sens générique de « humains ») sur fond de paysages islandais, mais sans aucun volcan en éruption. C’est donc DES CHEVAUX ET DES HOMMES de Benedikt Erlingsson. Le nom de ce réalisateur islandais – qui fut auteur, metteur en scène et acteur de théâtre et qu’on a vu jouer au cinéma dans LE DIREKTOR (2006) de Lars Von Trier – vous dit peut-être quelque chose car, depuis ce premier long métrage en 2013, il en a réalisé un second en 2018 qui a beaucoup plus attiré l’attention : WOMAN AT WAR, l’histoire épatante de cette paisible cheffe de chorale qui se mue en écolo de choc et saborde les pylônes électriques alimentant les usines super polluantes d’un industriel de l’aluminium. Bouche à oreille d’enfer et gros succès dans nos salles pendant l’été 2018 ! DES CHEVAUX ET DES HOMMES donc. Mais il ne s’agit pas ici de n’importe quels chevaux. Ni par extension de n’importe quels hommes. Ce ne sont pas les chevaux, bien policés, qu’on rencontre dans nos haras. Les chevaux du film sont plus sauvages, plus tranchés, plus « islandais ». Les hommes aussi. D’ailleurs dans cette langue, les deux mots se ressemblent: « Hross í oss », comme si l’un était le prolongement de l’autre. Se racontent ici, à travers les chevaux qui font le lien entre les divers protagonistes, les histoires et passions qui secouent une petite communauté en Islande, entre conflits de voisinage, tempête de neige et chalutier russe… Avec leur lucidité volontiers âpre et leur humour très particulier, leur vitalité indomptable, DES CHEVAUX ET DES HOMMES et WOMAN AT WAR s’inscrivent pleinement dans cette vague du cinéma islandais, d’une vitalité, inversement proportionnelle à la quantité de films produits dans le pays (cinq par an maximum), qu’on a vu arriver chez nous avec bonheur depuis une dizaine d’années. On citera BÉLIERS de Grimur Hakonarson, L’HISTOIRE DU GÉANT TIMIDE de Dagur Kari, SPARROWS de Runar Runarsson, tous trois réalisés en 2015), ou encore le tout récent UN JOUR SI BLANC (2019) de Hlynur Palmason.

Aujourd’hui : new burlesque sur la côte atlantique.


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Mercredi 24 mars

 

Hier, fin N°77. Mathieu Amalric, tout seul, remet le son. C’est TOURNÉE, film qu’il a lui-même réalisé en 2010 et qui met en vedette des femmes à la beauté incroyable mais hors des canons imposés, dont les noms sont déjà tout un programme : Mimi Le Meaux, Dirty Martini, Evie Lovelle, Roky Roulette… Des vrais noms de music hall ! Pas un hasard, puisque les irrésistibles héroïnes de TOURNÉE sont des actrices/performeuses/comédiennes multicartes de cabaret, des pointures de ce que l’on appelle le new burlesque. Un genre complet, florissant dans les années 20/30 aux Etats Unis, qui mêlait chansons, numéros humoristiques et satiriques et effeuillage polisson. Un genre tombé en désuétude pour se réduire à sa plus simple et pauvre expression : le strip-tease, avant d’être ressuscité par la scène rock et lesbienne américaine au milieu des années 90 pour devenir un spectacle drôle et branché, notamment sous l’impulsion de personnages comme la très médiatique Dita Von Teese. Matthieu Amalric, particulièrement touché par un texte méconnu de Colette, « L’Envers du Music-Hall », écrit à une période où les filles de joie et de la scène tenaient le haut du pavé, a réussi à intégrer cet univers dans une fiction, en utilisant de manière quasi documentaire la tournée de ces filles, une tournée qu’il a fait réellement organiser, devant un vrai public. Et on découvre à quel point ces artistes complètes font preuve d’une inventivité et d’une sensualité folles, interprétant des jeux de rôles hilarants lors de spectacles portés par les musiques rock et soul que l’on aime (ah ! Le « I put a spell on you » de Screamin Jay Hawkins !). TOURNÉE est le quatrième long métrage d’Amalric metteur en scène, après trois premiers films restés plutôt confidentiels : MANGE TA SOUPE (1997), LE STADE DE WIMBLEDON (2001) et LA CHOSE PUBLIQUE (2003), prévu au départ pour une diffusion sur Arte et finalement sorti en salle. Il a réalisé depuis LA CHAMBRE BLEUE (2014), adaptation très réussie d’un roman de Georges Simenon, et bien sûr BARBARA (2017), énigme N°34 de ce quiz. Et il a tourné fin 2019 – début 2020 SERRE-MOI FORT, avec Vicky Krieps (découverte dans PHANTOM THREAD (2017 de Paul Thomas Anderson), qui attend patiemment la réouverture des salles… Il n’est pas le seul.

 

Aujourd’hui : le cri parfait.


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Jeudi 25 mars

 

Hier, fin N° 78. John Travolta, la musique de Pino Donaggio et le cri, tellement authentique qu’il en devient insupportable. C’est BLOW OUT (1981) de Brian De Palma. Qui montre que ses références cinéphiles ne se limitent pas à Alfred Hitchcock puisqu’ici c’est bien Michelangelo Antonioni et son BLOW UP (1966) qui sont invoqués. Dans BLOW UP, le photographe joué par David Hemmings découvrait dans l’arrière-plan d’une de ses photos prises dans un parc un crime en train d’être commis. John Travolta, le preneur de son héros de BLOW OUT, alors qu’il enregistre de nuit divers bruits de la nature, « entend » un meurtre. Témoin de l’accident de voiture dont est victime un célèbre sénateur, il se rend compte, à la réécoute incessante de sa bande, que l’éclatement du pneu a été précédé d’une déflagration. Un coup de feu ? Il décortique les bruits, reconstruit, visualise la scène enregistrée, et fait émerger la vérité de l’événement. Quand on a programmé BLOW OUT à Utopia – en même temps que PULSIONS (1980), réalisé juste avant –, on rappelait ce qu’écrivaient à propos de De Palma Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon dans leur ouvrage de référence, “50 ans de cinéma américain”: « C’est le plus controversé des cinéastes de sa génération. Ses admirateurs vantent la virtuosité de son style, sa maîtrise du langage cinématographique, la complexité et la constance de sa thématique. Ses détracteurs soulignent la fréquente gratuité de ses effets, sa tendance à la surcharge et à l’excès, un certain rabâchage thématique, ses emprunts systématiques à Hitchcock. Nous nous rangerions plutôt de ce côté-ci, ayant de sérieuses réserves sur la plupart des films de De Palma, mais on ne peut nier son sens très aigu de l’expression visuelle, le plaisir communicatif de filmer qui se dégage de ses films, le pouvoir euphorisant de certaines séquences où sont mises en œuvre toutes les ressources de la caméra… » Et on notait que ces deux éminents détracteurs du cinéaste donnaient finalement très envie de voir ses films, ne serait-ce que pour partager ce “plaisir communicatif”, pour succomber à ce “pouvoir euphorisant”… De Palma donne la vedette dans BLOW OUT au couple John Travolta / Nancy Allen, qu’il avait déjà dirigés comme seconds rôles majeurs dans CARRIE (1976) : Allen en garce de haute volée manipulait en beauté le parfait couillon Travolta. Fait assez notable, c’est Gérard Depardieu qui double Travolta dans la version française du film. Utiliser des vedettes françaises pour doubler des stars américaines… c’est peut-être l’époque qui voulait ça : on se souvient ainsi de Jean-Louis Trintignant donnant sa voix à Jack Nicholson dans la VF de SHINING de Kubrick. Ce n’était pas une bonne idée, les voix des doubleurs sont trop reconnaissables et parasitent l’adhésion aux personnages. Mais ce n’est de toute façon pas une bonne idée de voir les films étrangers en VF…

 

Aujourd’hui : l’amour aux bains londoniens.


 

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Vendredi 26 mars

Hier, fin N° 79. Les corps nus de Jane Asher et John Moulder-Brown dans les eaux de la piscine couleur sanguine, au son de la chanson « But I might die tonight » (« Mais je pourrais mourir ce soir »), écrite et interprétée spécialement pour le film par Cat Stevens. C’est DEEP END (1970) de Jerzy Skolimowski, cinéaste polonais formé au sein de la célèbre École nationale supérieure de cinéma de Lodz, tout comme Roman Polanski, son collègue, ami et aîné de 5 ans, qui l’embaucha d’ailleurs comme co-scénariste pour son premier long métrage, LE COUTEAU DANS L’EAU (1962). Skolimowski a réalisé quatre films en Pologne. Le dernier, HAUT LES MAINS (1967) fut censuré par le régime – il ne connaîtra une sortie fugitive qu’en 1981 –, ce qui amena le cinéaste à quitter son pays et à devenir une sorte de réalisateur errant. Carrière incertaine qu’il entama aussitôt à Bruxelles avec LE DÉPART (1967), joué entre autres par Jean-Pierre Léaud. Puis vint en 1969 LES AVENTURES DU BRIGADIER GÉRARD, grosse production européenne en costumes d’après un roman de Conan Doyle, que Skolimowski considère comme son « plus mauvais film ». « La postproduction avait lieu à Londres. Je louais un appartement à Kensington, au 73 Cornwall Gardens – d’ailleurs cette adresse est mentionnée dans DEEP END. Jimi Hendrix vivait à côté, j’étais bien entouré ! Au bout de quelques semaines passées à Londres, j’ai commencé à envisager DEEP END. » Initiation amoureuse d’un adolescent candide qui trouve un boulot et son premier amour dans un établissement de bains publics de l’East End londonien, le film de Skolimowski installe une ambiance dérangeante autant que fascinante, entre thriller psychologique et tragédie romantique. La production étant majoritairement allemande, le tournage s’est déroulé essentiellement à Munich, en particulier les scènes d’intérieur. L’équipe n’a séjourné à Londres qu’une seule semaine, le temps de filmer les façades extérieures des bâtiments. Le résultat à l’écran est bluffant, c’est Londres qui vibre, qui sue, qui s’encanaille, qui fantasme. Un Londres trouble et interlope, à l’opposé de la capitale des swinging sixties, tout en insouciance pop. Skolimowski retrouvera Londres douze ans plus tard pour y tourner – pour de vrai cette fois – un autre de ses plus grands films : TRAVAIL AU NOIR (1982), chef d’oeuvre de fable politique, grinçante et sarcastique, avec en vedette un génial Jérémy Irons.

Aujourd’hui : coming out trans.


 

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Samedi 27 mars

Hier, fin N° 80. Gros plan sur Melvil Poupaud. Contrechamp sur Suzanne Clément. En fond sonore, « Let’s go out tonight », par Craig Armstrong. Retour sur Melvil Poupaud qui nous donne mezzo voce la réponse, avec un clin d’oeil complice en prime. C’est donc LAURENCE ANYWAYS (2012) de Xavier Dolan. Son quatrième film, pour beaucoup le plus beau.
Mais je ne m’étendrai pas davantage parce qu’hier j’ai appris comme tout le monde la mort de Bertrand Tavernier et que ça m’a fichu un sacré coup… Soudain j’ai comme une impression de déjà-écrit. Mais oui, c’était au moment de la disparition de Jean-Pierre Bacri et c’était déjà en commentant un film de Xavier Dolan : le N° 15 du quiz, LES AMOURS IMAGINAIRES ! Sans du tout vouloir faire passer le prodige québecois pour un porte-poisse, je suggèrerai à Aurore de ne pas proposer à notre sagacité les 30 dernières secondes de TOM À LA FERME (2012) ou de MOMMY (2014), ce sera plus sûr pour les personnalités du cinéma qu’on aime et qui prennent de l’âge…

 

Bertrand Tavernier ! En plus d’un réalisateur talentueux et curieux de tout, c’est Monsieur Cinéma qui s’en va, c’est le cinéphile le plus passionné, le plus gourmand, le plus généreux, le plus partageux qui tire sa révérence et qui va nous manquer à un point qu’on a du mal à imaginer et à exprimer. Bertrand Tavernier est venu trois fois à Utopia Bordeaux. La première fois c’était un week-end de fin avril 2001, à l’occasion de la parution de sa biographie (Flammarion) écrite par Jean-Claude Raspiengeas qui l’accompagnait. Il est resté deux jours avec nous, échangeant avec les spectateurs autour de son LE JUGE ET L’ASSASSIN (1976), dédicaçant ses livres, dont « 50 ans de cinéma américain » (Omnibus), évoqué dans une précédente notule, et le monumental « Amis américains, entretiens avec les grands auteurs d’Hollywood » (Actes Sud), publié en 1993 et réactualisé deux fois depuis, mais présentant aussi au public LE GOUFFRE AUX CHIMÈRES (1951) de Billy Wilder et le beau RUE DU RETRAIT de René Féret : il faisait partie de ces rares cinéastes capables de s’oublier et de défendre en toute sincérité le film d’un confrère moins connu. Toujours en 2001, le 20 décembre, il nous offrait un Noël avant l’heure avec l’avant-première de LAISSEZ-PASSER, occasion rêvée de faire partager sa connaissance encyclopédique et enthousiaste du cinéma français pendant l’occupation. Et on l’avait reçu une troisième fois en février 2012, pendant les Rencontres « La Classe ouvrière, c’est pas du cinéma » qui avaient programmé deux de ses documentaires : LA GUERRE SANS NOM (1991) sur la guerre d’Algérie, et HISTOIRES DE VIES BRISÉES : LES DOUBLE-PEINE DE LYON (2001) sur les immigrés condamnés à être expulsés en plus de leur sanction pénale. Et là encore, au-delà des riches échanges sur ses films, il avait tenu à présenter au public surpris et ravi deux titres de notre programmation : le grand classique LA GRANDE ILLUSION (1937) de Jean Renoir et un petit film anglais inconnu de tout le monde sauf de lui, SI PARIS L’AVAIT SU (1950) de Terence Fisher et Antony Darnborough, avec un tout jeune Dirk Bogarde, grand acteur qu’il avait dirigé dans DADDY NOSTALGIE (1990).
Autant de moments qu’on n’oubliera pas.
Pour finir, je ne saurais trop vous recommander la vision de sa dernière œuvre, qui restera comme son testament d’amoureux fou du cinéma : VOYAGE À TRAVERS LE CINÉMA FRANÇAIS, à la fois dans sa version cinéma de 2016 et dans son prolongement télévisuel de 2018 en neuf épisodes. Les deux versions sont disponibles en DVD et blu-ray édités par Gaumont.
Et deux aperçus en vidéo de la passion Tavernier : Présentation de QUAI DES ORFÈVRES d’Henri-Georges Clouzot : https://www.arte.tv/fr/videos/059148-003-A/
Et, plus inattendu, intervention drôlatique et pince-sans rire sur la naissance du cinéma grolandais : https://www.facebook.com/groland/videos/266018838534743/

 

Aujourd’hui : madeleine fourrée à l’opium…


 

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Dimanche 28 mars

Hier, fin N° 81. Robert De Niro, l’esprit embrumé par l’opium, laisse naître sur son visage un sourire inattendu, énigmatique et presqu’enfantin, tandis qu’enfle la musique somptueuse et déchirante d’Ennio Morricone. C’est IL ÉTAIT UN FOIS EN AMÉRIQUE (1984) de Sergio Leone. Son ultime film et son deuxième chef d’oeuvre, dont il portait le projet depuis près de vingt ans. Adaptant – avec cinq co-scénaristes : ça n’a pas dû être simple de construire la trame narrative – le roman autobiographique d’Harry Grey « The Hoods », Leone déploie une fresque qui embrasse 50 ans de l’histoire des Etats-Unis vue du côté sombre de la force et qui est aussi un voyage à travers le cinéma, un cinéma qui n’existe plus : « Le sous-titre du film pourrait être Il était une fois un certain cinéma. » disait-il. « Moi qui appartiens à une certaine forme d’amour du cinéma, je dis ici : le cinéma va changer, il ne sera plus comme cela et je vous le montre une dernière fois. ». Il disait aussi que le film est « une biographie à deux niveaux : ma vie personnelle et ma vie de spectateur de cinéma américain. » La scène finale dans la fumerie d’opium est aussi la scène d’ouverture et c’est autour d’elle, se situant dans les années 30 de la prohibition, qu’est construit tout le récit, qui va nous faire voyager dans le temps et la destinée du personnage joué par Robert De Niro, Nathan Aaronson dit « Noodles ». Voyage dans le passé : le début des années 20, son enfance dans le ghetto juif de New-York, sa rencontre avec les trois gamins qui deviendront sa vraie famille, son amitié sans faille avec Max, leurs premières combines, leur apprentissage de la truanderie, leur ascension dans le milieu du banditisme dont ils vont devenir des caïds. La rencontre avec Deborah que Noodles va idôlatrer, que Noodles va aimer, bien mal, et qui aura la force et la volonté de lui échapper. L’amitié, la violence, l’amour, le sexe, la trahison, et la conquête du pouvoir, que Max aborde avec une avidité calculatrice, une rigueur paranoïaque, alors que Noodles la vit sans réel désir, incapable qu’il est de se soumettre aux règles et aux obligations de son rôle de gangster en chef… Voyage dans le futur : la fin des années 60, les rêves envolés, le souvenir des amis disparus, les désillusions comme seules compagnes de route. Et toujours et in fine, le retour à la fumerie d’opium, à la rêverie vagabonde de Noodles, qui se souvient. Ou qui imagine ? Montré hors compétition au Festival de Cannes 1984, IL ÉTAIT UNE FOIS EN AMÉRIQUE fut diversement accueilli, sans enthousiasme particulier, en particulier du côté de la presse américaine. Si bien que le film sortit aux Etats-Unis dans une version réduite à 2h15 au lieu des 3h50 d’origine et remontée dans l’ordre chronologique de l’action ! Autant dire un massacre. Leone aura donc filmé une Amérique rêvée et n’aura pas rencontré l’Amérique réelle. Elle ne sait pas ce qu’elle a manqué…

Aujourd’hui : sacrée rencontre !


 

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Lundi 29 mars

 

Hier, fin N° 82. L’irrésistible Lauren Bacall embarque en douceur et pour un avenir probablement radieux un Humphrey Bogart parfaitement consentant, au rythme du jazz band de Hoagy Carmichael. C’est la naissance d’un couple mythique (à l’écran comme à la ville, comme disent les magazines) et c’est LE PORT DE L’ANGOISSE, alias TO HAVE AND HAVE NOT (1944) de Howard Hawks. Le titre français est comme souvent à côté de la plaque : il y a bien vaguement un petit port pittoresque mais pas d’angoisse. Du danger oui, mais pas d’angoisse. À peine du suspense. Pourtant l’intrigue – adaptée d’un roman mineur d’Ernest Hemingway et transposée par les scénaristes Jules Furthman et William Faulkner (excusez du peu !) de la zone Floride-Cuba à la Martinique sous l’occupation – aurait pu donner lieu à un film dramatique, sous tension, à la CASABLANCA (1942) – il est d’ailleurs probable que les producteurs de Hawks ont voulu profiter du succès du film de Michael Curtiz en donnant à Bogart un rôle très proche dans une histoire pas très éloignée : La Martinique en 1942, sous régime vichyste. Harry Morgan, propriétaire d’un yacht, gagne sa vie en emmenant à la pêche de riches touristes. Gérard dit « Frenchy », gaulliste convaincu et patron de l’hôtel où il loge, demande à Harry de l’aider à faire entrer clandestinement dans l’île un chef de la Résistance. D’abord réticent, Harry accepte, acculé par le besoin d’argent. Il finira même par y mettre un peu d’âme et d’idéal en constatant la veulerie des sbires de Pétain… et aussi parce qu’il fait une rencontre qui va le tirer vers le haut : celle de Marie, une femme qui mène sa barque aussi fermement et librement qu’il pilote son yacht et qui va se comporter avec lui d’égale à égal, sans minauderies ni syndrome de la créature fragile qui a besoin de protection. Coup de foudre réciproque qui va faire basculer le film en mettant le couple au centre de l’action et de l’attention du spectateur. TO HAVE AND HAVE NOT serait donc un CASABLANCA dédramatisé, libéré de toute pression morale, de tout enjeu plus grand que ses personnages. Un CASABLANCA décontracté, à la limite de la désinvolture. Au rayon des anecdotes, la légende veut que Hawks aurait parié avec son pote Hemingway qu’il serait capable de faire un bon film à partir de son plus mauvais roman. Les versions diffèrent ensuite pour déterminer qui, du cinéaste ou du romancier, a choisi « To have and have not », publié en 1937, comme base de l’exercice. Une chose est sûre : il ne reste quasiment rien du roman dans le scénario du film, à part le couple central. Et un mot pour finir sur le petit bonhomme qui suit le couple à la fin du film, en portant les valises et en se dandinant sur la musique. C’est Walter Brennan, second rôle mythique du cinéma américain. On l’a vu – souvent sans connaître son nom – dans plus de cinquante films entre 1930 et 1970. Jamais ou presque de premier rôle et pourtant des apparitions inoubliables. Il a tourné six films avec Howard Hawks, notamment dans deux chefs d’oeuvre du western : LA RIVIÈRE ROUGE (1948) et surtout RIO BRAVO (1959), dans lequel il est génial en Stumpy, adjoint râleur du shérif John Wayne. Et on citera aussi un de ses rares personnages de méchant : le patriarche Clanton, ennemi mortel de Wyatt Earp – Henry Fonda et de ses frères dans MY DARLING CLEMENTINE (LA POURSUITE INFERNALE, 1946) de John Ford.

 

Aujourd’hui : radio pirate en mer du Nord…


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Mardi 30 mars

 

Hier, fin N° 83. Toute la joyeuse bande du film (on reconnaît fugitivement Philip Seymour Hoffman, Rhys Ifans, Bill Nighy, Nick Frost et il y a tous les autres qu’on ne remet pas…) danse sur le pont du rafiot et sur les rythmes syncopés du bien titré « Let’s dance » de David Bowie. Ce sont les trente dernières secondes de GOOD MORNING ENGLAND (2009) de Richard Curtis, qui ne sont d’ailleurs pas réellement la fin du film puisque, je suis bien obligé de vous le dire, le bateau de Radio Rock coule ! Le titre français ne s’explique que par la référence à GOOD MORNING VIETNAM (1987) de Barry Levinson, gros succès avec Robin Williams en animateur de la radio des forces armées US. Le titre original est évidemment bien meilleur : THE BOAT THAT ROCKED. On est dans le vif du sujet puisque l’essentiel du film se déroule sur ce bateau ancré non loin des côtes anglaises, qui est en pratique le siège d’une radio pirate. Rassemblée à bord en une sorte de communauté très flower-power and peace & love, une bande de gais lurons subversifs défie les lois du royaume et de la bienséance britanniques en diffusant à flot continu de la musique rock et pop. Il faut savoir que nous sommes en 1966 et que le gouvernement anglais, relayé par une BBC aux ordres, considère que cette musique de sauvages doit être réduite à la portion congrue et reléguée à des émissions les plus courtes et les plus nocturnes possible. Le film s’inspire directement de l’histoire de Radio Caroline, pas la première mais l’une des plus célèbres radios pirates britanniques qui, en 1964, s’est installée sur un bateau au mouillage dans les eaux internationales de la Mer du Nord pour y diffuser de la musique rock et pop. Comme c’est le cas pour Radio Rock dans le film, Radio Caroline tomba rapidement sous le coup d’une loi de 1967 interdisant les radios pirates. Devant les protestations véhémentes des auditeurs, la BBC créa la même année une station à destination des jeunes, Radio 1. La bande son du film est évidemment jouissive, avec, entre autres, des titres de The Kinks, The Beach Boys, Smokey Robinson, The Who, Cream, Ottis Redding, Cat Stevens, The Moody Blues, Procol Harum… et même Ennio Morricone, le seul non anglo-saxon du lot ! Richard Curtis n’a signé que trois films en tant que réalisateur, les deux autres sont des comédies romantiques : LOVE ACTUALLY (2003), qui a gentiment marché, et IL ÉTAIT TEMPS (2013) qui s’est complètement planté. En fait, il est connu et reconnu comme scénariste, notamment de QUATRE MARIAGES ET UN ENTERREMENT (1994) de Mike Newell, COUP DE FOUDRE À NOTTING HILL (1999) de Roger Michell et, dans un registre très différent, CHEVAL DE GUERRE (2011) de Steven Spielberg.

 

Aujourd’hui : un nanar SF grec.


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Mercredi 31 mars

Hier, fin N° 84. J’espère que vous aurez eu le temps de noter la fabuleuse recette de moussaka que nous donne avec gourmandise la pétulante journaliste télé en direct d’Athènes et en souriant de toutes ses nombreuses dents. Pour un nanar, c’est un sacré nanar ! L’ATTAQUE DE LA MOUSSAKA GÉANTE (1999) de Panos Koutras, hommage déconnant à la série Z des années 50, devenu une œuvre clé du « camp » (culture gay de l’exagération et du pastiche), qui exhibe son mauvais goût en toute bonne conscience et multiplie les clins d’œil à John Waters. Un beau matin, à quelques encablures d’Athènes, une soucoupe volante dépose l’esprit d’une extraterrestre… dans une part de moussaka abandonnée. L’expérience tournant au fiasco, l’esprit de l’alien y reste prisonnier… Ce qui ne lui réussit pas du tout puisque cette spécialité hellène – dont les seuls effets secondaires répertoriés relèvent de la bonne vieille indigestion – opère très vite une mutation prompte à faire pâlir n’importe quel ingénieur agronome de Monsanto. La moussaka devenue cyclopéenne se dirige alors vers la capitale. Dégoulinante d’aubergine, de crème et de viande hachée (dont nous ne connaîtrons pas la provenance mais qui se révélera d’un effet redoutable), elle liquide tous les humains qui se trouve à sa portée. Au milieu de ce cataclysme, nos héros, des astrophysiciens gays en blouse rose, des travestis obèses et une journaliste télé sans scrupule vont entreprendre de mettre hors d’état de nuire cette créature contre-nature… Cette pochade sans conséquence est le premier film de Panos Koutras qui a continué par la suite à s’intéresser aux thématiques LGBT+ mais avec une approche beaucoup plus sérieuse et sensible, dans deux films que nous avons aimés et programmés : STRELLA (2009) et XENIA (2014). Parmi les prédécesseurs de LA MOUSSAKA GÉANTE, on a repéré un VEGAS IN SPACE (1991) de Richard R. Ford, produit par la Troma Entertainment, spécialisée dans les nanars trash. L’épopée d’un vaisseau spatial envoyé en mission sur la planète Clitoris, exclusivement féminine et interdite aux hommes : les membres de l’équipage devront avaler une pilule de changement de genre… Cette œuvre sans doute impérissable n’est jamais sortie dans les salles françaises mais a été projetée dans des festivals LGBT+. Et on peut accessoirement considérer que la grosse production consensuelle et quasi-familiale LES MAITRES DE L’UNIVERS (1987) de Gary Goddard est assez clairement crypto-gay, ne serait-ce que dans le look hyper-sexy du Musclor au corps huilé incarné par le sculptural Dolph Lundgren et dans ses relations plus que troubles avec Skeletor, l’ennemi qui l’aimante…

Aujourd’hui : une comédie anglaise bien roulée.


 

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Jeudi 1er avril

Hier, fin N° 85. Une comédie anglais bien roulée, c’était le slogan sur l’affiche du film. Bien roulée certes, mais dans quel sens ? Il faut prendre ici rouler dans le sens de rouler un oinj, un tarpé, un splif, un stick… C’est SAVING GRACE (2000) de Nigel Cole. L’histoire tout à fait improbable mais d’un optimisme volontariste de Grace, cinquantenaire coulant des jours paisibles dans son petit cottage de Cornouailles sur la tête de laquelle le ciel va tomber. Son mari meurt sans prévenir, c’est déjà dur à encaisser, mais en plus elle apprend qu’il a dilapidé l’argent du ménage dans diverses spéculations boursières foireuses. Croulant sous les dettes, au bord de la saisie, elle va trouver le salut dans son talent, reconnu par tout le village, de jardinière. Grace a la main verte, elle fait pousser les plus belles orchidées de la contrée et, sur les conseils judicieux de son ami Matthews, qui ne fume pas que du tabac anglais, elle va se lancer dans la culture moins distinguée mais beaucoup plus lucrative du cannabis… SAVING GRACE s’inscrit dans la foulée des comédies anglaises sympa et chaleureuses qui ont réchauffé nos années 90 mais reste bien inférieur aux grandes réussites du genre : LES VIRTUOSES (1996) ou THE FULL MONTY (1997) pour ne citer que les titres les plus marquants. Nous ne l’avons d’ailleurs pas programmé à l’époque. Pas plus que la comédie suivante de Nigel Cole, dans la même veine, CALENDAR GIRLS (2002). Par contre nous avons beaucoup aimé WE WANT SEX EQUALITY (2011), épatante fable sur la lutte pour l’égalité des travailleuses d’une énorme usine Ford à Dagenham en 1968 qui a fait la première page de notre gazette N° 118. La Grace du film est interprétée par Brenda Blethyn, comédienne de théâtre émérite découverte au cinéma dans SECRETS ET MENSONGES (1996) de Mike Leigh. Ses films suivant ont été moins remarquables, mis à part le beau LONDON RIVER (2009) de Rachid Bouchareb, dans lequel elle formait un duo très attachant avec le grand Sotigui Kouyate. Elle a depuis acquis une grande notoriété grâce à la série plus british et plan-plan que nature LES ENQUÊTES DE VERA, diffusée chez nous sur France 3, qui va entamer sa onzième saison. Puisqu’on cause de séries, il en existe une qui porte le même titre que le film, SAVING GRACE, mais qui n’a rien à voir : c’est une série américaine policière inconnue à notre bataillon, diffusée de 2007 à 2010, créée par avec Holly Hunter en fliquette plus que border line qui va être secourue par… un ange. Par contre on peut en citer une autre, américaine elle aussi, qui part d’une situation assez similaire à notre film du jour : WEEDS, créée par Jenji Kohan, avec Mary-Louise Parker en mère de famille qui se lance dans le trafic de cannabis pour faire vivre sa petite famille suite à la mort de son mari d’une crise cardiaque. 8 saisons entre 2005 et 2012… et après une relâche de 9 ans, un retour serait en projet, même si tout le monde ou presque s’accorde pour dire que 8 saisons, c’était déjà trop.

Aujourd’hui : une histoire simple et palmée.


 

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Vendredi 2 avril

 

Hier, fin N° 86. Lien direct avec SAVING GRACE, le film de la veille, en la personne de l’actrice Brenda Blethyn, qu’on voit ici apporter le thé et s’asseoir sur la chaise longue. C’est SECRETS ET MENSONGES (1996) de Mike Leigh, qu’on citait justement comme film de référence dans la carrière de Brenda Blethyn, qui obtint pour ce rôle le Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 1996, tandis que le film et Mike Leigh remportaient la Palme d’or. C’est dire qu’on est à un autre niveau que celui de SAVING GRACE ! Histoire de famille qui suit les retrouvailles entre une jeune femme noire de la moyenne bourgeoisie et sa mère biologique blanche et prolétaire qui l’a abandonnée à la naissance (ignorant tout de sa couleur de peau), avec tous les chambardements collatéraux, SECRETS ET MENSONGES confirmait, après NAKED, réalisé en 1993 et déjà récompensé à Cannes, l’avènement de Mike Leigh parmi les chefs de file du cinéma britannique, aux côtés de Ken Loach et Stephen Frears. Un rang conforté au fil des années par plusieurs de ses films suivants : ALL OR NOTHING (2002), VERA DRAKE (2004), Lion d’or à la Mostra de Venise, BE HAPPY (2008), ANOTHER YEAR (2010) et enfin Mr. TURNER (2014) pour lequel Timothy Spall – un de ses acteurs fétiches, présent dans SECRETS ET MENSONGES – remporta à son tour le Prix d’Interprétation à Cannes. Et là, bizarrement, le trou d’air. Malgré la reconnaissance internationale et le solide succès de son évocation du grand « peintre de la lumière », sa dernière réalisation en date, PETERLOO (2018), n’a pas été distribuée en France. Et pourtant, de l’avis des spécialistes – tout particulièrement de Jean-François Baillon, universitaire bordelais, spectateur assidu d’Utopia et connaisseur hors pair du cinéma britannique –, c’est un film passionnant qui relate les circonstances et le déroulement du massacre perpétré par une milice locale et les forces régulières anglaises lors d’un rassemblement pour la démocratie et la justice sociale organisé sur le St Peter’s Field à Manchester le 16 août 1819. 60 000 manifestants étaient présents, issus des classes populaires, en particulier des ouvriers du coton. La répression a été sauvage, menée à cheval et sabre au claire. Bilan : 18 morts et des centaines de blessés. Le massacre de Peterloo reste comme un événement capital de l’histoire politique anglaise, le symbole d’une juste cause qu’un pouvoir inique a voulu en vain écraser dans le sang. Est-il trop tard pour espérer une sortie du film en France ?

 

Aujourd’hui : femme au bord de la crise de nerfs…


 

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Samedi 3 avril

 

Hier, fin N° 87. Quelle force, quelle émotion, quelle empathie dans ces trente dernières secondes avec le merveilleux Peter Falk et la géniale, la sublime, la renversante Gena Rowlands ! C’est bien sûr UNE FEMME SOUS INFLUENCE (1974) de John Cassavetes. La chronique d’un couple – qui appartient à la classe populaire, rarement mise en scène dans le cinéma américain – en rupture d’équilibre et surtout le portrait d’une femme « sous l’influence de son entourage, de la société, de son mari, de sa famille, de la maternité. Une femme déchirée entre plusieurs pouvoirs, entre plusieurs rôles » explique le réalisateur. Cette femme, Mabel, est déchirante de fragilité, elle essaie de faire face, de faire au mieux, de faire plaisir à tout le monde mais elle se heurte à trop d’obstacles, d’incompréhensions, de rebuffades. Elle voudrait partager, s’expliquer mais les mots lui manquent. Alors, faute de pouvoir communiquer, Mabel se fêle, se craquelle, se brise en mille morceaux… Le film est d’une honnêteté, d’une intelligence, d’une sensibilité bouleversantes, ce sont des torrents d’amour (pour reprendre le titre français du dernier chef d’oeuvre du cinéaste) qui nous submergent… John Cassavetes a très clairement écrit UNE FEMME SOUS INFLUENCE pour Gena Rowlands, son épouse depuis 1954, qu’il n’a commencé à faire tourner que dans son quatrième long métrage, FACES (1968) mais qui sera à partir de là au centre de tous ses films, à l’exception de deux : HUSBANDS (1971), une pure affaire de mecs avec Cassavetes lui-même, Peter Falk et Ben Gazzara, et BIG TROUBLE (1986), le dernier film, on peut même dire le film de trop, pris en court de route en remplacement de l’anonyme Andrew Bergman, à la demande pressante de Peter Falk, vedette de cette comédie ratée. UNE FEMME SOUS INFLUENCE est considéré par les historiens du cinéma comme le premier volet, suivi de OPENING NIGHT (réalisé en 1977 mais sorti en France en 1992 seulement) et de LOVE STREAMS (1984) d’une trilogie bâtie sur Gena Rowlands, une trilogie dite « de l’hystérie » par les mêmes historiens mais le terme est malheureux et on préfèrera trilogie de la fragilité fracassée. Tourné à l’arrache au long des années 1971 et 1972, financé à la va comme je te pousse (le couple Cassavetes a même dû hypothéquer sa maison), UNE FEMME SOUS INFLUENCE restera encore deux ans sur les étagères avant de sortir enfin aux Etats-Unis en 1974 (en 1976 en France). La critique saluera unanimement la performance de Gena Rowlands, le public sera au rendez-vous et le film restera le plus gros succès de Cassavetes réalisateur jusqu’au triomphe de GLORIA en 1980. Je précise Cassavetes réalisateur car l’acteur John Cassavetes a joué dans pas mal de films à succès, LES DOUZE SALOPARDS (1967) de Robert Aldrich et ROSEMARY’S BABY (1968) de Roman Polanski par exemple.

 

Aujourd’hui : une réflexion sur le deuil et la filiation.


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Dimanche 4 avril

 

Hier, fin N° 88. Emmanuelle Devos en majesté. Qui regarde avec son fils un semblant d’arbre généalogique de leur famille tuyau de poêle. C’est ROIS ET REINE (2004) d’Arnaud Desplechin. Les histoires croisées et foisonnantes en rebondissements et chemins de traverse de Nora (Devos), en principe sur le point d’épouser un homme de pouvoir mais surtout en prise avec les malheurs qu’elle a vécus, ses mariages ratés, l’agonie de son père, et d’Ismaël (Amalric), son ancien compagnon, musicien imprévisible et passablement irresponsable, interné plus ou moins par erreur dans un hôpital psychiatrique. Leurs destins se rejoignent une nouvelle fois lorsque Nora propose à Ismaël d’adopter son fils Elias. C’est le film qui a délivré Arnaud Desplechin de son étiquette de réalisateur intello et branché, nombriliste et germanopratin. Étiquette injustement collée suite finalement à un seul film : COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉ… (1996), longue chronique (trois heures) des amours d’un universitaire parisien velléitaire et bavard. Ses autres films précédents, LA SENTINELLE (1992), ESTHER KAHN (2000) et LÉO EN JOUANT « DANS LA COMPAGNIE DES HOMMES » (2003) étaient certes exigeants et complexes mais nullement parisiens ni autocentrés. Toujours est-il que ROIS ET REINE, avec ses variations vertigineuses et finalement bouleversantes sur l’amour, l’engagement, la filiation (naturelle, choisie, inventée) et le deuil (d’un être cher, d’une histoire, d’une époque de sa vie), lui a ouvert l’esprit et le cœur d’un public beaucoup plus large et l’a imposé définitivement comme un cinéaste majeur. Dans l’oeuvre désormais riche de dix longs métrages de Desplechin, ROIS ET REINE pourrait s’inscrire dans une ligne qu’on appellerait Paris-Roubaix (sa ville d’origine), pas à proprement parler autobiographique mais nourrie de son histoire personnelle et familiale et des relations qui l’ont construit. Une ligne qui, en plus de COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉ… déjà cité, compterait également UN CONTE DE NOËL (2008) et TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE (2014). ROUBAIX, UNE LUMIÈRE (2019) est évidemment ancré lui aussi dans sa ville natale mais dans un tout autre registre. Mais cette tentative de classification fait long feu quand on songe à ce que peut avoir de personnel un film comme LES FANTÔMES D’ISMAËL (2017), dans lequel le « héros », cinéaste de son état et interprété par Amalric, l’alter plus ou moins ego de Desplechin, se nomme Ismaël Vuillard, tout comme dans ROIS ET REINES. Et Vuillard est également son patronyme dans UN CONTE DE NOËL mais avec le prénom d’Henri. Cette histoire de noms, c’est décidément tout un roman ! Ainsi le même Amalric se nomme Paul Dédalus (quel programme !) dans COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉ… et dans TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE. Et on remarquera pour finir que dans ROIS ET REINE, Ismaël suit une thérapie au long cours avec une psychanalyste, la Docteur Devereux ; or Georges Devereux, l’un des fondateurs de l’ethnopsychiatrie, deviendra, sous les traits de l’incontournable Amalric, le protagoniste principal de JIMMY P. (2013), aux côtés de l’Indien des plaines incarné par Benicio Del Toro. Pas de doute, Arnaud Desplechin a de la suite dans les idées !

 

Aujourd’hui : moon river…


 

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Lundi 5 avril

Hier, fin N° 89. Sous la pluie qui tombe dru, la divine Audrey Hepburn et le banalement mortel George Peppard. On ne peut pas s’empêcher de penser qu’il n’est pas assez bien pour elle. Gregory Peck dans VACANCES ROMAINES, OK. Humphrey Bogart dans SABRINA, pas de problème. Cary Grant dans CHARADE, super. Albert Finney dans VOYAGE À DEUX, ça le fait. Sean Connery dans LA ROSE ET LA FLÈCHE, c’est une évidence… mais George Peppard ! Acteur assez fade qui n’a marqué les esprits que dans un seul autre film, CELUI PAR QUI LE SCANDALE ARRIVE (1960) de Vincente Minnelli et qui a assuré ses vieux jours grâce à la série télé des années 1980 AGENCE TOUS RISQUES… Cela dit, il est plutôt bien dans le film, « Il a cette beauté molle qui sied à son rôle de séducteur veule », comme écrivait Edouard Waintrop (désormais délégué général du Fifib) dans Libération. En fait on voudrait être à la place du chat, c’est lui surtout qu’Audrey est heureuse de retrouver. Nous sommes donc dans les dernières secondes de BREAKFAST AT TIFFANY’S (1961) de Blake Edwards, trivialement titré en français DIAMANTS SUR CANAPÉ. Tiré d’un court roman de Truman Capote (pas encore star de la littérature, c’était avant « De sang froid » publié en 1965), le scénario raconte les tribulations tout à fait amorales d’une petite prostituée qui a fui sa campagne natale pour s’installer à New York et tenter d’y plumer le maximum d’hommes riches en leur cédant le minimum d’elle-même. Elle rencontre un écrivain en panne d’inspiration qui fait le gigolo pour subsister et qui va tomber éperdument amoureux d’elle… De ce sujet pas spécialement reluisant est pourtant né un film qui est le summum du charme et du glamour. La mise en route du projet a été chaotique et sans cesse contrariée, en premier lieu par l’opposition constante de Truman Capote, peu satisfait de l’adaptation qui selon lui édulcorait son roman et en désaccord total avec le choix de l’actrice principale, lui qui ne voyait que Marilyn Monroe pour incarner son héroïne. Mais Marylin préféra s’engager sur THE MISFITS de John Huston. Ça se défend… La production contacta ensuite Kim Novak, puis Shirley MacLaine – qui déclinèrent poliment – avant de penser enfin à Audrey Hepburn, déjà vedette incontestée, qui eut l’audace d’accepter aussitôt ce rôle de prostituée qui ne dit pas son nom, en franche rupture avec l’image d’innocence diaphane renvoyée par ses précédents succès. Et c’est elle, sur les conseils de son agent, qui demanda à la Paramount de remplacer le metteur en scène prévu, John Frankenheimer, par le débutant Blake Edwards, réalisateur au cours de ses cinq premières années de carrière de trois comédies avec Tony Curtis, dont une seule un peu remarquée : OPÉRATION JUPONS (1959), également interprétée par Cary Grant. Et voilà, rien de cette course d’obstacles n’apparaît à l’écran, tout n’y est que fluidité, élégance et décontraction. Puisqu’il est question d’élégance et de glamour, impossible de ne pas signaler que Miss Hepburn est habillée dans le film par Hubert Givenchy, rencontré à l’occasion de SABRINA (1954) de Billy Wilder et qui deviendra d’une part son ami et d’autre part son costumier pour tous ses films contemporains importants. Elle ne lui fera qu’une seule infidélité, mais de taille : dans VOYAGE À DEUX (1966) de Stanley Donen, elle porte, entre autres tenues, des créations signées… Paco Rabanne.

Aujourd’hui : rêve américain déçu.


 

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Mardi 6 avril

 

Hier, fin N° 90. Le garçon au dessous, c’est Jude Law. La fille au dessus, on la reconnaît avant tout à sa voix qui chante « The Story » : Norah Jones (fille de Ravi Shankar, qu’il me semble avoir brièvement cité dans une précédente notule) est bien plus chanteuse que comédienne. C’est d’ailleurs ici son seul film important : MY BLUEBERRY NIGHTS (2007) de Wong Kar Wai. Ce n’est pas la première fois que le cinéaste hongkongais quittait son territoire puisque HAPPY TOGETHER (1997 et quiz N° 5) avait été filmé en grande partie à Buenos Aires. Mais là il tournait intégralement en anglais, avec des acteurs anglo-saxons, troquant pour ainsi dire son Tony Leung fétiche pour Jude Law. On imaginait à l’époque que ce n’était que le début d’une grande aventure américaine pour Wong Kar-Wai, on lui prêtait même le projet d’un remake de LA DAME DE SHANGHAI (1947) d’Orson Welles, avec Nicole Kidman dans le rôle immortalisé par Rita Hayworth. Il n’en a rien été, Wong est rentré à Hong Kong et il a retrouvé Tony Leung pour son très beau THE GRANDMASTER en 2013. Les myrtilles du titre sont celles qui garnissent les tartes consolatrices que vient régulièrement déguster Elizabeth (Norah Jones) dans un bar new yorkais tenu par un affable serveur (Jude Law) à qui elle confie l’histoire de sa douloureuse rupture amoureuse. Ces longs moments partagés rapprochent ces deux solitaires, mais Elizabeth décide de reprendre sa vie à zéro, et part pour un long périple de près d’un an à travers les États Unis, pendant lequel elle travaillera à son tour comme serveuse, croisant de Memphis à Las Vegas des âmes aussi esseulées qu’elle, entre autres un flic alcoolique (impressionnant David Strathairn) bouleversé par le départ de sa femme, ou une joueuse invétérée (Natalie Portman) avec qui elle va tracer un bout de chemin… Wong Kar-wai fait de MY BLUEBERRY NIGHTS un faux road-movie, il filme une Amérique fantasmée, essentiellement à travers les ambiances des coffee-shops, des bars, y appose sa marque, joue sur les couleurs, les accélérations, les flous, et plus qu’un cheminement nous offre une nouvelle chorégraphie filmée avec moult figures de style: décadrages, ralentis, narration en voix off, musique d’IN THE MODD FOR LOVE reprise à l’harmonica… La musique originale du film a été composée par Ry Cooder, elle est moins inoubliable que celle qu’il avait créée pour PARIS, TEXAS (1984) de Wim Wenders. Curieusement, plus que la voix de Norah Jones, c’est celle d’une autre chanteuse qui hante le film : Cat Power et son magnifique « The Greatest » qu’on entend à plusieurs reprises. Il paraît même que Wong Kar-Wai la diffusait régulièrement sur le plateau pour mettre l’équipe, acteurs et techniciens, dans l’ambiance. Chan Marshall (c’est le vrai nom de la musicienne) joue même le petit rôle d’une ex-petite amie de Jude Law. Si vous ne connaissez pas Cat Power et « The Greatest », une petite vidéo : https://youtu.be/0KtrQ5nWl7w

 

L’extrait du jour : entre le Mexique et l’Arizona.


 

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Mercredi 7 avril

Hier, fin N° 91. Les trente dernières secondes d’un travelling avant nocturne de presque cinq minutes, filmé sans doute à bord d’une voiture sur une autoroute péri-urbaine en direction de Los Angeles. La voix off fragile, un peu éraillée, c’est celle de la réalisatrice, qui lit ce qui pourrait être le témoignage de la logeuse d’une immigrée mexicaine disparue du jour au lendemain. La réalisatrice, c’est Chantal Akerman, le film, c’est DE L’AUTRE CÔTÉ (2002). Un documentaire tourné entre le Mexique et l’Arizona, le long de la frontière de palissades et de barbelés qui protège les Etats-Unis des envahisseurs – ce n’est pas un mot en l’air : à un moment du film, on voit un panneau noir planté au milieu de nulle part, sur lequel un fier Arizonien de souche a écrit à la peinture blanche : « Stop à la vague du crime ! Nos propriétés et notre environnement sont en train d’être souillés par les envahisseurs. » Pendant des années, les Mexicains en quête d’un avenir moins désespérant sont passés par San Diego pour gagner les Etats-Unis. Mais dans le but de ralentir au maximum le flux des clandestins, le Service d’immigration américain a décidé de leur couper cette route « trop facile » et de les obliger à traverser les régions désertiques et montagneuses de l’Arizona. Les autorités pensaient que les conditions terribles du périple – la durée du trajet, les difficultés des voies de passage, la chaleur, le froid – les dissuaderaient de tenter l’aventure… Chantal Akerman et sa toute petite équipe sont allés à la rencontre de quelques uns de ceux, innombrables, qui ont essayé malgré tout, au péril de leur vie, bravant la traque incessante de la police des frontières, de passer de l’autre côté… DE L’AUTRE CÔTÉ est le dernier volet d’une trilogie documentaire commencée en 1993 avec D’EST, qui montrait le voyage de la réalisatrice en Europe de l’Est, et poursuivie avec SUD (1998), revenant sur l’histoire d’un jeune Noir lynché par trois Blancs dans le Sud des Etats-Unis.

Laissons la parole à Chantal Akerman : « A l’origine, le projet n’était pas lié à l’idée de frontière mais à un mot. J’avais lu un article sur les ranchers américains, qui chassent les clandestins avec des magnums et des lunettes de visée nocturne. Ils disaient que les Mexicains amenaient de la saleté. C’était le mot « dirt ». Tout de suite, j’ai pensé « dirty Jews », sale Juif, sale Arabe… Ensuite, je suis partie en repérage et j’ai découvert cette ville-frontière, Aguaprieta, qui, comme lieu de cinéma, me parlait vraiment. Finalement, dans le film, il reste très peu de choses sur les ranchers. J’en suis venu à me dire que la frontière était beaucoup plus importante que cette histoire atroce… » « Lorsque je fais des films comme D’EST, SUD et DE L’AUTRE CÔTÉ, j’essaie d’être très à l’écoute mais aussi assez vide, sans a priori, surtout pas au-dessus du film, de la situation. Je ne sais pas ce que je veux dire. Ce qui pose d’ailleurs des problèmes en amont, lorsque j’écris des textes pour obtenir de l’argent. Mais je ne veux pas être un oiseau qui pose ses serres sur le sujet, si sujet il y a. C’est davantage une pulsion dans une direction qui, au fond, à toujours à voir avec la même chose. D’EST rappelait certaines images de la guerre. Dans SUD, il y avait l’autre, celui qui se fait lyncher. DE L’AUTRE CÔTÉ est à nouveau sur l’autre, que l’on croit « sale ». S’il y a eu les camps, c’est quand même pour exterminer la vermine qui risquait de salir le peuple allemand. »

Si vous voulez écouter Chantal Akerman parler de son film en 2002, un lien vers l’émission de France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/extrait-premiere-edition-chantal-akerman-pour-de-lautre-cote
Et si voulez voir DE L’AUTRE CÔTÉ en entier, un lien vers le site d’Arte :
https://www.arte.tv/fr/videos/025419-000-A/de-l-autre-cote/

Aujourd’hui : un poids-lourd dans les Yvelines.


 

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Jeudi 8 avril

Hier, fin N° 92. Comme dans le film de la veille, c’est la voix ce la réalisatrice que l’on entend. Une voix reconnaissable entre mille, un phrasé repérable entre dix mille. C’est Marguerite Duras qui dit même le titre du film : LE CAMION (1977). Au tout début c’est d’abord un beau camion bleu et sa semi-remorque, un Saviem (sous-marque de Renault) garé sur la place d’un village. On le retrouve, toujours à l’arrêt, dans une zone péri-urbaine. Il se met à rouler, on note qu’il est immatriculé 1004 W 92. Il fait le tour d’un rond-point et prend la route. Se fait alors entendre la voix de MD : « Ç’aurait été une route, au bord de la mer. Elle aurait traversé un grand plateau, nu. Et puis un camion serait arrivé, et il serait passé lentement, à travers le paysage. Il y a un ciel blanc d’hiver, une brume aussi, très légère, répandue partout, sur les terres, sur la terre. » À la place de chaque virgule, imaginez un temps, une pause. Lorsque la voix se tait s’élève la musique, du piano, une des « Variations Diabelli » de Beethoven. Puis on arrive au centre du dispositif du film : la nuit, dans une pièce chichement éclairée, une femme et un homme sont assis à une table. La femme, MD, raconte à l’homme, GD (Gérard Depardieu) ce qui pourrait être le scénario d’un film, l’histoire d’une femme qui fait du stop et qui monte dans un camion. Et la femme parle au chauffeur qui ne l’écoute pas. Pas une seule fois on ne voit la femme dans le camion. On voit seulement des images du camion qui roule à travers divers paysages. Et on entend des voix off qui indiquent que la femme parle au camionneur. À propos des thèmes abordés dans LE CAMION, à bord du camion, Marguerite Duras dit, dans un entretien avec Michelle Porte (réalisatrice, en plus de documentaires sur l’écrivaine, d’un film de fiction adapté du roman éponyme de Duras : L’APRÈS-MIDI DE MONSIEUR ANDESMAS (2004), avec un magnifique Michel Bouquet) : « Je peux passer de la politique à la Beauce, de la Beauce au voyage de la dame, de la dame aux marchandises transportées, à la solitude, à l’écriture, aux maisons qu’elle a habitées. » Marguerite Duras est évidemment connue avant tout comme écrivaine de romans, de pièce de théâtre, d’essais… mais le cinéma tient une place importante dans son oeuvre puisque, après avoir été d’abord scénariste (HIROSHIMA MON AMOUR (1959) d’Alain Resnais, MODERATO CANTABILE (1960) de Peter Brook, UNE AUSSI LONGUE ABSENCE (1961) d’Henri Colpi puis quelques autres…), elle a elle-même réalisé 13 longs métrages entre 1962 et 1984, de LA MUSICA à LES ENFANTS. Si plusieurs de ses films sont adaptés de ses romans ou pièces de théâtre, il y aura une adaptation en sens inverse : NATHALIE GRANGER (1972) fut d’abord film avant d’être texte littéraire. Signalons qu’une nouvelle adaptation filmée d’un texte de Duras devait sortir dans les salles en début d’année 2021 si l’existence du cinéma n’avait pas été interrompue suite à des circonstances indépendantes de notre volonté : SUZANNA ANDLER, réalisé par Benoît Jacquot, avec Charlotte Gainsbourg et Niels Schneider. Prochainement sur les écrans ?

Aujourd’hui : chercheurs dans la Monument Valley.


 

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Vendredi 9 avril

 

Hier, fin N° 93. Démonstration magnifique que le cinéma est bien l’art de l’espace et du cadrage. Il se trouve que la toute première scène du film est également cadrée à travers l’ouverture d’une porte, mais elle part du noir pour aller vers la lumière ; ici c’est l’inverse, la couleur et la lumière se fondent au noir. John Wayne laisse entrer les membres d’une famille dont il ne fera jamais partie puis tourne le dos et s’en va, sans doute définitivement seul, sur les dernières note de « Ride away » (Va chevaucher au loin), la chanson leitmotiv du film, composée par Max Steiner, écrite par Stan Jones et chantée, ça ne s’invente pas, par The Sons of the pioneers. C’est LA PRISONNIÈRE DU DÉSERT (1956) de John Ford, que tous ses fans (et il sont nombreux à penser que c’est un des plus beaux westerns de l’histoire du cinéma) ne désignent que par son titre original : THE SEARCHERS. À partir de là, cette notule va se placer sous le signe de Bertrand Tavernier, qui n’a décidément pas fini de nous manquer. Et s’y placer tout naturellement puisque cette photo, à travers l’encadrement de la porte, de John Wayne s’éloignant de dos vers son destin de poor lonesome cowboy figure en couverture de la dernière édition en date (1995, chez Omnibus) de « 50 ans de cinéma américain », l’incontournable ouvrage signé Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier – dont je peux me vanter de posséder un exemplaire dédicacé par icelui lors de sa première visite à Utopia Bordeaux en 2001. Voici ce qu’écrit Tavernier de THE SEARCHERS : « L’histoire d’une obsession. Un vétéran de la guerre de Sécession passe dix ans de sa vie à la recherche d’une petite fille enlevée par des Indiens. Un des films les plus riches, les plus complexes et les plus sombres de John Ford, qui le décrivait comme « la tragédie d’un solitaire ». Superbe photo (couleurs et Vistavision) de Winton C. Hoch. Ecrit par Frank S. Nugent d’après un roman d’Alan Le May. Le film aura une immense influence sur les cinéastes cinéphiles américains qui comment à tourner dans les années soixante-dix. » Et plus loin, sur John Ford : « Les modes passent, les cinéastes sont oubliés, les gloires éphémères se ternissent vite et John Ford reste. Le vieux Sean (NDLR : John Ford est né en Irlande sous l’identité de Sean Aloysius O’Feeney), cela est sûr maintenant, enterrera tout le monde. On peut le bouder un instant pour aller découvrir d’autres horizons, d’autres styles, quand on revient il n’a pas pris une ride supplémentaire et, après dix plans, il faut se rendre à l’évidence : il les domine tous. Tout d’abord parce qu’il est l’un des seuls cinéastes à avoir bâti une œuvre à la mesure de l’Amérique. La vaste saga que forment ses films ressemblent à un miroir où se réfléchit ce pays passionnant et contradictoire, immense surtout… » Tavernier précise que le scénario du film est adapté du roman d’Alan Le May, édité en France par les Editions du Rocher puis par les Editions Télémaque. Il est je crois épuisé en librairie, trouvable sur internet mais pas évident si on veut éviter Amazon. Il faut savoir que l’infatigable Tavernier avait créé en 2013 chez Actes Sud une collection de romans western, intitulée « L’Ouest, le vrai ». Vingt volumes ont ainsi été publiés, dont un autre roman d’Alan Le May, « Le Vent de la plaine », également adapté au cinéma en 1960, sous le même titre, par John Huston, avec Audrey Hepburn et Burt Lancaster. Et puisque j’en suis venu aux romans western, je ne peux pas ne pas signaler la disparition, le même jour que Bertrand Tavernier, maudit soit à jamais le 25 mars 2021, d’un exceptionnel romancier de l’ouest américain : Larry McMurtry. Tous ses bouquins sont publiés chez Galmeister, précipitez vous sur sa saga « Lonesome Dove », c’est absolument exaltant et magnifique. McMurtry était lié au cinéma puisque plusieurs de ses romans ont été adaptés au cinéma, dont « La Dernière séance – The Last picture show » en 1971par Peter Bogdanovich (occasion d’une mémorable rencontre à Utopia avec Jean-Baptiste Thoret), et qu’il fut le scénariste oscarisé de LE SECRET DE BROKEBACK MOUNTAIN (2005) d’Ang Lee.

 

Aujourd’hui : reines d’un Tour…


 

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Samedi 10 avril

 

Hier, fin N° 94. Aucune hésitation, aucun doute : l’ambiance, le trait, l’harmonie des couleurs, l’extraordinaire soin apporté aux détails, et la voix du regretté Michel Robin : « c’est fini, mémé. ». LES TRIPLETTES DE BELLEVILLE (2003) écrit et réalisé par Sylvain Chomet. L’irrésistible histoire de Champion, un jeune garçon mélancolique et solitaire élevé par sa grand-mère, la craquante Madame Souza, vieille dame d’origine portugaise, qui refuse de laisser son pied bot gâcher son énergie et son amour de la vie. Madame Souza a très tôt remarqué la passion de son Champion pour le vélo. Alors elle lui fait suivre un entraînement acharné et c’est tout naturellement que le bien prénommé devient un as de la petite reine, à tel point qu’il se retrouve dans le peloton du célèbre Tour de France. Et c’est là que le mystère pointe son nez : pendant la course, Champion est enlevé par deux hommes en noir, sortis d’on ne sait où, envoyés par on ne sait qui. Madame Souza ne fait ni une, ni deux et part à la recherche de Champion, flanquée de son chien Bruno, au flair légendaire. Leur quête va les mener au-delà de l’Océan sans doute Atlantique, jusqu’à une ville immense nommée Belleville : oui, le même nom exactement que le vieux quartier de Paris que Madame Souza connaît si bien ! Entrent alors en scène les « Triplettes », qu’on attendait avec impatience puisqu’après tout elles donnent leur titre au film ! Ce sont d’excentriques stars du music-hall des années 30 qui décident de prendre Madame Souza sous leur aile et vont l’accompagner dans sa quête… Je me souviens des TRIPLETTES DE BELLEVILLE comme de la réussite exceptionnelle qui a amorcé le grand renouveau de l’animation française non prioritairement destinée aux enfants dans les années 2000. Sortie en juin 2003, la merveille de Sylvain Chomet avait été précédée, un an plus tôt, par CORTO MALTESE, LA COUR SECRÈTE DES ARCANES de Pascal Morelli, mais le film n’était pas du même niveau et avait eu un moindre retentissement. On peut dire que pendant cette décennie, LES TRIPLETTES n’a eu qu’un seul alter ego : le splendide PERSEPOLIS (2007) de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud. Les deux films ont d’ailleurs eu droit à la première page de notre gazette, pour nous ça veut tout dire. On avait découvert Sylvain Chomet avec son très beau court-métrage LA VIEILLE DAME ET LES PIGEONS (1997), qui déjà faisait vivre le Paris populaire des années cinquante-soixante, avec ses décors superbement fignolés, mais avec un côté plus noir et tirant vers le fantastique. Un lien pour le voir : https://youtu.be/MqhVcRrrauY On a déjà brièvement parlé, dans la notule consacrée aux VACANCES DE MONSIEUR HULOT, de son long métrage d’animation suivant, L’ILLUSIONNISTE (2010), bijou de délicatesse et de poésie concrétisant un scénario écrit mais jamais tourné par Jacques Tati, conservé dans ses archives sous le titre « Film Tati n°4 ». Est-ce à cause du relatif insuccès du film que Sylvain Chomet n’a pu mener à bien aucun projet d’animation depuis ? Il s’est essayé à la fiction en prises de vues réelles avec ATTILA MARCEL (2013), qui tentait de créer une ambiance picturale un peu décalée, mais le résultat ne fut pas très concluant. On espère son retour au dessin animé, à l’ancienne, il a un talent trop éclatant dans ce domaine pour qu’on se résigne à ne plus voir son travail.

 

Aujourd’hui : les mésaventures de Dom et Fiona.