Quiz des "trente dernières secondes" du n°51 au n°100

Ici sont archivées les publications du quiz des “trente dernières secondes” du n°51 au N°100

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Vendredi 26 février

 

Hier, fin N° 51. Saisissante. Tout comme l’est la séquence d’ouverture du film, qui montre la jungle s’enflammer sous les bombes au napalm, au son de « The End » des Doors. C’est APOCALYPSE NOW (1979) de Francis Ford Coppola. Qui restera comme l’un des deux chefs d’oeuvre inspirés au cinéma de fiction américain par la guerre du Vietnam, l’autre étant bien évidemment VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER (THE DEER HUNTER), réalisé l’année précédente par Michael Cimino. « En 1976, Coppola, réputation au zénith et compte en banque fourni – il a triomphé avec les deux premiers PARRAIN et obtenu une première Palme d’Or à Cannes avec THE CONVERSATION (1974) –, décide d’adapter le roman de Joseph Conrad Au coeur des ténèbres, en le transposant du Congo de 1901 au Vietnam de 1970… Dès l’origine, APOCALYPSE NOW s’est placé sous le signe de la démesure. Du scénario au tournage, dont les chiffres donnent le tournis, tout est dans l’emphase. Coppola est impérial au milieu de l’effervescence. Il croit que le monde est à lui alors que tout prouve le contraire. Le tournage a lieu aux Philippines, dont l’armée utilise le même matériel que celle des Etats Unis. Un jour, les hélicoptères désertent pour s’en aller mitrailler la guérilla anti-gouvernementale réfugiée dans la jungle ! Une autre fois, un typhon détruit les décors… De 12 millions de dollars, le budget passe à 30. La production devient un enfer dont les gazettes se régalent : Brando changé physiquement (il est devenu gros) et qui ne connaît pas son texte, Harvey Keitel renvoyé dans ses foyers et remplacé par Martin Sheen, lequel fête son arrivée par un infarctus au milieu d’une scène. Le tournage traîne, s’embourbe. « Apocalypse when ? », titrent les journaux. Après un an de jungle et des kilomètres de pellicule, le retour à Los Angeles est douloureux. Le prince est devenu mendiant. Le montage coûtera une fortune : la première version durait 6 heures ! « Apocalypse now n’était pas un film sur le Vietnam, c’était le Vietnam », déclarera Coppola. « Comme l’armée américaine, nous étions arrogants, nous avions trop de monde, trop de matériel, trop d’argent et, peu à peu, nous sommes devenus fous ». (Thierry Frémeaux, L’Express) APOCALYPSE NOW a remporté un énorme succès dans sa version initiale qui durait 2h33. Coppola était néanmoins frustré de ce premier montage qui avait sacrifié trop de matériel et proposa donc une version intégrale en 2001 sous le titre APOCALYPSE NOW REDUX, d’une durée de 3h23. Mais considérant que la version REDUX était trop longue, il mit au point en 2019 APOCALYPSE NOW FINAL CUT, ramené à 3h02, qui constitue pour lui « la version parfaite ». Jusqu’à la prochaine ? Aucun problème, on ne s’en lasse pas.

 

Aujourd’hui : ¡ No pasaran !


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Samedi 27 février

 

Hier, fin N° 52. Recueillement et émotion n’empêchent nullement le poing levé. Nous sommes devant l’un des films les plus emblématiques du cinéma de Ken Loach : LAND AND FREEDOM (1995). Pour la première fois, Loach quitte la Grande Bretagne – il venait de tourner trois de ses plus beaux films sur les Anglais d’en bas : RIFF-RAFF (1991), RAINING STONES (1993) et LADYBIRD (1994) – pour planter sa caméra dans l’Espagne de la Guerre civile. Il n’abandonne par pour autant les prolos qu’il a toujours filmés avec une tendresse et une attention uniques puisqu’il nous entraîne sur les pas de David, jeune, chômeur, idéaliste et généreux, qui décide de quitter Liverpool pour se joindre aux brigades internationales qui luttent en Espagne contre Franco et ses sbires. Sur le front, en Aragon, il va se battre aux côtés de Bernard (c’est Frédéric Pierrot, qui à l’époque ne devait même pas imaginer qu’il pourrait devenir célèbre grâce à un rôle de psy dans une série d’Arte…), Lawrence, Coogan et Bianca. Ils sont allemands, américains, français… venus des quatre coins du monde. Portés par l’Espoir, comme aurait dit Malraux, mais bientôt confrontés aux inévitables désillusions que charrient tous les combats, aussi beaux et grands soient-ils… Certains ont reproché à LAND AND FREEDOM de ne pas assez montrer les enjeux de lutte anti-franquiste et la complexité des stratégies politiques qui s’y côtoyaient, voire s’y affrontaient. Mais Loach ne cherche pas à faire œuvre d’historien ; comme dans tous ses films, il s’intéresse à des femmes et des hommes ordinaires qui font face, il filme un groupe humain dans toute sa richesse, dans ce qui le construit comme dans ce qui le détruit, il fait exister avec une vérité sidérante des caractères formidablement attachants. Le public français en tout cas (en particulier celui des salles Utopia – c’était avant Bordeaux) n’a pas fait la fine bouche et a fait un triomphe à ce film exaltant. LAND AND FREEDOM était en compétition au Festival de Cannes 1995 mais est reparti bredouille. Ce n’est qu’un nuage dans le ciel radieusement bleu des relations entre Ken Loach et Cannes puisque le cinéaste anglais fait partie du club très fermé des réalisateurs qui ont remporté deux Palmes d’Or : en 2006 pour LE VENT SE LÈVE et en 2016 pour MOI, DANIEL BLAKE. Il a par ailleurs glané trois Prix du Jury : en 1990 pour HIDDEN AGENDA, en 1993 pour RAINING STONES et en 2012 pour LA PART DES ANGES. Je ne sais pas si un autre réalisateur a fait mieux, on aura peut-être l’occasion d’y revenir…

 

Aujourd’hui : quinze années de luttes à travers le monde.


 

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Dimanche 28 février

 

Hier, fin N° 53. La force conjuguée des images et du commentaire ironique en voix off fait que ces trente dernières secondes vous marquent durablement. Ce sont celles de LE FOND DE L’AIR EST ROUGE (1977), très remarquable film documentaire réalisé et monté par Chris Marker, qui retrace en deux parties, « Les Mains fragiles » et « Les Mains coupées » l’émergence de la nouvelle gauche dans les années soixante et soixante-dix à travers une série d’événements historiques. De la guerre du Vietnam à la mort du Che, de Mai 68 au Printemps de Prague, du Watergate au coup d’Etat du Chili, le cinéaste dépeint les luttes idéologiques, les mouvements de protestation et de répression, les espoirs et les échecs d’une génération politique. Surtout, il critique de manière acide les Pouvoirs et écrit la synthèse désenchantée de nombreuses années de militantisme, sans prétendre aucunement à l’exhaustivité et revendiquant à chaque minute la subjectivité de son essai. Contrairement au JOLI MAI (fin N° 36 de ce quiz), dont les prises de vue avaient été réalisées spécialement pour l’occasion, LE FOND DE L’AIR EST ROUGE est entièrement composé d’images d’archives (« Du bon usage des épluchures » disait avec humour Marker). Le déroulant avant le générique de fin le souligne d’ailleurs clairement : « Les véritables auteurs de ce film, bien que pour la plupart ils n’aient pas été consultés sur l’usage fait ici de leurs documents, sont les innombrables cameramen, preneurs de son, témoins et militants dont le travail s’oppose sans cesse à celui des Pouvoirs, qui nous voudraient sans mémoire. » L’art de Chris Marker, maître inégalé du montage, est de faire naître les correspondances et les contrepoints, les transitions logiques et les virages à angle droit, d’utiliser des motifs qui font lien. La scène de générique de début, extraordinaire, met ainsi en parallèle, en une symphonie de la résistance, des images de luttes, de violence, de poings qui se lèvent, et des extraits du CUIRASSÉ POTEMKINE (1926) d’Eisenstein. Plus tard, plusieurs minutes terribles sur la guerre au Vietnam seront immédiatement suivies par les paroles d’un syndicaliste de Besançon évoquant la naissance de sa conscience politique lors de la guerre d’Indochine. Et voilà que les combats de libération dans la jungle asiatique trouvent leur lien avec ceux des usines franc-comtoises qui développeront des initiatives autogestionnaires…

 

Aujourd’hui, tout autre chose : un conte de fée, cruel et sordide.


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Lundi 1er mars

Hier, fin N° 54. Willem Dafoe submergé par une foule de femmes sans visage dans l’épilogue en noir et blanc, énigmatique à souhait, de ANTICHRIST (2009) de Lars Von Trier. La musique, magnifique, est celle de l’aria « Lascia ch’io pianga – Laisse-moi pleurer » de Georg Friedrich Haendel, que Von Trier réutilisera d’ailleurs dans NYMPHOMANIAC (2014). C’est assez marrant de noter que Haendel lui-même a utilisé à trois reprises cet air composé en 1705, dans deux opéras et un oratorio. Des vertus séculaires du recyclage… Dès sa présentation en compétition au Festival de Cannes, ANTICHRIST a créé la controverse, taxé de provocation outrancière, de violence complaisante, de pornographie, de misogynie… Il faut dire qu’avec cette chronique d’un couple en pleine implosion après la perte d’un enfant, cherchant refuge dans un chalet perdu dans la forêt, baptisé « Eden », et ne trouvant qu’auto-destruction et naufrage dans la folie, Lars Von Trier n’y va pas de main morte, mais ce n’est pas vraiment une surprise, il n’a jamais prétendu être un cinéaste paisible et consensuel. Nombreuses réactions à l’époque exprimaient un certain effroi et ne voyaient pas comment le cinéaste pourrait aller plus loin dans la radicalité… elles ne savaient pas que suivraient, après la relative accalmie MELANCHOLIA (2011), les tempêtes NYMPHOMANIAC déjà cité et THE HOUSE THAT JACK BUILT (2018). À Cannes, ANTICHRIST a été récompensé par un prix d’interprétation décerné à Charlotte Gainsbourg. Pour le coup personne n’a trouvé à y redire, tant la comédienne livre une performance au-delà des qualificatifs. Lars Von Trier porte chance à ses comédiennes puisque Kirsten Dunst fut également primée pour MELANCHOLIA. À titre personnel, le cinéaste a été récompensé de la Palme d’Or pour ce qui est probablement son moins bon film : DANCER IN THE DARK en 2000, après avoir reçu le Prix du jury en 1991 pour EUROPA et le Grand Prix en 1996 pour le magnifique BREAKING THE WAVES. Pour l’heure Von Trier est privé de compétition cannoise depuis qu’il a été déclaré « persona non grata » en 2011 pour des propos provocateurs sur Hitler. THE HOUSE THAT JACK BUILT a été montré sur la Croisette en 2018 mais hors compétition.

Aujourd’hui : concerto pour harmonica.


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Mardi 2 mars

Hier, fin N° 55. Claudia Cardinale / Jill McBain donnant à boire aux cheminots, au son du thème qu’Ennio Morricone a composé pour son personnage, mélodie lyrique magnifiée par la voix de la soprano Edda Dell’Orso. C’est bien sûr IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L’OUEST (1968) de Sergio Leone. Cette fin donne raison à la comédienne, qui voyait dans son personnage d’ex-prostituée venue dans l’Ouest partager la vie d’un fermier et de ses enfants – sauvagement assassinés par Henry Fonda et ses sbires avant même qu’elle arrive – la figure centrale du film. Et il faut noter qu’en même temps que le personnage féminin, c’est la foule des travailleurs ordinaires que ce final met en valeur : mort Henry Fonda, le salopard qui en valait douze à lui tout seul, mort Gabriele Ferzetti, l’homme d’affaires infirme rattrapé par la cupidité inhérente au capitalisme naissant, mort Jason Robards, le bandit de grands chemins à l’ancienne donc dépassé, disparu à l’horizon Charles Bronson, le vengeur à l’harmonica condamné à vivre seul, à jamais… Oubliés les héros et anti-héros, place aux ouvriers qui construisent la ligne de chemin de fer, qui bâtissent l’avenir du pays. On remarquera également que le style et la tonalité de cette séquence finale en font l’exact opposé de la scène d’ouverture du film, dix minutes muettes, sans musique, étirant jusqu’au vertige le peu de temps qui reste à vivre aux trois chasseurs de prime qui attendent Harmonica et son colt sur le quai d’une gare perdue dans le désert. IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L’OUEST est le western ultime de Sergio Leone, sa réussite la plus achevée dans le genre – IL ÉTAIT UNE FOIS LA RÉVOLUTION (1971), bien que très réjouissant et offrant moult morceaux de bravoure, n’aura pas la même ampleur. Et pourtant, lorsque la sortie triomphale aux Etats-Unis de la « Trilogie du dollar » lui ouvre les portes des studios hollywoodiens, le cinéaste italien souhaite changer de registre et mettre en chantier l’adaptation de « The Hoods », roman autobiographique sur la période de la prohibition, écrit par un ex-truand. Mais la Paramount ne l’entend pas de cette oreille : Leone aura carte blanche et gros budget pour tourner d’abord un western, puisque c’est de ce genre qu’il est le maestro. Pour le film de gangsters, on verra plus tard. La major a eu raison puisque de cette commande est né un chef d’oeuvre – co-écrit faut-il le rappeler par Dario Argento et Bernardo Bertolucci – qui sera aussi le plus gros succès public de Leone. Lequel devra attendre bien des années et affronter bien des obstacles pour réaliser enfin son adaptation de « The Hoods ». Ce sera IL ÉTAIT UNE FOIS EN AMÉRIQUE (1984), son second chef d’oeuvre et son dernier film.

L’extrait du jour et son indice : « moi je m’balance… »


 

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Mercredi 3 mars

Hier, fin N° 56. Bernadette Lafont envoie dans les ronces ses chaussures à talon et prend la route de la liberté, jetant un premier coup d’oeil qu’on devine énervé au panneau d’avertissement aux nomades qui dit bien l’état d’esprit du bled qu’elle quitte, puis un deuxième qu’on imagine curieux à l’affichette qui donne le titre du film du jour : LA FIANCÉE DU PIRATE (1969) de Nelly Kaplan. La musique est la version instrumentale tendance bastringue de la chanson de Barbara indissolublement attachée au film, « Moi je m’balance », écrite et composée par Georges Moustaki : « Moi, je m’balance, je m’offre à tous les vents, sans réticence / Moi je m’balance, je m’offre à qui me prend, le cœur indifférent… / Moi, je m’balance, au soleil de minuit, de mes nuits blanches / Moi, je m’balance, chacun sera servi, mais c’est moi qui choisis… » Les paroles de Moustaki donnent bien le ton joyeusement libertaire de cette comédie sardonique et incendiaire qui fustige l’hypocrisie et la médiocrité d’une petite humanité dominée par les mâles. Comme le résume Nelly Kaplan elle-même, c’est « l’histoire d’une sorcière des temps modernes qui n’est pas brûlée par les inquisiteurs, car c’est elle qui les brûle. » La sorcière, c’est l’irrésistible, l’irréductible Bernadette Lafont, égérie de la Nouvelle Vague révélée une douzaine d’années plus tôt par Truffaut dans son court métrage mythique LES MISTONS puis par Chabrol dans LE BEAU SERGE, qui trouve là l’un des rôles de sa vie symbole de l’émancipation radicale des femmes. Elle jouera un personnage approchant quelques années plus tard dans UNE BELLE FILLE COMME MOI (1972), son seul long métrage avec Truffaut. Née en Argentine de parents juifs russes, venue en France à l’âge de 22 ans, Nelly Kaplan était un drôle d’oiseau migrateur, libre comme l’air, qui avait débuté dans le cinéma aux côté du réalisateur Abel Gance, avec qui elle collabora pendant une dizaine d’années. Proche des surréalistes, tout particulièrement d’André Breton, elle écrivit des livres érotiques épinglés par la censure, puis réalisa plusieurs courts métrages avant de lancer ce coup d’éclat dans la mare que fut LA FIANCÉE DU PIRATE, qui n’échappa pas lui non plus aux ciseaux d’Anastasie puisqu’il fut à sa sortie interdit aux moins de 18 ans pour cause de « sujet considéré comme libertin ». Tu parles, Charles ! Nelly Kaplan réalisa ensuite quelques films (PAPA, LES PETITS BATEAUX en 1971, NÉA en 1976…) passés un peu inaperçus. Pas sûr que ça l’ait beaucoup affectée. Passionnée par le dessin, elle tourna des documentaires sur des maîtres de la peinture. Elle continua à aimer la poésie et publia plusieurs livres dont une autobiographie en 2016 : « Entrez, c’est ouvert ! » aux éditions L’Âge d’homme. Elle a été emportée à 89 ans par une vague de la Covid, en novembre 2020.

Aujourd’hui : la première nuit d’amour du cinéma français.


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Jeudi 4 mars

Hier, fin N° 57. La musique pas vraiment guillerette de Johannes Brahms accompagne Jeanne Moreau et Jean-Louis Bory qui s’en vont en 2 CV sur une route de campagne. C’est LES AMANTS (1958) de Louis Malle. Son troisième film après son documentaire sur le commandant Cousteau, LE MONDE DU SILENCE (1956), absolument inregardable aujourd’hui (je le sais, j’ai essayé) et sa première fiction très remarquée, ASCENSEUR POUR L’ÉCHAFAUD (1957). Déjà interprétée par Jeanne Moreau, avec qui le réalisateur vécut une grande histoire d’amour, qui se terminait au moment du tournage des AMANTS – pas exclu que cette passion finissante ait influé sur l’ambiance du film, sa vision douloureuse de l’amour. La populaire bien que décapotable Deudeuche est le symbole du chemin parcouru par Jeanne (c’est aussi le prénom du personnage du film) qui, au début du récit, circule plutôt en limousine de luxe. Mariée à un directeur de journal qui la considère comme un accessoire divinement décoratif, elle s’ennuie à mourir dans sa demeure hautement bourgeoise de Dijon, s’offre à Paris une liaison sans désir avec un joueur de polo avantageusement séduisant et s’ennuie de plus belle – Louis Malle règle ses comptes avec ses origines bourgeoises : le petit monde qu’il décrit est débectant à souhait – jusqu’à ce qu’elle rencontre par hasard un jeune archéologue naïf, romantique, et client fidèle de Citroën, donc. Elle découvre l’amour, le plaisir et la soif de liberté. On a un peu de mal à imaginer aujourd’hui le scandale que causa ce film très librement inspiré d’un bref conte libertin du 18ème siècle, « Point de lendemain » de Dominique Vivant Denon. Mais la bonne société de l’époque, vivement aiguillonnée par les ligues catholiques, clama bien fort sa réprobation horrifiée devant un film qui montre une femme mariée, et plus encore UNE MÈRE, prendre du plaisir dans l’adultère et, pire que tout, décider de quitter mari et enfant pour vivre sa vie, comme dirait JLG. Sans doute à son corps défendant, Louis Malle (1932-1995) réalisa par la suite plusieurs films qui suscitèrent de vives controverses dans la mesure où ils mettaient en scène, sans jugement, des sujets et des personnages casse-gueule : LE SOUFFLE AU COEUR (1971), qui raconte un inceste entre une mère et son fils adolescent (la famille est domiciliée à Dijon, décidément…), LACOMBE LUCIEN (1974), portrait d’un jeune type, pendant l’occupation, qui devient un collabo ordinaire autant par hasard que par dépit d’avoir été refusé par la Résistance et qui éprouve une attirance pour la fille d’un tailleur juif, ou encore LA PETITE / PRETTY BABY (1978), récit d’un amour fort entre un photographe et une très jeune prostituée, pensionnaire d’un bordel de la Nouvelle-Orléans.

Aujourd’hui : âmes errantes à Hong Kong


 

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Vendredi 5 mars

Hier, fin N° 58. Où l’on retrouve l’ambiance si particulière des films de Wong Kar Wai, en tout cas ceux de la première partie de sa carrière. Il s’agit ici de LES ANGES DÉCHUS (1996) qui, dans sa filmographie, se situe entre les deux films précédemment évoqués dans ce quiz : CHUNKING EXPRESS (1995) et HAPPY TOGETHER (1997). À l’époque Wong Kar Wai tournait comme il respirait, ce n’est malheureusement plus le cas aujourd’hui : comme on s’en lamentait déjà dans la notule sur HAPPY TOGETHER, aucune nouvelle depuis 2013 et THE GRANDMASTER… Pas de surprise, LES ANGES DÉCHUS s’achève au son d’une chanson pop anglo-saxonne, en l’occurrence la version a cappella de « Only you », tube sans lendemain (1983) du groupe vocal anglais The Flying Pickets – pour rendre à César ce qui lui appartient, il convient de préciser que le titre avait été créé l’année précédente par le groupe new-wave Yazoo, avec une instrumentation très électro. Un tueur à gages en a assez du tuer. Une femme lui sert d’agent et rêve qu’il tombe amoureux d’elle. Une jeune femme veut se venger d’un amour déçu. Une autre rêve du grand amour. Un garçon muet déambule dans les rues. Les anges déchus sont romantiques, insomniaques et survoltés. On les croise à Hong-Kong, la nuit… La parole à Wong Kar Wai : « On a filmé de nuit, ce qui est préférable à Hong-Kong car la ville est bien trop agitée de jour pour pouvoir y tourner. C’est pour cela que les habitants de Hong-Kong trouve que, dans mes films, la ville est étrangement calme. On a tourné sans la moindre autorisation, ce qui précipite le rythme du tournage et ajoute à la pression. J’aime bien ça… » Wong Kar Wai pousse plus loin encore que dans ses films précédents sa recherche visuelle et graphique, joue avec le temps : mouvements décomposés, accélérés ou ralentis, objectif grand angle, déformations, montage abrupt. L’ambiance est claustrophobe, oppressante. On sortait joyeux de CHUNKING EXPRESS, ici c’est la mélancolie qui nous tient compagnie, c’est bien aussi.

Aujourd’hui : écouter une ville.


 

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Samedi 6 mars

Hier, fin N° 59. On reconnaît, en même temps que les acteurs, Rudiger Vogler et Patrick Bauchau, le tramway brinquebalant de Lisbonne, qui serpente, monte et descend au gré de la topographie aventureuse des rues de la capitale portugaise. C’est LISBONNE STORY (1994) de Wim Wenders, mis en musique par le groupe Madredeus. On en parlait dans la notule consacrée aux AILES DU DÉSIR comme de la dernière réussite en date parmi les fictions du cinéaste allemand. Et de fait, a près deux films très ambitieux, un brin enflés, et pour tout dire pas vraiment convaincants (JUSQU’AU BOUT DU MONDE en 1991 et SI LOIN SI PROCHE en 1993), Wenders redescendait sur terre, jouait la modestie, la simplicité et nous offrait un film qui nous rappelait délicieusement ses premiers, ceux que nous avons tant aimés… Quelques anti-héros pas mal seuls, un peu à côté de leurs pompes et donc très attachants, et Lisbonne, ville fascinante, ville blanche comme disait Alain Tanner, ville extraordinairement cinégénique, invitation permanente à la balade erratique, à la flânerie curieuse, aux rencontres de hasard… Et voilà, avec ces trois bouts de chandelle à la flamme bien vivace, Wenders retrouvait son style et nous donnait un film chaleureux, divertissant, drôle aussi, parsemé d’un humour quasi-burlesque qu’on ne lui connaissait guère. LISBONNE STORY marquait pour Wenders les retrouvailles avec l’un de ses acteurs fétiches, Rudiger Vogler, présent dans LA LETTRE ÉCARLATE (1972) et surtout premier rôle dans les trois films qui avaient fait entrer le cinéaste allemand dans la cour des grands : les merveilleux ALICE DANS LES VILLES (1974), FAUX MOUVEMENT (1975) et AU FIL DU TEMPS (1976). Parick Bauchau, lui, était au centre de L’ÉTAT DES CHOSES (1981), premier tournage de Wenders au Portugal.

Aujourd’hui : éloge du mouvement à Portland.


 

 

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Dimanche 7 mars

Hier, fin N° 60. Des cinéastes qui savent filmer avec grâce les skaters sachant skater avec grâce, on n’en connaît deux : Gus Van Sant et Larry Clark. À vrai dire, non, on en a découvert un troisième récemment : Jonah Hill et son 90’S (2019). En tout cas il n’y en a qu’un qui est de Portland, Oregon (indice d’Aurore), c’est Gus Van Sant. Et ces trente dernières secondes sont celles de PARANOID PARK (2007). Curieusement, quand le film est sorti, après sa sélection au Festival de Cannes 2007, on l’a présenté comme étant le premier réalisé par Van Sant après sa « Trilogie de l’adolescence », censément constituée de GERRY (2002 mais sorti en France en 2004), ELEPHANT (2003, Palme d’Or à Cannes) et LAST DAYS (2005). Je dis curieusement, car PARANOÏD PARK est bien plus un film sur l’adolescence que ne le sont GERRY ou LAST DAYS, dont les héros sont déjà passés dans l’âge adulte. Si bien qu’on parle couramment maintenant d’une « Tétralogie de l’adolescence ». « Paranoid Park » est le nom que les jeunes donnent au skatepark qu’ils se sont construit illégalement sous un pont autoroutier aux confins de Portland. Un lieu hors du monde des adultes que fréquente assidûment Alex, ado secret, solitaire et membre de la confrérie des rêveurs sur roulettes. À peine le film commencé, Alex est convoqué par la police. On vient le chercher en plein cours pour l’interroger sur la mort d’un vigile survenue près du fameux skatepark. Que s’est-il passé cette nuit-là ? Alex cache-t-il quelque chose ? On a du mal à le déterminer, tant il s’obstine à taire ses sentiments, glissant sur sa vie comme il glisse sur sa planche. Gus Van Sant filme les jeunes corps le plus souvent en mouvement d’une caméra flottante, suspendant le temps en des ralentis planants : c’est Christopher Doyle, fidèle complice de Wong Kar Wai, qui dirige la photo du film. L’ambiance sonore tient un rôle essentiel dans la création de cette atmosphère enveloppante, Gus Van Sant mêle musique électroacoustique (Robert Normandeau, Frances White, Ethan Rose), musique classique (Beethoven avec des extraits de la Symphonie n°9), rap (Cool Nutz), mélodies nostalgiques de Nino Rota empruntées aux films de Federico Fellini JULIETTE DES ESPRITS et AMARCORD… Cela dit, j’ai été incapable de retrouver le titre et l’interprète du morceau qu’on entend sur ces images finales… Elle vont entraîner dans leur périple.

PS : on a retrouvé ! La chanson finale est signée un certain Cast King, artiste folk/country méconnu dont le label indépendant de Portland Mississippi Records a édité un album regroupant quelques uns des rares enregistrements qui existent de Cast King. Vous pouvez écouter « Outlaw », le titre choisi par Gus van Sant dans PARANOID PARK, en cliquand ici : https://www.youtube.com/watch?v=jb8uYv6MnvQ

Aujourd’hui : Mao et Lénine, deux filles argentines.


 

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Lundi 8 mars

 

Hier, fin N° 61. Il faut vraiment avoir vu le film pour que ces deux filles taillant la route à bord d’un bus, filmées en noir et blanc un peu charbonneux, nous disent quelque chose. Mao et Lénine, les deux filles argentines de l’indice d’Aurore, sont les héroïne aussi dérangeantes qu’attachantes de TAN DE REPENTE (2002) de Diego Lerman. Deux pétroleuses complices à la vie, à la mort, adeptes du système D qui avancent dans la vie au gré de leur fantaisie et de leur soif de découverte, n’hésitant pas, avec un culot d’enfer, à employer des moyens que la morale et surtout et la loi réprouvent… Elle vont entraîner dans leur périple une Marcia qui va taper grave dans l’oeil de Mao alors qu’elle est leur exact contraire, prise dans la routine et complexée par ses kilos en trop. Mao et Lénine vont braquer un chauffeur de taxi, lui faucher sa caisse, et kidnapper la dodue craintive pour l’emmener voir la mer. Car Marcia n’a jamais vu la mer. Une drôle d’équipée, dont l’itinéraire imprévisible bifurque à tout moment au gré des pannes d’essence, des rencontres, des occases… TAN DE REPENTE est le premier long métrage de Diego Lerman, tourné avec une énergie inversement proportionnelle au budget de production. Le film s’inscrit dans le mouvement foisonnant qui, au début des années 2000, a permis au cinéma argentin de connaître un véritable renouveau grâce à tout un groupe de cinéastes qui entamaient leur carrière : Pablo Trapero avec MUNDO GRUA (1999), Fabian Bielinsky avec NUEVA REINAS (2000), Lucrecia Martel avec LA CIENAGA (2001), Lisandro Alonso avec LA LIBERTAD (2001), ou encore Carlos Sorin avec HISTORIAS MINIMAS (2002). Après TAN DE REPENTE, Diego Lerman a réalisé quatre longs métrages, tous distribués en France : MIENTRAS TANTO (2006), L’OEIL INVISIBLE (2010), REFUGIADO (2014) et NOTRE ENFANT (2017). Il a aussi créé en 2014 une série pour une chaîne de télé argentine, LA CASA, qui, elle, est inédite en France.

 

L’extrait du jour et son indice du jour, en un mot : « silencio ! »


 

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Mardi 9 mars

 

Hier, fin N° 62. La fin d’un film sans fin. MULHOLLAND DRIVE (2001) de David Lynch. Ce qui devait être au départ l’épisode pilote d’une série dans la lignée de TWIN PEAKS est devenu un film à part entière et s’est imposé presque instantanément comme l’une des oeuvres mythiques des années 2000. Inépuisable source de fascination et d’interrogations. Comme on l’a évoqué rapidement dans une précédente notule, MULHOLLAND DRIVE occupe une place tout à fait particulière dans l’histoire d’Utopia Bordeaux : c’est le film qu’on a gardé le plus longtemps à l’affiche, plus d’un an, du 21 novembre 2001 au 23 décembre 2002 ! 57 semaines au fil desquelles est née une énigme que Lynch lui-même ne pouvait pas imaginer. Je raconte… Ce n’est pas arrivé tout de suite à la sortie du film, plutôt au bout de quelques mois, au moment où on a diminué la fréquence des séances, où on a commencé à le programmer seulement trois fois par semaine. C’est alors qu’on a remarqué un spectateur qu’on ne connaissait pas jusque là, qu’on n’a jamais vu à la caisse pour un autre film. Il venait voir exclusivement MULHOLLAND DRIVE et il était là quasiment à chaque séance. Un gars assez étrange, la quarantaine incertaine, toujours seul, toujours un sac de plastique à la main, des lunettes rafistolées. Si le mari de Margaret, la femme à la bûche de TWIN PEAKS n’était pas mort le soir même de leurs noces, ça aurait pu être lui… Pas bavard, limite revêche, comme concentré sur sa mission : acheter son ticket (tarif plein, toujours) pour MULHOLLAND DRIVE et voir le film, revoir le film, inlassablement. Je pense sincèrement ne pas exagérer en avançant qu’il l’a vu au moins quarante fois dans nos salles ! Dans l’équipe, on l’a très vite et très affectueusement baptisé Mulho Man. On aurait pu essayer d’engager la conversation et lui demander le pourquoi de ce qu’on ressentait comme une addiction à MULHOLLAND DRIVE… mais on n’a jamais trouvé le bon moment, on n’a jamais osé. Et puis est arrivé le 23 décembre 2002, MULHOLLAND DRIVE a fini par quitter l’affiche… et Mulho Man a disparu, on ne l’a jamais revu. Et on en a tiré conclusion qui s’imposait : pas de doute, c’était une preuve supplémentaire du pouvoir de MULHOLLAND DRIVE. Le film avait créé son propre spectateur, qui s’était effacé en même temps que lui.

 

Aujourd’hui : Monsieur Oscar dans sa limousine.


 

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Mercredi 10 mars

 

Hier, fin N° 63. Vol au-dessus d’un nid de limousines blanches qui parlent en clignotant ou qui clignotent en parlant, et prennent acte de la fin du cinéma : « les hommes ne veulent plus de moteur, ne veulent plus d’action. Amen » C’est HOLY MOTORS (2012) de Leos Carax. Son dernier film en date. Qui réussit à donner une dimension presque poétique à ces ridicules bagnoles de luxe longues comme un jour sans pain, signes extérieurs de richesse dérisoires à force d’ostentation. On se souvient des courts métrages d’animation corrosifs de Tex Avery qui mettaient le personnage du loup lubrique et imbécile au volant de ces véhicules interminablement vains et on rappellera qu’ils ont été utilisés plus récemment comme symbole de l’absurdité du capitalisme chez un autre cinéaste visionnaire et radical, David Cronenberg : toute l’action de COSMOPOLIS (2012) se déroulait à bord d’un de ces paquebots sur roue, qui servait de bureau à Robert Pattinson, lequel se transformait en chauffeur Uber d’un modèle approchant dans MAPS TO THE STARS (2014). Mais chez Cronenberg, les limousines sont noires, pas blanches. Il n’est pas exclu que le cinéaste canadien soit beaucoup moins romantique, beaucoup plus pessimiste que Leos Carax. La Lincoln (construite par Ford Motor Company) immaculée de HOLY MOTORS est conduite par Céline (la regrettée Edith Scob), aux petits soins pour son passager, Monsieur Oscar, personnage multiple, qui a d’abord l’allure d’un homme d’affaires, avant de changer dix fois d’identité et d’apparence pour honorer les rendez-vous notés sur son agenda. L’intérieur de la limousine ressemble à une loge où M. Oscar se change en fonction des rôles qu’il doit endosser : tueur à gages, mendiante, vieillard, père de famille, créature virtuelle… Monsieur Oscar, c’est évidemment Denis Lavant, complice indéfectible de Carax depuis BOY MEETS GIRL (1983), qui met son génie de comédien caméléon au service d’un film insaisissable, merveille de bizarrerie, d’humour noir et de mélancolie.

 

Aujourd’hui : un polar roumain aux Canaries.


 

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Jeudi 11 mars

 

Hier, fin N° 64. Le visage à l’eau forte de l’actrice Catrinel Marlon laisse place à un son et lumière high-tech et néanmoins ringard sur le rythme à trois temps d’une valse de Strauss… Strauss certes, mais lequel ? Pas Richard, Johann – l’opérette plutôt que l’opéra, le mousseux plutôt que le champagne. Et plus précisément Johann Strauss II dit fils ou le jeune : « Valse Tu et toi opus 367 ». Ce final pompier et dérisoire en dit long sur l’humour noir et décalé de ce film roumain : LES SIFFLEURS (2019), écrit et réalisé par Corneliu Porumboiu. Un polar ultra-stylisé, à la fois ludique et tragique, d’une légèreté profonde, qui suit le parcours un rien erratique de Cristi, policier corrompu de Bucarest venu sur l’île de La Gomera (le titre original du film), aux Canaries, d’une part pour suivre la sublime Gilda, sous l’emprise de laquelle il est définitivement tombé, et d’autre part pour apprendre à maîtriser la langue sifflée (d’où le titre français) utilisée par les mafieux comme langage codé pour échapper à la surveillance de la police… Une histoire improbable, dans laquelle les dés sont pipés, dans laquelle tous les protagonistes sont dupés, que Porumboiu mène avec maestria, jouant en virtuose avec les codes du polar. Corneliu Porumboiu, 45 ans, a été découvert en 2006 dès son premier long métrage, 12h08 À L’EST DE BUCAREST. Parmi ses films suivants, on retiendra particulièrement POLICIER, ADJECTIF (2009) et LE TRÉSOR (2015). Il est l’un des réalisateurs apparus dans la deuxième partie des années 2000 et qu’on regroupés sous le terme de « Nouvelle Vague roumaine », aux côtés de cinéastes tout aussi passionnants dont le plus célèbre est Cristian Mungiu avec 4 MOIS, 3 SEMAINES, 2 JOURS (2007, Palme d’Or à Cannes), AU-DELÀ DES COLLINES (2012) et BACCALAURÉAT (2016). On citera également Cristi Puiu (qui déclara pourtant : « Il n’y a pas de nouvelle vague roumaine, juste des réalisateurs désespérés ») avec LA MORT DE DANTE LAZARESCU (2005) ou SIERANEVADA (2016) ; Radu Muntean avec BOOGIE (2008), MARDI APRÈS NOËL (2010) ou L’ÉTAGE DU DESSOUS (2015 ; Adrian Sitaru avec PICNIC (2007), ILLÉGITIME (2016) ou FIXEUR (2016) ; ou encore Radu Jude avec LA FILLE LA PLUS HEUREUSE DU MONDE (2009), PAPA VIENT DIMANCHE (2013) ou AFERIM ! (2015). Il vient de remporter l’Ours d’Or du Festival de Berlin (si on peut appeler festival un truc qui s’est déroulé uniquement en ligne) avec son nouveau film BAD LUCK BANGING : on peut voir une première bande-annonce, les acteurs sont masqués, ça fait peur…

 

Aujourd’hui : ode à la débauche avant le Printemps.


 

 

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Vendredi 12 mars

 

Hier, fin N° 65. 30 dernières secondes aussi explosives que les 4530 qui les ont précédées (le film dure 1h16). C’est LES PETITES MARGUERITES (1966) de Vera Chytilova. Pour évoquer ce film tchèque, je ne saurais mieux faire que vous restituer ce qu’écrivait Bertrand Grimault, de l’association Monoquini, qui l’a programmé chez nous dans le cadre de son cycle « Désordre », sur les Échos de mai 68 au cinéma : « Célébré internationalement dès sa sortie comme un chef-d’œuvre subversif de la Nouvelle Vague tchèque qui a émergé dans la période de libéralisation aboutissant au Printemps de Prague, Les Petites marguerites se présente de prime abord comme un véritable feu d’artifice cinématographique combinant les effets visuels et sonores, les jeux de couleur, les compositions élaborées et un montage éclaté, où l’on détecte pêle-mêle l’influence de Godard, du cinéma expérimental américain et du Pop art. C’est un film dans la lignée burlesque de nombreuses productions du renouveau tchèque, imprégné ici d’un joyeux féminisme libertaire où les valeurs traditionnelles sont consciencieusement bousculées, sinon réduites en miettes par l’absurde. Vera Chytilova, unique femme au milieu de cette génération de jeunes cinéastes (Milos Forman, Juraj Herz, Jan Nemec, Ivan Passer, Jiri Menzel, Jaromil Jirès…) et en opposition formelle avec leur fidélité au cinéma-vérité, insuffle dans son second long métrage un anticonformisme virulent, malmenant un scénario déjà très délié, basé sur une surenchère galopante de mauvais sentiments. À tel point qu’on a autant qualifié de « pop » que de « punk » ce film résolument en prise, voire en avance, sur son temps. On conçoit que ce nihilisme dévergondé ait été fraichement accueilli par les autorités… Le dégel politique des années 60, tentative d’un « socialisme à visage humain » qui avait vu l’abolition de la censure, fut interrompu par l’invasion soviétique en août 1968 et par un régime de « normalisation » – dans le sens d’un retour aux normes totalitaires – qui durera deux décennies. Dans ce contexte, contrairement à la plupart de ses collègues qui choisirent l’exil, Chytilova (1929-2014) demeura en Tchécoslovaquie, rencontrant de grandes difficultés à poursuivre sa carrière après Les Fruits du paradis (1969), qui prolongeait les audaces expérimentales de son précédent film… »

 

Aujourd’hui : invasion hilarante de petits bonshommes verts.


 

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Samedi 13 mars

 

Hier, fin N° 66. Le grand balèze en jupette qui court vers ce qui reste de son immeuble pour retrouver femme et enfants, c’est Jim Brown. Joueur professionnel de football américain devenu acteur à la fin de sa carrière sportive, et propulsé vedette de la « blaxploitation », ce courant de la série B américaine des années 70 qui a contribué à la lutte pour les droits civiques en donnant enfin des rôles de premier plan aux acteurs afro-américains. Jim Brown a gagné ses galons dans le genre avec le diptyque des SLAUGHTER : pour reprendre les titres français, MASSACRE (1972) de Jack Starret et L’EXÉCUTEUR NOIR (1973) de Gordon Douglas. Et il se trouve que l’épouse qu’il brûle de rejoindre est interprétée par Pam Grier, star féminine number one de la même blaxploitation grâce à ses rôles dans COFFY, LA PANTHÈRE NOIRE DE HARLEM (1973) et FOXY BROWN (1974), tous deux réalisés par Jack Hill. Avant bien sûr d’être immortalisée par Quentin Tarantino dans JACKIE BROWN (1997). Quant au brun frisé qui s’apprête à ouvrir un refuge pour tous les animaux de la création, c’est le crooner gallois Tom Jones, visiblement heureux de pouvoir nous chanter sur le générique de fin « It’s not unusual » – son plus grand tube avec « She’s a lady » –, après avoir été interrompu en plein spectacle, plus tôt dans le film, par l’irruption des Martiens. Car oui, je bavarde, je bavarde et j’en oublie de vous dire que c’est la fin de MARS ATTACKS (1996) de Tim Burton. Une parodie iconoclaste en même temps qu’un hommage au cinéma américain de SF des années cinquante, qui voit une armada de très laids envahisseurs venus de la planète Mars fondre sur notre bonne vieille terre représentée comme souvent par les Etats-Unis d’Amérique. Les extra-terrestres sont ici incontestablement animés de mauvaises intentions et les terriens américains de leur côté sont à de très rares exceptions près d’une bêtise et d’une pusillanimité insondables. Heureusement, il y a encore quelques marginaux et autres rêveurs pour sauver la mise… MARS ATTACKS est réussi et réjouissant mais il est beaucoup moins personnel et bouleversant que les trois films précédents de Tim Burton, sans doute les plus beaux de sa carrière : EDWARD AUX MAINS D’ARGENT (1990), BATMAN, LE DÉFI (1992) et ED WOOD (1994). Le cinéaste ne retrouvera d’ailleurs jamais tout à fait ce niveau d’inspiration et attristera ses fans les plus fervents en entrant dans l’écurie mondialisée Disney au début des années 2010.

 

Aujourd’hui : un train movie de trois frères endeuillés.


 

 

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Dimanche 14 mars

 

Hier, fin N° 67. Quel réalisateur américain est-il assez francophile pour nous faire entendre « Les Champs Élysées » de Joe Dassin sur le générique de fin de son film ? Wes Anderson bien sûr, dont on attend avec de plus en plus d’impatience le dernier opus, THE FRENCH DISPATCH, entièrement tourné à… Angoulême. Ici, ce sont les trente dernières secondes de À BORD DU DARJEELING LIMITED (2007). De droite à gauche sur la banquette du train : Adrian Brody, Owen Wilson et Jason Schwartzman. Si le premier nommé est un nouveau venu dans l’univers d’Anderson, les deux autres sont les complices actifs de tout le début de sa carrière, sachant que THE DARJEELING LIMITED est le cinquième film du cinéaste après BOTTLE ROCKET (1996, inédit en France), RUSHMORE (1998), LA FAMILLE TENENBAUM (2001) et LA VIE AQUATIQUE (2003). Owen Wilson est présent comme acteur dans les quatre et il est par ailleurs co-scénariste des trois premiers. Jason Schwartzman, lui, tient le rôle principal de RUSHMORE et il a co-écrit THE DARJEELING LIMITED. Dans la famille Anderson rapprochée, il ne manque en quelque sorte que le père : Bill Murray bien sûr, présent dans RUSHMORE et LA FAMILLE TENENBAUM, indépassable Steve Sissou de LA VIE AQUATIQUE. Dans THE DARJEELING, il est présent aussi mais on ne le voit que dans la première séquence, juste le temps pour lui de… rater le train ! Comme s’il passait le témoin à la jeune génération d’acteurs… mais pour un temps seulement, il reviendra dès MOONRISE KINGDOM (2012). Les trois strangers on the indian train sont trois frangins qui se sont perdus de vue depuis la mort de leur père suivie du départ de leur mère pour une destination inconnue et qui se rejoignent au bout du monde pour entamer ce que Francis, l’aîné, appelle une « quête spirituelle », un voyage de retrouvailles et de recollage de pots cassés. Vous imaginez bien que le périple va être épique, et fantaisiste, et coloré, en un mot andersonien… qui nous laisse en bout de course ravi comme Shankar mais tenaillé par une interrogation lancinante : que se serait-il passé si Bill Murray avait réussi à monter dans le train ?

 

Aujourd’hui : tornade blonde rencontre ours solitaire.


 

 

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Lundi 15 mars

 

Hier, fin N° 68. Catherine Deneuve, radieuse comme jamais, se précipite dans les bras d’Yves Montand, qui a dû, tous comptes faits, se dire qu’il en avait marre de jouer les Robinson Crusoé sur son île caribéenne. C’est bien sûr LE SAUVAGE (1975) de Jean-Paul Rappeneau. Une fantaisie trépidante, intelligente et toujours savoureuse, digne des grandes comédies américaines signées Hawks ou Capra qui sont des références permanentes pour le cinéaste français. Le titre du film est d’ailleurs assez injuste car c’est bien la Deneuve qui est le moteur du film. Si ça se trouve, le Montand, qui ne perdait jamais une occasion de faire son macho et qui a râlé pendant tout le tournage parce qu’il craignait qu’on l’utilise comme « faire-valoir » de sa partenaire, a mis son veto à un titre du genre « La Tornade blonde » ou « L’Irrésistible emmerdeuse », plus conforme à la réalité du film. J’extrapole évidemment mais la mauvaise humeur de Montand sur le plateau est avérée, il semblerait qu’il n’ait pas tout à fait digéré le fait de ne pas être le premier choix des auteurs, qui avaient d’abord envisagé Elliot Gould (propulsé vedette par M.A.S.H.), Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, Lino Ventura… Montand bougonnait toujours en assurant la promotion au moment de la sortie : « C’est gentillet, un bon petit film de famille, on ne va pas en faire un fromage… » commenta-t-il au journal télévisé d’Yves Mourousi. L’accueil critique et le succès public le feront changer d’avis puisqu’il sera plus que partant pour le film suivant de Jean-Paul Rappeneau, TOUT FEU, TOUT FLAMME (1982). Inspiré à Rappeneau par un voyage au Brésil où il avait été frappé par le contraste entre la folie tonitruante de la métropole de São Paulo et le calme paradisiaque d’un ilot hors du temps situé à une encablure de son port, LE SAUVAGE est censé se dérouler à Caracas, capitale du Venezuela, et dans une île au large de ses côtes. Mais Rappeneau raconte que la plupart des scènes insulaires ont été tournées aux Bahamas, en calculant le cadre au centimètre pour ne avoir dans le champ les bateaux de plaisance ou les villas des touristes et en ajoutant des vues de jungle et de montagne prises au Venezuela. L’île vue du ciel quand Nelly y arrive en hydravion est l’une des îles Vierges au nord de Porto-Rico, et l’île vue de la mer quand Martin y arrive en bateau est celle de Port-Cros, au large d’Hyères. That’s entertainment !

 

Aujourd’hui : la femme des bois.


 

 

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Mardi 16 mars

 

Hier, fin N° 69. Serment amoureux d’une sobriété définitive et bouleversante. La révélation Jean Louis Coulloc’h (qu’on n’a malheureusement guère revu au cinéma depuis) et Marina Hands sublime dans le rôle de sa vie. C’est LADY CHATTERLEY (2006) de Pascale Ferran. Adaptation du roman de David Herbert Lawrence (1885-1930) qui est, pour la réalisatrice, « la plus belle histoire d’amour du monde ». Pascale Ferran réussit un magnifique film sur l’éveil, celui des corps, celui des cœurs et sur le caractère subversif de l’amour, un film immense où la libération des sens va de pair avec la libération des esprits, où la prise de conscience de soi-même induit la prise de conscience du monde. L’amour passionné qui va naître entre Constance Chatterley, épouse d’un Lord revenu diminué de la Grande Guerre, et le garde-chasse Parkin, l’homme des bois, sera pour la jeune femme une révolution aussi bien intime que politique, un bouleversement de son corps en même temps que de sa vision de la société anglaise puritaine et de son système pyramidal de classes. C’est en fait la deuxième version du roman de Lawrence que Pascale Ferran, Roger Bohbot et Pierre Trividic ont adapté à l’écran. Car l’écrivain anglais a raconté trois fois en l’espace de deux ans l’histoire de Lady Chatterley. La première version, « Constance Chatterley » (The First Lady Chatterley), a été écrite en 1926. « Lady Chatterley et l’homme des bois » (John Thomas and Lady Jane), la deuxième version, qui a donc servi de base au film, a été écrite en 1927. Et la troisième version, la plus célèbre, « L’Amant de Lady Chatterley » (Lady Chatterley’s lover), a été publiée à compte d’auteur en Italie en 1928 et seulement en 1960 en Angleterre, ce qui valut à son éditeur, Penguin Books, un procès retentissant pour obscénité : les bien pensants jugeaient les scènes de sexe trop explicites et scandaleuse la différence de classe sociale entre les deux amants. Le verdict fut heureusement favorable à l’éditeur… Pour continuer sur ce chapitre des différentes versions, le film de Pascal Ferran fit lui-même l’objet d’une déclinaison longue, reprenant le titre complet du roman, LADY CHATTERLEY ET L’HOMME DES BOIS, diffusée sur Arte en deux parties pour une durée totale de 3h40, soit une heure de plus que la version cinéma. On signalera aussi que le roman de D.H. Lawrence, dans sa troisième version, a été adapté en 1955 par Marc Allégret, avec Danielle Darrieux en vedette. Et pour finir, on s’en voudrait de ne pas citer les productions ouvertement érotiques inspirées par le roman ou plutôt par l’image sulfureuse qu’il trimballe : LA JEUNE LADY CHATTERLEY également titré LES AMANTS DE LADY CHATTERLEY (1977) de l’américain Alan Roberts, qui récidivera en 1986 avec une autre version plus sobrement intitulée LADY CHATTERLEY ; un improbable film japonais daté de la même année, VOLUPTEUSE LADY CHATTERLEY de Katsuhiko Fujii ; L’AMANT DE LADY CHATTERLEY (1981) de Just Jaeckin avec Sylvia Kristel (le duo d’EMMANUELLE) ; et deux séries B italiennes datées de 1989 : de nouveau L’AMANT DE LADY CHATTERLEY de Frank De Niro (un cousin resté en Italie ?) et L’HISTOIRE DE LADY CHATTERLEY de Lorenzo Onorati.

 

Aujourd’hui : idylle de l’après-Mai 68.


 

 

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Mercredi 17 mars

Hier, fin N° 70. Sur l’image en format 1 x 1,37, souvent utilisé par le réalisateur, le blanc s’efface, c’est le noir qui l’emporte et absorbe les visages de Clotilde Hesme et Louis Garrel. Le romantisme a cédé le pas au désespoir. Et à la mort, même. C’est LES AMANTS RÉGULIERS (2005) de Philippe Garrel. « C’est une nuit de Mai 68, dans Paris. François Dervieux a 20 ans, il est poète. Il marche parmi les manifestants, participe aux barricades, regarde les CRS dans le blanc des yeux. Sur le toit d’un immeuble où il s’est réfugié, il rêve à 1789, à 1848, il se demande s’il doit préférer le romantisme à l’anarchie, l’anarchie à la mort, et la mort au réalisme. LES AMANTS RÉGULIERS est un film-fleuve en deux chapitres, et scindé en plusieurs poèmes : les espérances du feu, les espoirs fusillés, les éclats d’amertume, le sommeil des justes. Avec d’un côté un film barricade (tableaux de Mai, filmé comme l’avènement d’une fête apeurée, noyée sous un brouillard de lacrymo), et à sa suite un film barricadé, suivant le repli des insoumis, de ceux qui ne voulaient plus de cette vie, choisissant de vivre libre, en autarcie, dans une une maison dans les bois en bord de monde, pleine de garçons, de filles et d’opium. Là, François va rencontrer une fille, Lilie, à moins que ce ne soit un ange. Ils s’aimeront (« nos mains, elles sont pareilles »)… et advienne que pourra… » (Gilles Verdiani, Le Nouvel observateur) LES AMANTS RÉGULIERS est un des sommets de la carrière de Philippe Garrel, débutée au milieu des années 1960 et qui se poursuit encore aujourd’hui. C’était la première fois qu’il tournait avec son fils Louis, qui avait quasiment l’âge du personnage. Le réalisateur avait lui-même 20 ans en mai 68 mais il a tenu à dire que la part de l’autobiographie dans le film « … n’est pas si grande qu’on pourrait le penser. Bien sûr, j’ai vécu cette course sur les toits de Paris pour échapper à la police, cette guerre civile. Mais le film est très romancé et s’inspire plutôt de la littérature et en particulier de Stendhal avec « Le Rouge et le noir » et « La Chartreuse de Parme ». Car mon film se résume à comment l’amour vous blesse, puis vous sauve avant de vous perdre de nouveau. » LES AMANTS RÉGULIERS s’inscrit aussi dans l’héritage de grands cinéastes dont Philippe Garrel revendique l’influence. Il a ainsi copié intentionnellement une scène de LA MAMAN ET LA PUTAIN en hommage à Jean Eustache qui était son ami. Et il se place « dans la lignée d’un cinéma qui trouve que L’ATALANTE de Jean Vigo est le plus beau film du monde. »

L’extrait du jour et son indice : le jour se lève.


 

 

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Jeudi 18 mars

Hier, fin N° 71. On terminait la notule précédente avec Philippe Garrel se réclamant du cinéma qui trouve que L’ATALANTE est le plus beau film du monde. On va commencer celle-ci avec François Truffaut qui, lui, faisait partie de ceux qui pensent que le plus beau film du monde, c’est… L’AURORE (1927) de Friedrich Wilhelm Murnau. Comme l’indique le sous-titre du film, c’est « Un chant sur deux êtres humains » qui pourrait se passer à n’importe quelle époque, en n’importe quel pays. Un fermier sous l’emprise de sa maîtresse tente de tuer sa femme, puis, pris de remords, de la reconquérir. Les époux arpentent la grande ville, se jouant de ses pièges dans la joie et l’amour retrouvés. À la fin, le drame revient, mais pour achever de les réunir. Un mélodrame universel, que Murnau transforme en symphonie cosmique et sensuelle, d’une force renversante, d’une beauté exaltante. Au milieu des années vingt, Friedrich Wilhelm Murnau est le plus grand cinéaste allemand. Il a réalisé en l’espace de quelques années NOSFERATU LE VAMPIRE (1922), LE DERNIER DES HOMMES (1924), FAUST, UNE LÉGENDE ALLEMANDE (1926)… C’est après avoir vu, baba d’admiration, LE DERNIER DES HOMMES que le producteur américain William Fox – une pointure, il a dans son écurie John Ford, Howard Hawks, Frank Borzage… et sa société deviendra la légendaire Twentieth Century Fox, récemment et tristement avalée par l’insatiable ogre Disney – décide d’inviter Murnau à Hollywood. Pour réaliser un film « infiniment cultivé, symbolique, bref tout à fait européen »… C’était une époque où les producteurs étaient encore des gens du spectacle, pas des financiers, qui payaient des traversées en transatlantique à des artistes simplement parce qu’ils étaient géniaux… Murnau fait donc le voyage et va disposer d’une liberté totale, en même temps que d’un budget plus vaste que tout ce qu’il avait connu en Allemagne. Tous ses désirs sont exaucés, les plus fous de ses projets de décors sont construits… Et il réussit à ne pas se laisser engloutir sous cette profusion de moyens et réalise un de ses chefs d’oeuvre. L’AURORE ne connaîtra malheureusement qu’un succès public très limité et la carrière américaine de Murnau tournera court. Il mettra en 1930 les voiles pour Tahiti où il tournera son ultime merveille, TABOU (1931), qu’il n’aura pas le temps de voir sortir en salle puisqu’il mourra en mars 1931 dans un accident de voiture. Un petit plaisir pour finir, voici le lien vers un épisode du Blow Up d’Arte, signé Luc Lagier , qui invite – sans leur demander leur avis – quelques stars du cinéma américain à célébrer le culte de L’AURORE : https://youtu.be/7ukk46FrCAc

Aujourd’hui, une histoire d’amour au climat étrange.


 

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Vendredi 19 mars

Hier, fin N° 72. Après L’AURORE, on continue à tutoyer les sommets, au risque d’en avoir le souffle coupé. L’ultime baiser entre Kim Novak et Jimmy Stewart, avant la chute. L’implacable fatum s’incarne dans une innocente religieuse et dans la musique somptueusement tragique de Bernard Herrmann. C’est évidemment VERTIGO (1958) d’Alfred Hitchcock, sorti en France sous le titre pâlichon de SUEURS FROIDES, qu’on s’empressera d’oublier. Le plus beau, le plus fascinant des films d’Hitchcock. Je sais, les avis divergent, d’aucuns préfèrent qui FENÊTRE SUR COUR (1954), qui LES ENCHAÎNÉS (1946), qui PSYCHOSE (1960) ou LA MORT AUX TROUSSES (1959)… Hitchcock a quand même un sacré palmarès ! Mais pour moi, c’est décidé, VERTIGO est le plus grand, celui qu’on peut voir dix fois en marchant à fond, en éprouvant à la dixième vision des émotions nouvelles, en découvrant des détails qui nous avaient échappé lors des neuf précédentes… À partir d’un roman à énigme des français Boileau et Narcejac (« D’entres les morts », publié en 1954), Hitchcock construit un suspense machiavélique qui est aussi et surtout une des plus belles histoires d’amour fou jamais contées, en même temps qu’une magistrale leçon de cinéma. VERTIGO nous entraîne dans la quête obsessionnelle de John « Scottie » Ferguson, flic de San Francisco mis au rancart suite à une course poursuite sur les toits au cours de laquelle sa peur panique du vide a causé la mort d’un de ses collègues. Un Scottie désoeuvré, ne sachant plus que faire de sa vie, qui va se retrouver embarqué dans une enquête piégée, sur les traces d’une sublime Madeleine elle-même hantée par une certaine Carlotta Valdes, suicidée il y a bien des années… C’est l’occasion de scènes de filatures hypnotiques dans San Francisco et ses alentours (je me souviens d’un supplément des Inrockuptibles qui revisitait les lieux mythiques du tournage) : le fleuriste de Claude Street, le cimetière de Mission Dolores, le Musée de la Légion d’Honneur, le restaurant Ernie’s et ses tentures pourpres, la baie sour le Golden Gate Bridge, la mission de San Juan Battista… À sa sortie, VERTIGO fut très fraîchement accueilli par la critique – sauf en France où Truffaut, Rohmer et d’autres le défendirent ardemment – et ne connut qu’un médiocre succès public. Ce n’est qu’au fil des années qu’il accéda au rang de film culte, avec ses adeptes et ses descendants. On en citera deux exemples aux antipodes l’un de l’autre : Chris Marker, adorateur de la première heure, le cite ouvertement dans LA JETÉE (1962) ; quant à Brian De Palma, il en tournera une sorte de remake officieux avec OBSESSION (1976), dont il confiera la musique à un certain… Bernard Herrmann.

Aujourd’hui : toujours prendre la vie du bon côté…


 

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Samedi 20 mars

Hier, fin N° 73. « Always look on the bright side of life ! » swingue la chorale des crucifiés au sommet du Golgotha, le mont du Calvaire aux portes de Jérusalem (la séquence a été tournée, plus prosaïquement, dans la région de Monastir en Tunisie). Ce sont les trente dernières secondes, assez inoubliables, de MONTY PYTHON, LA VIE DE BRIAN (1979), réalisé par Terry Jones. Chez les Monty Python, c’est en effet Jones qui assuma ce poste essentiel, et ce dès SACRÉ GRAAL (1975), le premier « vrai » film de la bande (LA PREMIÈRE FOLIE… alias AND NOW FOR SOMETHING COMPLETELY DIFFERENT (1971) était une compilation de sketches), pour lequel il faisait tandem avec l’autre Terry : Gilliam. Mais autant ce premier essai était pour ainsi dire fortuit (Jones et Gilliam expliquant qu’ils s’y étaient collés parce que les autres ne voulaient surtout pas du job), autant Jones s’investit véritablement dans la mise en scène de BRIAN ainsi que du troisième et dernier film des Python, LE SENS DE LA VIE (1983). Quant à Terry Gilliam, sa filmographie future (entamée dès 1977 avec JABBERWOCKY) prouvera qu’il était fait pour réaliser. Quand on y pense, cette scène de crucifixion collective est d’une audace assez estomaquante. Tout comme le film entier d’ailleurs, fable férocement iconoclaste qui raconte l’existence chaotique de Brian Cohen, né par malchance le même jour que Jésus Christ, et par dessus le marché dans l’étable voisine. Il sera condamné toute sa vie à être pris pour le messie (à commencer par les trois ahuris de Rois mages) et ça ne lui attirera que des emmerdements, jusqu’à la funeste conclusion qu’on connaît, heureusement égayée par l’illustration chantée de la méthode Coué. Plus hérétique que blasphématoire, charge à boulets rouges non pas contre le Christ lui-même, que les Monty Python considèrent visiblement comme un chic type, mais contre l’imbécillité crasse de tous les fanatisme, religieux ou pas, LA VIE DE BRIAN s’attira sans surprise les foudres de toutes les autorités ecclésiastiques. À New York, des prêtres, des pasteurs et des rabbins défilèrent ensemble pour huer le film, un rabbin émérite allant même jusqu’à éructer : « Je serais fou de joie si ce film retournait là même où il a été produit : en Enfer ! » En Angleterre, la sortie du film fut interdite dans certaines villes, après qu’une association catholique eut essayé en vain de bloquer son visa d’exploitation. LA VIE DE BRIAN fut interdit en Norvège pendant quelques mois, en Irlande jusqu’en 1987, en Italie jusqu’en 1990 ! Une chose est sûre, c’est que les spécialistes ont très tôt reconnu la justesse historique du film, tant dans son évocation du personnage de Jésus que dans la contextualisation de l’époque dans laquelle il vivait. Il faut dire que Terry Jones (disparu en 2020 des suites d’une saloperie de maladie neurodégénérative) ne se contentait pas d’être un amuseur génial, adorant se déguiser en femme pour jouer la mère atrabilaire de Brian Cohen, il était aussi un historien distingué, diplômé d’Oxford et spécialiste de l’époque médiévale. Un petit cadeau pour finir : une vidéo (de piètre qualité mais c’est mieux que rien) de la scène hilarante de la réunion clandestine du FPJ (Front Populaire de Judée), dont les ennemis jurés sont certes les Romains, mais aussi et surtout ces sales traîtres de Galilée Libre : https://youtu.be/SX0KBls7bto

Aujourd’hui : costume, cravate et lunettes noires.


 

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Dimanche 21 mars

Hier, fin N° 74. Loin de la terre, au-delà des étoiles… On ne verra pas la trombine de l’extra-terrestre qui joue aux billes avec des mini-planètes. C’est MEN IN BLACK (1997) de Barry Sonnenfeld. Un divertissement plutôt réussi et gentiment fantastique adapté d’un comic book publié au début des années 90 chez un petit éditeur (Malibu), bientôt racheté par Marvel qui sera lui-même avalé vingt ans plus tard par la tentaculaire Disney Company à qui on ne souhaite qu’une chose, c’est de mourir étouffée de sa goinfrerie sans limite. Les deux Hommes En Noir du film (le vétéran Tommy Lee Jones et le débutant Will Smith, qui ne sont pas pour rien dans la réussite de l’affaire) ont la même dégaine que les agents du FBI mais ils sont spécialisés dans la traque et la mise hors d’état de nuire des extra-terrestres délinquants qui, s’ils sont une minorité parmi les quelques 1500 aliens vivant clandestinement et sous défroque humaine à New York (essentiellement dans le quartier de Manhattan), peuvent se révéler particulièrement dangereux en raison de leurs pouvoirs, extra-terrestres eux aussi, c’est logique. Mais les Men In Black disposent de leur côté de quelques gadgets jamesbondesques, notamment le neuraliseur qui leur permet d’effacer la carte mémoire des témoins de l’existence des envahisseurs : il vaut mieux pour la tranquillité des humains qu’ils continuent à se croire les seules créatures intelligentes de l’univers. Nous sommes évidemment dans le domaine de la fantaisie débridée et, dans ce registre, MEN IN BLACK est le successeur direct d’un SOS FANTÔME – GHOSTBUSTERS (1984) d’Ivan Reitman ou d’un RETOUR VERS LE FUTUR (1985) de Robert Zemeckis. Est-ce un hasard si les trois films ont le même producteur : un certain Steven Spielberg ? Comme ses deux prédécesseurs, MEN IN BLACK a remporté un énorme succès public. Synonyme malheureusement, comme pour ses deux prédécesseurs, de «sequels », de suites opportunistes cherchant à exploiter le filon. Seront donc commis un MEN IN BLACK II (2002) et un MEN IN BLACK III (2012), toujours réalisés par Sonnenfeld et interprétés par le duo Jones-Smith. Et, calamitas calamitatum, il y aura une quatrième mouture, désertée par l’équipe d’origine : MEN IN BLACK INTERNATIONAL (2019) de F. Gary Gray, avec un tandem mixte, Tessa Thomson et Chris Hemsworth. Heureusement ce numéro 4 a fait un remarquable flop, promesse d’un arrêt définitif de la saga.

Aujourd’hui : le combat d’une femme brésilienne.


 

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Lundi 22 mars

Hier, fin N° 75. On a juste le temps d’apercevoir la grande Sonia Braga avant que la caméra scrute les termites qui grignotent avidement des morceaux de poutre, comme la corruption et les malversations des puissances de l’argent sapent les fondements de la société brésilienne. C’est le magnifique AQUARIUS (2016) de Kleber Mendonça Filho, cinéaste passionnant qui est l’une des révélations majeures du cinéma internationale de ces dix dernières années. Découvert en France en 2014 avec son premier long-métrage, LES BRUITS DE RÉCIFE (2012), il a, après AQUARIUS, réalisé le formidable BACURAU (2019), co-signé avec Juliano Dornelles, collaborateur-complice, directeur artistique et décorateur sur ses deux premiers films. « Aquarius », c’est le nom d’une petite résidence coquette construite dans les années 40, sise face à l’océan et les plages de Recife, sur la très huppée Avenida Boa Viagem. C’est là que vit Clara, Madame Clara, comme l’appellent les habitants du quartier, avec un mélange d’affection et de respect craintif. Il faut dire qu’elle en impose, Clara, femme de caractère et belle comme une icône païenne. Mais voilà, Aquarius a été vidé de ses habitants par un important promoteur, qui a racheté tous les appartements dans le but avoué de démolir l’immeuble pour en construire un dix fois plus grand et cent fois plus rentable. Mais Clara résiste. Elle se refuse à vendre son logement malgré la somme que l’on devine rondelette offerte par la compagnie immobilière. Elle se retrouve donc seule dans cet immeuble fantôme, bientôt harcelée par les promoteurs. Et on découvrira qu’il y a bien des façons de persécuter un individu… C’est David contre Goliath. Et c’est aussi et surtout un film éminemment politique qui raconte deux cultures, deux Brésil qui s’entrechoquent et s’affrontent. Deux visions du monde irréconciliables qui se toisent : la loi de l’argent, des réseaux, des influences contre celle du métissage, de la mixité sociale, du partage et de la dignité. Klebert Mendonça Filho est en pointe dans le combat des artistes brésiliens contre le régime d’extrême-droite qui accable son pays. Au Festival de Cannes 2016, deux ans et demi avant l’arrivée au pouvoir du sinistre Jair Bolsonaro, toute l’équipe d’AQUARIUS protestait publiquement, lors de la montée des marches, contre la destitution de la présidente Dilma Roussef, présentant aux yeux du monde des affichettes de combat : « Un coup d’état a eu lieu au Brésil », « Nous résisterons », « Le Brésil n’est plus une démocratie »… Un mot sur Sonia Braga, sans doute la seule actrice brésilienne à avoir gagné une reconnaissance internationale grâce à quelques rôles marquants dans DOÑA FLOR ET SES DEUX MARIS (1976) de Bruno Barreto, LE BAISER DE LA FEMME ARAIGNÉE (1985) d’Hector Babenco ou encore MILAGRO (1988) de Robert Redford… Elle est superbe dans AQUARIUS et Kleber Mendonça Filho l’a tout naturellement rappelée pour un des rôles centraux de BACURAU.

Aujourd’hui : petit tour en Islande.


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Mardi 23 mars

Hier, fin N° 76. Comme dans un rébus, tous les éléments du titre sont à l’image durant ces trente dernières secondes : on voit beaucoup de chevaux et un peu moins d’hommes (on voit aussi des femmes bien sûr, mais dans le titre, le terme « hommes » est utilisé dans son sens générique de « humains ») sur fond de paysages islandais, mais sans aucun volcan en éruption. C’est donc DES CHEVAUX ET DES HOMMES de Benedikt Erlingsson. Le nom de ce réalisateur islandais – qui fut auteur, metteur en scène et acteur de théâtre et qu’on a vu jouer au cinéma dans LE DIREKTOR (2006) de Lars Von Trier – vous dit peut-être quelque chose car, depuis ce premier long métrage en 2013, il en a réalisé un second en 2018 qui a beaucoup plus attiré l’attention : WOMAN AT WAR, l’histoire épatante de cette paisible cheffe de chorale qui se mue en écolo de choc et saborde les pylônes électriques alimentant les usines super polluantes d’un industriel de l’aluminium. Bouche à oreille d’enfer et gros succès dans nos salles pendant l’été 2018 ! DES CHEVAUX ET DES HOMMES donc. Mais il ne s’agit pas ici de n’importe quels chevaux. Ni par extension de n’importe quels hommes. Ce ne sont pas les chevaux, bien policés, qu’on rencontre dans nos haras. Les chevaux du film sont plus sauvages, plus tranchés, plus « islandais ». Les hommes aussi. D’ailleurs dans cette langue, les deux mots se ressemblent: « Hross í oss », comme si l’un était le prolongement de l’autre. Se racontent ici, à travers les chevaux qui font le lien entre les divers protagonistes, les histoires et passions qui secouent une petite communauté en Islande, entre conflits de voisinage, tempête de neige et chalutier russe… Avec leur lucidité volontiers âpre et leur humour très particulier, leur vitalité indomptable, DES CHEVAUX ET DES HOMMES et WOMAN AT WAR s’inscrivent pleinement dans cette vague du cinéma islandais, d’une vitalité, inversement proportionnelle à la quantité de films produits dans le pays (cinq par an maximum), qu’on a vu arriver chez nous avec bonheur depuis une dizaine d’années. On citera BÉLIERS de Grimur Hakonarson, L’HISTOIRE DU GÉANT TIMIDE de Dagur Kari, SPARROWS de Runar Runarsson, tous trois réalisés en 2015), ou encore le tout récent UN JOUR SI BLANC (2019) de Hlynur Palmason.

Aujourd’hui : new burlesque sur la côte atlantique.


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Mercredi 24 mars

 

Hier, fin N°77. Mathieu Amalric, tout seul, remet le son. C’est TOURNÉE, film qu’il a lui-même réalisé en 2010 et qui met en vedette des femmes à la beauté incroyable mais hors des canons imposés, dont les noms sont déjà tout un programme : Mimi Le Meaux, Dirty Martini, Evie Lovelle, Roky Roulette… Des vrais noms de music hall ! Pas un hasard, puisque les irrésistibles héroïnes de TOURNÉE sont des actrices/performeuses/comédiennes multicartes de cabaret, des pointures de ce que l’on appelle le new burlesque. Un genre complet, florissant dans les années 20/30 aux Etats Unis, qui mêlait chansons, numéros humoristiques et satiriques et effeuillage polisson. Un genre tombé en désuétude pour se réduire à sa plus simple et pauvre expression : le strip-tease, avant d’être ressuscité par la scène rock et lesbienne américaine au milieu des années 90 pour devenir un spectacle drôle et branché, notamment sous l’impulsion de personnages comme la très médiatique Dita Von Teese. Matthieu Amalric, particulièrement touché par un texte méconnu de Colette, « L’Envers du Music-Hall », écrit à une période où les filles de joie et de la scène tenaient le haut du pavé, a réussi à intégrer cet univers dans une fiction, en utilisant de manière quasi documentaire la tournée de ces filles, une tournée qu’il a fait réellement organiser, devant un vrai public. Et on découvre à quel point ces artistes complètes font preuve d’une inventivité et d’une sensualité folles, interprétant des jeux de rôles hilarants lors de spectacles portés par les musiques rock et soul que l’on aime (ah ! Le « I put a spell on you » de Screamin Jay Hawkins !). TOURNÉE est le quatrième long métrage d’Amalric metteur en scène, après trois premiers films restés plutôt confidentiels : MANGE TA SOUPE (1997), LE STADE DE WIMBLEDON (2001) et LA CHOSE PUBLIQUE (2003), prévu au départ pour une diffusion sur Arte et finalement sorti en salle. Il a réalisé depuis LA CHAMBRE BLEUE (2014), adaptation très réussie d’un roman de Georges Simenon, et bien sûr BARBARA (2017), énigme N°34 de ce quiz. Et il a tourné fin 2019 – début 2020 SERRE-MOI FORT, avec Vicky Krieps (découverte dans PHANTOM THREAD (2017 de Paul Thomas Anderson), qui attend patiemment la réouverture des salles… Il n’est pas le seul.

 

Aujourd’hui : le cri parfait.


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Jeudi 25 mars

 

Hier, fin N° 78. John Travolta, la musique de Pino Donaggio et le cri, tellement authentique qu’il en devient insupportable. C’est BLOW OUT (1981) de Brian De Palma. Qui montre que ses références cinéphiles ne se limitent pas à Alfred Hitchcock puisqu’ici c’est bien Michelangelo Antonioni et son BLOW UP (1966) qui sont invoqués. Dans BLOW UP, le photographe joué par David Hemmings découvrait dans l’arrière-plan d’une de ses photos prises dans un parc un crime en train d’être commis. John Travolta, le preneur de son héros de BLOW OUT, alors qu’il enregistre de nuit divers bruits de la nature, « entend » un meurtre. Témoin de l’accident de voiture dont est victime un célèbre sénateur, il se rend compte, à la réécoute incessante de sa bande, que l’éclatement du pneu a été précédé d’une déflagration. Un coup de feu ? Il décortique les bruits, reconstruit, visualise la scène enregistrée, et fait émerger la vérité de l’événement. Quand on a programmé BLOW OUT à Utopia – en même temps que PULSIONS (1980), réalisé juste avant –, on rappelait ce qu’écrivaient à propos de De Palma Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon dans leur ouvrage de référence, “50 ans de cinéma américain”: « C’est le plus controversé des cinéastes de sa génération. Ses admirateurs vantent la virtuosité de son style, sa maîtrise du langage cinématographique, la complexité et la constance de sa thématique. Ses détracteurs soulignent la fréquente gratuité de ses effets, sa tendance à la surcharge et à l’excès, un certain rabâchage thématique, ses emprunts systématiques à Hitchcock. Nous nous rangerions plutôt de ce côté-ci, ayant de sérieuses réserves sur la plupart des films de De Palma, mais on ne peut nier son sens très aigu de l’expression visuelle, le plaisir communicatif de filmer qui se dégage de ses films, le pouvoir euphorisant de certaines séquences où sont mises en œuvre toutes les ressources de la caméra… » Et on notait que ces deux éminents détracteurs du cinéaste donnaient finalement très envie de voir ses films, ne serait-ce que pour partager ce “plaisir communicatif”, pour succomber à ce “pouvoir euphorisant”… De Palma donne la vedette dans BLOW OUT au couple John Travolta / Nancy Allen, qu’il avait déjà dirigés comme seconds rôles majeurs dans CARRIE (1976) : Allen en garce de haute volée manipulait en beauté le parfait couillon Travolta. Fait assez notable, c’est Gérard Depardieu qui double Travolta dans la version française du film. Utiliser des vedettes françaises pour doubler des stars américaines… c’est peut-être l’époque qui voulait ça : on se souvient ainsi de Jean-Louis Trintignant donnant sa voix à Jack Nicholson dans la VF de SHINING de Kubrick. Ce n’était pas une bonne idée, les voix des doubleurs sont trop reconnaissables et parasitent l’adhésion aux personnages. Mais ce n’est de toute façon pas une bonne idée de voir les films étrangers en VF…

 

Aujourd’hui : l’amour aux bains londoniens.


 

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Vendredi 26 mars

Hier, fin N° 79. Les corps nus de Jane Asher et John Moulder-Brown dans les eaux de la piscine couleur sanguine, au son de la chanson « But I might die tonight » (« Mais je pourrais mourir ce soir »), écrite et interprétée spécialement pour le film par Cat Stevens. C’est DEEP END (1970) de Jerzy Skolimowski, cinéaste polonais formé au sein de la célèbre École nationale supérieure de cinéma de Lodz, tout comme Roman Polanski, son collègue, ami et aîné de 5 ans, qui l’embaucha d’ailleurs comme co-scénariste pour son premier long métrage, LE COUTEAU DANS L’EAU (1962). Skolimowski a réalisé quatre films en Pologne. Le dernier, HAUT LES MAINS (1967) fut censuré par le régime – il ne connaîtra une sortie fugitive qu’en 1981 –, ce qui amena le cinéaste à quitter son pays et à devenir une sorte de réalisateur errant. Carrière incertaine qu’il entama aussitôt à Bruxelles avec LE DÉPART (1967), joué entre autres par Jean-Pierre Léaud. Puis vint en 1969 LES AVENTURES DU BRIGADIER GÉRARD, grosse production européenne en costumes d’après un roman de Conan Doyle, que Skolimowski considère comme son « plus mauvais film ». « La postproduction avait lieu à Londres. Je louais un appartement à Kensington, au 73 Cornwall Gardens – d’ailleurs cette adresse est mentionnée dans DEEP END. Jimi Hendrix vivait à côté, j’étais bien entouré ! Au bout de quelques semaines passées à Londres, j’ai commencé à envisager DEEP END. » Initiation amoureuse d’un adolescent candide qui trouve un boulot et son premier amour dans un établissement de bains publics de l’East End londonien, le film de Skolimowski installe une ambiance dérangeante autant que fascinante, entre thriller psychologique et tragédie romantique. La production étant majoritairement allemande, le tournage s’est déroulé essentiellement à Munich, en particulier les scènes d’intérieur. L’équipe n’a séjourné à Londres qu’une seule semaine, le temps de filmer les façades extérieures des bâtiments. Le résultat à l’écran est bluffant, c’est Londres qui vibre, qui sue, qui s’encanaille, qui fantasme. Un Londres trouble et interlope, à l’opposé de la capitale des swinging sixties, tout en insouciance pop. Skolimowski retrouvera Londres douze ans plus tard pour y tourner – pour de vrai cette fois – un autre de ses plus grands films : TRAVAIL AU NOIR (1982), chef d’oeuvre de fable politique, grinçante et sarcastique, avec en vedette un génial Jérémy Irons.

Aujourd’hui : coming out trans.


 

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Samedi 27 mars

Hier, fin N° 80. Gros plan sur Melvil Poupaud. Contrechamp sur Suzanne Clément. En fond sonore, « Let’s go out tonight », par Craig Armstrong. Retour sur Melvil Poupaud qui nous donne mezzo voce la réponse, avec un clin d’oeil complice en prime. C’est donc LAURENCE ANYWAYS (2012) de Xavier Dolan. Son quatrième film, pour beaucoup le plus beau.
Mais je ne m’étendrai pas davantage parce qu’hier j’ai appris comme tout le monde la mort de Bertrand Tavernier et que ça m’a fichu un sacré coup… Soudain j’ai comme une impression de déjà-écrit. Mais oui, c’était au moment de la disparition de Jean-Pierre Bacri et c’était déjà en commentant un film de Xavier Dolan : le N° 15 du quiz, LES AMOURS IMAGINAIRES ! Sans du tout vouloir faire passer le prodige québecois pour un porte-poisse, je suggèrerai à Aurore de ne pas proposer à notre sagacité les 30 dernières secondes de TOM À LA FERME (2012) ou de MOMMY (2014), ce sera plus sûr pour les personnalités du cinéma qu’on aime et qui prennent de l’âge…

 

Bertrand Tavernier ! En plus d’un réalisateur talentueux et curieux de tout, c’est Monsieur Cinéma qui s’en va, c’est le cinéphile le plus passionné, le plus gourmand, le plus généreux, le plus partageux qui tire sa révérence et qui va nous manquer à un point qu’on a du mal à imaginer et à exprimer. Bertrand Tavernier est venu trois fois à Utopia Bordeaux. La première fois c’était un week-end de fin avril 2001, à l’occasion de la parution de sa biographie (Flammarion) écrite par Jean-Claude Raspiengeas qui l’accompagnait. Il est resté deux jours avec nous, échangeant avec les spectateurs autour de son LE JUGE ET L’ASSASSIN (1976), dédicaçant ses livres, dont « 50 ans de cinéma américain » (Omnibus), évoqué dans une précédente notule, et le monumental « Amis américains, entretiens avec les grands auteurs d’Hollywood » (Actes Sud), publié en 1993 et réactualisé deux fois depuis, mais présentant aussi au public LE GOUFFRE AUX CHIMÈRES (1951) de Billy Wilder et le beau RUE DU RETRAIT de René Féret : il faisait partie de ces rares cinéastes capables de s’oublier et de défendre en toute sincérité le film d’un confrère moins connu. Toujours en 2001, le 20 décembre, il nous offrait un Noël avant l’heure avec l’avant-première de LAISSEZ-PASSER, occasion rêvée de faire partager sa connaissance encyclopédique et enthousiaste du cinéma français pendant l’occupation. Et on l’avait reçu une troisième fois en février 2012, pendant les Rencontres « La Classe ouvrière, c’est pas du cinéma » qui avaient programmé deux de ses documentaires : LA GUERRE SANS NOM (1991) sur la guerre d’Algérie, et HISTOIRES DE VIES BRISÉES : LES DOUBLE-PEINE DE LYON (2001) sur les immigrés condamnés à être expulsés en plus de leur sanction pénale. Et là encore, au-delà des riches échanges sur ses films, il avait tenu à présenter au public surpris et ravi deux titres de notre programmation : le grand classique LA GRANDE ILLUSION (1937) de Jean Renoir et un petit film anglais inconnu de tout le monde sauf de lui, SI PARIS L’AVAIT SU (1950) de Terence Fisher et Antony Darnborough, avec un tout jeune Dirk Bogarde, grand acteur qu’il avait dirigé dans DADDY NOSTALGIE (1990).
Autant de moments qu’on n’oubliera pas.
Pour finir, je ne saurais trop vous recommander la vision de sa dernière œuvre, qui restera comme son testament d’amoureux fou du cinéma : VOYAGE À TRAVERS LE CINÉMA FRANÇAIS, à la fois dans sa version cinéma de 2016 et dans son prolongement télévisuel de 2018 en neuf épisodes. Les deux versions sont disponibles en DVD et blu-ray édités par Gaumont.
Et deux aperçus en vidéo de la passion Tavernier : Présentation de QUAI DES ORFÈVRES d’Henri-Georges Clouzot : https://www.arte.tv/fr/videos/059148-003-A/
Et, plus inattendu, intervention drôlatique et pince-sans rire sur la naissance du cinéma grolandais : https://www.facebook.com/groland/videos/266018838534743/

 

Aujourd’hui : madeleine fourrée à l’opium…


 

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Dimanche 28 mars

Hier, fin N° 81. Robert De Niro, l’esprit embrumé par l’opium, laisse naître sur son visage un sourire inattendu, énigmatique et presqu’enfantin, tandis qu’enfle la musique somptueuse et déchirante d’Ennio Morricone. C’est IL ÉTAIT UN FOIS EN AMÉRIQUE (1984) de Sergio Leone. Son ultime film et son deuxième chef d’oeuvre, dont il portait le projet depuis près de vingt ans. Adaptant – avec cinq co-scénaristes : ça n’a pas dû être simple de construire la trame narrative – le roman autobiographique d’Harry Grey « The Hoods », Leone déploie une fresque qui embrasse 50 ans de l’histoire des Etats-Unis vue du côté sombre de la force et qui est aussi un voyage à travers le cinéma, un cinéma qui n’existe plus : « Le sous-titre du film pourrait être Il était une fois un certain cinéma. » disait-il. « Moi qui appartiens à une certaine forme d’amour du cinéma, je dis ici : le cinéma va changer, il ne sera plus comme cela et je vous le montre une dernière fois. ». Il disait aussi que le film est « une biographie à deux niveaux : ma vie personnelle et ma vie de spectateur de cinéma américain. » La scène finale dans la fumerie d’opium est aussi la scène d’ouverture et c’est autour d’elle, se situant dans les années 30 de la prohibition, qu’est construit tout le récit, qui va nous faire voyager dans le temps et la destinée du personnage joué par Robert De Niro, Nathan Aaronson dit « Noodles ». Voyage dans le passé : le début des années 20, son enfance dans le ghetto juif de New-York, sa rencontre avec les trois gamins qui deviendront sa vraie famille, son amitié sans faille avec Max, leurs premières combines, leur apprentissage de la truanderie, leur ascension dans le milieu du banditisme dont ils vont devenir des caïds. La rencontre avec Deborah que Noodles va idôlatrer, que Noodles va aimer, bien mal, et qui aura la force et la volonté de lui échapper. L’amitié, la violence, l’amour, le sexe, la trahison, et la conquête du pouvoir, que Max aborde avec une avidité calculatrice, une rigueur paranoïaque, alors que Noodles la vit sans réel désir, incapable qu’il est de se soumettre aux règles et aux obligations de son rôle de gangster en chef… Voyage dans le futur : la fin des années 60, les rêves envolés, le souvenir des amis disparus, les désillusions comme seules compagnes de route. Et toujours et in fine, le retour à la fumerie d’opium, à la rêverie vagabonde de Noodles, qui se souvient. Ou qui imagine ? Montré hors compétition au Festival de Cannes 1984, IL ÉTAIT UNE FOIS EN AMÉRIQUE fut diversement accueilli, sans enthousiasme particulier, en particulier du côté de la presse américaine. Si bien que le film sortit aux Etats-Unis dans une version réduite à 2h15 au lieu des 3h50 d’origine et remontée dans l’ordre chronologique de l’action ! Autant dire un massacre. Leone aura donc filmé une Amérique rêvée et n’aura pas rencontré l’Amérique réelle. Elle ne sait pas ce qu’elle a manqué…

Aujourd’hui : sacrée rencontre !


 

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Lundi 29 mars

 

Hier, fin N° 82. L’irrésistible Lauren Bacall embarque en douceur et pour un avenir probablement radieux un Humphrey Bogart parfaitement consentant, au rythme du jazz band de Hoagy Carmichael. C’est la naissance d’un couple mythique (à l’écran comme à la ville, comme disent les magazines) et c’est LE PORT DE L’ANGOISSE, alias TO HAVE AND HAVE NOT (1944) de Howard Hawks. Le titre français est comme souvent à côté de la plaque : il y a bien vaguement un petit port pittoresque mais pas d’angoisse. Du danger oui, mais pas d’angoisse. À peine du suspense. Pourtant l’intrigue – adaptée d’un roman mineur d’Ernest Hemingway et transposée par les scénaristes Jules Furthman et William Faulkner (excusez du peu !) de la zone Floride-Cuba à la Martinique sous l’occupation – aurait pu donner lieu à un film dramatique, sous tension, à la CASABLANCA (1942) – il est d’ailleurs probable que les producteurs de Hawks ont voulu profiter du succès du film de Michael Curtiz en donnant à Bogart un rôle très proche dans une histoire pas très éloignée : La Martinique en 1942, sous régime vichyste. Harry Morgan, propriétaire d’un yacht, gagne sa vie en emmenant à la pêche de riches touristes. Gérard dit « Frenchy », gaulliste convaincu et patron de l’hôtel où il loge, demande à Harry de l’aider à faire entrer clandestinement dans l’île un chef de la Résistance. D’abord réticent, Harry accepte, acculé par le besoin d’argent. Il finira même par y mettre un peu d’âme et d’idéal en constatant la veulerie des sbires de Pétain… et aussi parce qu’il fait une rencontre qui va le tirer vers le haut : celle de Marie, une femme qui mène sa barque aussi fermement et librement qu’il pilote son yacht et qui va se comporter avec lui d’égale à égal, sans minauderies ni syndrome de la créature fragile qui a besoin de protection. Coup de foudre réciproque qui va faire basculer le film en mettant le couple au centre de l’action et de l’attention du spectateur. TO HAVE AND HAVE NOT serait donc un CASABLANCA dédramatisé, libéré de toute pression morale, de tout enjeu plus grand que ses personnages. Un CASABLANCA décontracté, à la limite de la désinvolture. Au rayon des anecdotes, la légende veut que Hawks aurait parié avec son pote Hemingway qu’il serait capable de faire un bon film à partir de son plus mauvais roman. Les versions diffèrent ensuite pour déterminer qui, du cinéaste ou du romancier, a choisi « To have and have not », publié en 1937, comme base de l’exercice. Une chose est sûre : il ne reste quasiment rien du roman dans le scénario du film, à part le couple central. Et un mot pour finir sur le petit bonhomme qui suit le couple à la fin du film, en portant les valises et en se dandinant sur la musique. C’est Walter Brennan, second rôle mythique du cinéma américain. On l’a vu – souvent sans connaître son nom – dans plus de cinquante films entre 1930 et 1970. Jamais ou presque de premier rôle et pourtant des apparitions inoubliables. Il a tourné six films avec Howard Hawks, notamment dans deux chefs d’oeuvre du western : LA RIVIÈRE ROUGE (1948) et surtout RIO BRAVO (1959), dans lequel il est génial en Stumpy, adjoint râleur du shérif John Wayne. Et on citera aussi un de ses rares personnages de méchant : le patriarche Clanton, ennemi mortel de Wyatt Earp – Henry Fonda et de ses frères dans MY DARLING CLEMENTINE (LA POURSUITE INFERNALE, 1946) de John Ford.

 

Aujourd’hui : radio pirate en mer du Nord…


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Mardi 30 mars

 

Hier, fin N° 83. Toute la joyeuse bande du film (on reconnaît fugitivement Philip Seymour Hoffman, Rhys Ifans, Bill Nighy, Nick Frost et il y a tous les autres qu’on ne remet pas…) danse sur le pont du rafiot et sur les rythmes syncopés du bien titré « Let’s dance » de David Bowie. Ce sont les trente dernières secondes de GOOD MORNING ENGLAND (2009) de Richard Curtis, qui ne sont d’ailleurs pas réellement la fin du film puisque, je suis bien obligé de vous le dire, le bateau de Radio Rock coule ! Le titre français ne s’explique que par la référence à GOOD MORNING VIETNAM (1987) de Barry Levinson, gros succès avec Robin Williams en animateur de la radio des forces armées US. Le titre original est évidemment bien meilleur : THE BOAT THAT ROCKED. On est dans le vif du sujet puisque l’essentiel du film se déroule sur ce bateau ancré non loin des côtes anglaises, qui est en pratique le siège d’une radio pirate. Rassemblée à bord en une sorte de communauté très flower-power and peace & love, une bande de gais lurons subversifs défie les lois du royaume et de la bienséance britanniques en diffusant à flot continu de la musique rock et pop. Il faut savoir que nous sommes en 1966 et que le gouvernement anglais, relayé par une BBC aux ordres, considère que cette musique de sauvages doit être réduite à la portion congrue et reléguée à des émissions les plus courtes et les plus nocturnes possible. Le film s’inspire directement de l’histoire de Radio Caroline, pas la première mais l’une des plus célèbres radios pirates britanniques qui, en 1964, s’est installée sur un bateau au mouillage dans les eaux internationales de la Mer du Nord pour y diffuser de la musique rock et pop. Comme c’est le cas pour Radio Rock dans le film, Radio Caroline tomba rapidement sous le coup d’une loi de 1967 interdisant les radios pirates. Devant les protestations véhémentes des auditeurs, la BBC créa la même année une station à destination des jeunes, Radio 1. La bande son du film est évidemment jouissive, avec, entre autres, des titres de The Kinks, The Beach Boys, Smokey Robinson, The Who, Cream, Ottis Redding, Cat Stevens, The Moody Blues, Procol Harum… et même Ennio Morricone, le seul non anglo-saxon du lot ! Richard Curtis n’a signé que trois films en tant que réalisateur, les deux autres sont des comédies romantiques : LOVE ACTUALLY (2003), qui a gentiment marché, et IL ÉTAIT TEMPS (2013) qui s’est complètement planté. En fait, il est connu et reconnu comme scénariste, notamment de QUATRE MARIAGES ET UN ENTERREMENT (1994) de Mike Newell, COUP DE FOUDRE À NOTTING HILL (1999) de Roger Michell et, dans un registre très différent, CHEVAL DE GUERRE (2011) de Steven Spielberg.

 

Aujourd’hui : un nanar SF grec.


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Mercredi 31 mars

Hier, fin N° 84. J’espère que vous aurez eu le temps de noter la fabuleuse recette de moussaka que nous donne avec gourmandise la pétulante journaliste télé en direct d’Athènes et en souriant de toutes ses nombreuses dents. Pour un nanar, c’est un sacré nanar ! L’ATTAQUE DE LA MOUSSAKA GÉANTE (1999) de Panos Koutras, hommage déconnant à la série Z des années 50, devenu une œuvre clé du « camp » (culture gay de l’exagération et du pastiche), qui exhibe son mauvais goût en toute bonne conscience et multiplie les clins d’œil à John Waters. Un beau matin, à quelques encablures d’Athènes, une soucoupe volante dépose l’esprit d’une extraterrestre… dans une part de moussaka abandonnée. L’expérience tournant au fiasco, l’esprit de l’alien y reste prisonnier… Ce qui ne lui réussit pas du tout puisque cette spécialité hellène – dont les seuls effets secondaires répertoriés relèvent de la bonne vieille indigestion – opère très vite une mutation prompte à faire pâlir n’importe quel ingénieur agronome de Monsanto. La moussaka devenue cyclopéenne se dirige alors vers la capitale. Dégoulinante d’aubergine, de crème et de viande hachée (dont nous ne connaîtrons pas la provenance mais qui se révélera d’un effet redoutable), elle liquide tous les humains qui se trouve à sa portée. Au milieu de ce cataclysme, nos héros, des astrophysiciens gays en blouse rose, des travestis obèses et une journaliste télé sans scrupule vont entreprendre de mettre hors d’état de nuire cette créature contre-nature… Cette pochade sans conséquence est le premier film de Panos Koutras qui a continué par la suite à s’intéresser aux thématiques LGBT+ mais avec une approche beaucoup plus sérieuse et sensible, dans deux films que nous avons aimés et programmés : STRELLA (2009) et XENIA (2014). Parmi les prédécesseurs de LA MOUSSAKA GÉANTE, on a repéré un VEGAS IN SPACE (1991) de Richard R. Ford, produit par la Troma Entertainment, spécialisée dans les nanars trash. L’épopée d’un vaisseau spatial envoyé en mission sur la planète Clitoris, exclusivement féminine et interdite aux hommes : les membres de l’équipage devront avaler une pilule de changement de genre… Cette œuvre sans doute impérissable n’est jamais sortie dans les salles françaises mais a été projetée dans des festivals LGBT+. Et on peut accessoirement considérer que la grosse production consensuelle et quasi-familiale LES MAITRES DE L’UNIVERS (1987) de Gary Goddard est assez clairement crypto-gay, ne serait-ce que dans le look hyper-sexy du Musclor au corps huilé incarné par le sculptural Dolph Lundgren et dans ses relations plus que troubles avec Skeletor, l’ennemi qui l’aimante…

Aujourd’hui : une comédie anglaise bien roulée.


 

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Jeudi 1er avril

Hier, fin N° 85. Une comédie anglais bien roulée, c’était le slogan sur l’affiche du film. Bien roulée certes, mais dans quel sens ? Il faut prendre ici rouler dans le sens de rouler un oinj, un tarpé, un splif, un stick… C’est SAVING GRACE (2000) de Nigel Cole. L’histoire tout à fait improbable mais d’un optimisme volontariste de Grace, cinquantenaire coulant des jours paisibles dans son petit cottage de Cornouailles sur la tête de laquelle le ciel va tomber. Son mari meurt sans prévenir, c’est déjà dur à encaisser, mais en plus elle apprend qu’il a dilapidé l’argent du ménage dans diverses spéculations boursières foireuses. Croulant sous les dettes, au bord de la saisie, elle va trouver le salut dans son talent, reconnu par tout le village, de jardinière. Grace a la main verte, elle fait pousser les plus belles orchidées de la contrée et, sur les conseils judicieux de son ami Matthews, qui ne fume pas que du tabac anglais, elle va se lancer dans la culture moins distinguée mais beaucoup plus lucrative du cannabis… SAVING GRACE s’inscrit dans la foulée des comédies anglaises sympa et chaleureuses qui ont réchauffé nos années 90 mais reste bien inférieur aux grandes réussites du genre : LES VIRTUOSES (1996) ou THE FULL MONTY (1997) pour ne citer que les titres les plus marquants. Nous ne l’avons d’ailleurs pas programmé à l’époque. Pas plus que la comédie suivante de Nigel Cole, dans la même veine, CALENDAR GIRLS (2002). Par contre nous avons beaucoup aimé WE WANT SEX EQUALITY (2011), épatante fable sur la lutte pour l’égalité des travailleuses d’une énorme usine Ford à Dagenham en 1968 qui a fait la première page de notre gazette N° 118. La Grace du film est interprétée par Brenda Blethyn, comédienne de théâtre émérite découverte au cinéma dans SECRETS ET MENSONGES (1996) de Mike Leigh. Ses films suivant ont été moins remarquables, mis à part le beau LONDON RIVER (2009) de Rachid Bouchareb, dans lequel elle formait un duo très attachant avec le grand Sotigui Kouyate. Elle a depuis acquis une grande notoriété grâce à la série plus british et plan-plan que nature LES ENQUÊTES DE VERA, diffusée chez nous sur France 3, qui va entamer sa onzième saison. Puisqu’on cause de séries, il en existe une qui porte le même titre que le film, SAVING GRACE, mais qui n’a rien à voir : c’est une série américaine policière inconnue à notre bataillon, diffusée de 2007 à 2010, créée par avec Holly Hunter en fliquette plus que border line qui va être secourue par… un ange. Par contre on peut en citer une autre, américaine elle aussi, qui part d’une situation assez similaire à notre film du jour : WEEDS, créée par Jenji Kohan, avec Mary-Louise Parker en mère de famille qui se lance dans le trafic de cannabis pour faire vivre sa petite famille suite à la mort de son mari d’une crise cardiaque. 8 saisons entre 2005 et 2012… et après une relâche de 9 ans, un retour serait en projet, même si tout le monde ou presque s’accorde pour dire que 8 saisons, c’était déjà trop.

Aujourd’hui : une histoire simple et palmée.


 

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Vendredi 2 avril

 

Hier, fin N° 86. Lien direct avec SAVING GRACE, le film de la veille, en la personne de l’actrice Brenda Blethyn, qu’on voit ici apporter le thé et s’asseoir sur la chaise longue. C’est SECRETS ET MENSONGES (1996) de Mike Leigh, qu’on citait justement comme film de référence dans la carrière de Brenda Blethyn, qui obtint pour ce rôle le Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 1996, tandis que le film et Mike Leigh remportaient la Palme d’or. C’est dire qu’on est à un autre niveau que celui de SAVING GRACE ! Histoire de famille qui suit les retrouvailles entre une jeune femme noire de la moyenne bourgeoisie et sa mère biologique blanche et prolétaire qui l’a abandonnée à la naissance (ignorant tout de sa couleur de peau), avec tous les chambardements collatéraux, SECRETS ET MENSONGES confirmait, après NAKED, réalisé en 1993 et déjà récompensé à Cannes, l’avènement de Mike Leigh parmi les chefs de file du cinéma britannique, aux côtés de Ken Loach et Stephen Frears. Un rang conforté au fil des années par plusieurs de ses films suivants : ALL OR NOTHING (2002), VERA DRAKE (2004), Lion d’or à la Mostra de Venise, BE HAPPY (2008), ANOTHER YEAR (2010) et enfin Mr. TURNER (2014) pour lequel Timothy Spall – un de ses acteurs fétiches, présent dans SECRETS ET MENSONGES – remporta à son tour le Prix d’Interprétation à Cannes. Et là, bizarrement, le trou d’air. Malgré la reconnaissance internationale et le solide succès de son évocation du grand « peintre de la lumière », sa dernière réalisation en date, PETERLOO (2018), n’a pas été distribuée en France. Et pourtant, de l’avis des spécialistes – tout particulièrement de Jean-François Baillon, universitaire bordelais, spectateur assidu d’Utopia et connaisseur hors pair du cinéma britannique –, c’est un film passionnant qui relate les circonstances et le déroulement du massacre perpétré par une milice locale et les forces régulières anglaises lors d’un rassemblement pour la démocratie et la justice sociale organisé sur le St Peter’s Field à Manchester le 16 août 1819. 60 000 manifestants étaient présents, issus des classes populaires, en particulier des ouvriers du coton. La répression a été sauvage, menée à cheval et sabre au claire. Bilan : 18 morts et des centaines de blessés. Le massacre de Peterloo reste comme un événement capital de l’histoire politique anglaise, le symbole d’une juste cause qu’un pouvoir inique a voulu en vain écraser dans le sang. Est-il trop tard pour espérer une sortie du film en France ?

 

Aujourd’hui : femme au bord de la crise de nerfs…


 

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Samedi 3 avril

 

Hier, fin N° 87. Quelle force, quelle émotion, quelle empathie dans ces trente dernières secondes avec le merveilleux Peter Falk et la géniale, la sublime, la renversante Gena Rowlands ! C’est bien sûr UNE FEMME SOUS INFLUENCE (1974) de John Cassavetes. La chronique d’un couple – qui appartient à la classe populaire, rarement mise en scène dans le cinéma américain – en rupture d’équilibre et surtout le portrait d’une femme « sous l’influence de son entourage, de la société, de son mari, de sa famille, de la maternité. Une femme déchirée entre plusieurs pouvoirs, entre plusieurs rôles » explique le réalisateur. Cette femme, Mabel, est déchirante de fragilité, elle essaie de faire face, de faire au mieux, de faire plaisir à tout le monde mais elle se heurte à trop d’obstacles, d’incompréhensions, de rebuffades. Elle voudrait partager, s’expliquer mais les mots lui manquent. Alors, faute de pouvoir communiquer, Mabel se fêle, se craquelle, se brise en mille morceaux… Le film est d’une honnêteté, d’une intelligence, d’une sensibilité bouleversantes, ce sont des torrents d’amour (pour reprendre le titre français du dernier chef d’oeuvre du cinéaste) qui nous submergent… John Cassavetes a très clairement écrit UNE FEMME SOUS INFLUENCE pour Gena Rowlands, son épouse depuis 1954, qu’il n’a commencé à faire tourner que dans son quatrième long métrage, FACES (1968) mais qui sera à partir de là au centre de tous ses films, à l’exception de deux : HUSBANDS (1971), une pure affaire de mecs avec Cassavetes lui-même, Peter Falk et Ben Gazzara, et BIG TROUBLE (1986), le dernier film, on peut même dire le film de trop, pris en court de route en remplacement de l’anonyme Andrew Bergman, à la demande pressante de Peter Falk, vedette de cette comédie ratée. UNE FEMME SOUS INFLUENCE est considéré par les historiens du cinéma comme le premier volet, suivi de OPENING NIGHT (réalisé en 1977 mais sorti en France en 1992 seulement) et de LOVE STREAMS (1984) d’une trilogie bâtie sur Gena Rowlands, une trilogie dite « de l’hystérie » par les mêmes historiens mais le terme est malheureux et on préfèrera trilogie de la fragilité fracassée. Tourné à l’arrache au long des années 1971 et 1972, financé à la va comme je te pousse (le couple Cassavetes a même dû hypothéquer sa maison), UNE FEMME SOUS INFLUENCE restera encore deux ans sur les étagères avant de sortir enfin aux Etats-Unis en 1974 (en 1976 en France). La critique saluera unanimement la performance de Gena Rowlands, le public sera au rendez-vous et le film restera le plus gros succès de Cassavetes réalisateur jusqu’au triomphe de GLORIA en 1980. Je précise Cassavetes réalisateur car l’acteur John Cassavetes a joué dans pas mal de films à succès, LES DOUZE SALOPARDS (1967) de Robert Aldrich et ROSEMARY’S BABY (1968) de Roman Polanski par exemple.

 

Aujourd’hui : une réflexion sur le deuil et la filiation.


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Dimanche 4 avril

 

Hier, fin N° 88. Emmanuelle Devos en majesté. Qui regarde avec son fils un semblant d’arbre généalogique de leur famille tuyau de poêle. C’est ROIS ET REINE (2004) d’Arnaud Desplechin. Les histoires croisées et foisonnantes en rebondissements et chemins de traverse de Nora (Devos), en principe sur le point d’épouser un homme de pouvoir mais surtout en prise avec les malheurs qu’elle a vécus, ses mariages ratés, l’agonie de son père, et d’Ismaël (Amalric), son ancien compagnon, musicien imprévisible et passablement irresponsable, interné plus ou moins par erreur dans un hôpital psychiatrique. Leurs destins se rejoignent une nouvelle fois lorsque Nora propose à Ismaël d’adopter son fils Elias. C’est le film qui a délivré Arnaud Desplechin de son étiquette de réalisateur intello et branché, nombriliste et germanopratin. Étiquette injustement collée suite finalement à un seul film : COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉ… (1996), longue chronique (trois heures) des amours d’un universitaire parisien velléitaire et bavard. Ses autres films précédents, LA SENTINELLE (1992), ESTHER KAHN (2000) et LÉO EN JOUANT « DANS LA COMPAGNIE DES HOMMES » (2003) étaient certes exigeants et complexes mais nullement parisiens ni autocentrés. Toujours est-il que ROIS ET REINE, avec ses variations vertigineuses et finalement bouleversantes sur l’amour, l’engagement, la filiation (naturelle, choisie, inventée) et le deuil (d’un être cher, d’une histoire, d’une époque de sa vie), lui a ouvert l’esprit et le cœur d’un public beaucoup plus large et l’a imposé définitivement comme un cinéaste majeur. Dans l’oeuvre désormais riche de dix longs métrages de Desplechin, ROIS ET REINE pourrait s’inscrire dans une ligne qu’on appellerait Paris-Roubaix (sa ville d’origine), pas à proprement parler autobiographique mais nourrie de son histoire personnelle et familiale et des relations qui l’ont construit. Une ligne qui, en plus de COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉ… déjà cité, compterait également UN CONTE DE NOËL (2008) et TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE (2014). ROUBAIX, UNE LUMIÈRE (2019) est évidemment ancré lui aussi dans sa ville natale mais dans un tout autre registre. Mais cette tentative de classification fait long feu quand on songe à ce que peut avoir de personnel un film comme LES FANTÔMES D’ISMAËL (2017), dans lequel le « héros », cinéaste de son état et interprété par Amalric, l’alter plus ou moins ego de Desplechin, se nomme Ismaël Vuillard, tout comme dans ROIS ET REINES. Et Vuillard est également son patronyme dans UN CONTE DE NOËL mais avec le prénom d’Henri. Cette histoire de noms, c’est décidément tout un roman ! Ainsi le même Amalric se nomme Paul Dédalus (quel programme !) dans COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉ… et dans TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE. Et on remarquera pour finir que dans ROIS ET REINE, Ismaël suit une thérapie au long cours avec une psychanalyste, la Docteur Devereux ; or Georges Devereux, l’un des fondateurs de l’ethnopsychiatrie, deviendra, sous les traits de l’incontournable Amalric, le protagoniste principal de JIMMY P. (2013), aux côtés de l’Indien des plaines incarné par Benicio Del Toro. Pas de doute, Arnaud Desplechin a de la suite dans les idées !

 

Aujourd’hui : moon river…


 

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Lundi 5 avril

Hier, fin N° 89. Sous la pluie qui tombe dru, la divine Audrey Hepburn et le banalement mortel George Peppard. On ne peut pas s’empêcher de penser qu’il n’est pas assez bien pour elle. Gregory Peck dans VACANCES ROMAINES, OK. Humphrey Bogart dans SABRINA, pas de problème. Cary Grant dans CHARADE, super. Albert Finney dans VOYAGE À DEUX, ça le fait. Sean Connery dans LA ROSE ET LA FLÈCHE, c’est une évidence… mais George Peppard ! Acteur assez fade qui n’a marqué les esprits que dans un seul autre film, CELUI PAR QUI LE SCANDALE ARRIVE (1960) de Vincente Minnelli et qui a assuré ses vieux jours grâce à la série télé des années 1980 AGENCE TOUS RISQUES… Cela dit, il est plutôt bien dans le film, « Il a cette beauté molle qui sied à son rôle de séducteur veule », comme écrivait Edouard Waintrop (désormais délégué général du Fifib) dans Libération. En fait on voudrait être à la place du chat, c’est lui surtout qu’Audrey est heureuse de retrouver. Nous sommes donc dans les dernières secondes de BREAKFAST AT TIFFANY’S (1961) de Blake Edwards, trivialement titré en français DIAMANTS SUR CANAPÉ. Tiré d’un court roman de Truman Capote (pas encore star de la littérature, c’était avant « De sang froid » publié en 1965), le scénario raconte les tribulations tout à fait amorales d’une petite prostituée qui a fui sa campagne natale pour s’installer à New York et tenter d’y plumer le maximum d’hommes riches en leur cédant le minimum d’elle-même. Elle rencontre un écrivain en panne d’inspiration qui fait le gigolo pour subsister et qui va tomber éperdument amoureux d’elle… De ce sujet pas spécialement reluisant est pourtant né un film qui est le summum du charme et du glamour. La mise en route du projet a été chaotique et sans cesse contrariée, en premier lieu par l’opposition constante de Truman Capote, peu satisfait de l’adaptation qui selon lui édulcorait son roman et en désaccord total avec le choix de l’actrice principale, lui qui ne voyait que Marilyn Monroe pour incarner son héroïne. Mais Marylin préféra s’engager sur THE MISFITS de John Huston. Ça se défend… La production contacta ensuite Kim Novak, puis Shirley MacLaine – qui déclinèrent poliment – avant de penser enfin à Audrey Hepburn, déjà vedette incontestée, qui eut l’audace d’accepter aussitôt ce rôle de prostituée qui ne dit pas son nom, en franche rupture avec l’image d’innocence diaphane renvoyée par ses précédents succès. Et c’est elle, sur les conseils de son agent, qui demanda à la Paramount de remplacer le metteur en scène prévu, John Frankenheimer, par le débutant Blake Edwards, réalisateur au cours de ses cinq premières années de carrière de trois comédies avec Tony Curtis, dont une seule un peu remarquée : OPÉRATION JUPONS (1959), également interprétée par Cary Grant. Et voilà, rien de cette course d’obstacles n’apparaît à l’écran, tout n’y est que fluidité, élégance et décontraction. Puisqu’il est question d’élégance et de glamour, impossible de ne pas signaler que Miss Hepburn est habillée dans le film par Hubert Givenchy, rencontré à l’occasion de SABRINA (1954) de Billy Wilder et qui deviendra d’une part son ami et d’autre part son costumier pour tous ses films contemporains importants. Elle ne lui fera qu’une seule infidélité, mais de taille : dans VOYAGE À DEUX (1966) de Stanley Donen, elle porte, entre autres tenues, des créations signées… Paco Rabanne.

Aujourd’hui : rêve américain déçu.


 

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Mardi 6 avril

 

Hier, fin N° 90. Le garçon au dessous, c’est Jude Law. La fille au dessus, on la reconnaît avant tout à sa voix qui chante « The Story » : Norah Jones (fille de Ravi Shankar, qu’il me semble avoir brièvement cité dans une précédente notule) est bien plus chanteuse que comédienne. C’est d’ailleurs ici son seul film important : MY BLUEBERRY NIGHTS (2007) de Wong Kar Wai. Ce n’est pas la première fois que le cinéaste hongkongais quittait son territoire puisque HAPPY TOGETHER (1997 et quiz N° 5) avait été filmé en grande partie à Buenos Aires. Mais là il tournait intégralement en anglais, avec des acteurs anglo-saxons, troquant pour ainsi dire son Tony Leung fétiche pour Jude Law. On imaginait à l’époque que ce n’était que le début d’une grande aventure américaine pour Wong Kar-Wai, on lui prêtait même le projet d’un remake de LA DAME DE SHANGHAI (1947) d’Orson Welles, avec Nicole Kidman dans le rôle immortalisé par Rita Hayworth. Il n’en a rien été, Wong est rentré à Hong Kong et il a retrouvé Tony Leung pour son très beau THE GRANDMASTER en 2013. Les myrtilles du titre sont celles qui garnissent les tartes consolatrices que vient régulièrement déguster Elizabeth (Norah Jones) dans un bar new yorkais tenu par un affable serveur (Jude Law) à qui elle confie l’histoire de sa douloureuse rupture amoureuse. Ces longs moments partagés rapprochent ces deux solitaires, mais Elizabeth décide de reprendre sa vie à zéro, et part pour un long périple de près d’un an à travers les États Unis, pendant lequel elle travaillera à son tour comme serveuse, croisant de Memphis à Las Vegas des âmes aussi esseulées qu’elle, entre autres un flic alcoolique (impressionnant David Strathairn) bouleversé par le départ de sa femme, ou une joueuse invétérée (Natalie Portman) avec qui elle va tracer un bout de chemin… Wong Kar-wai fait de MY BLUEBERRY NIGHTS un faux road-movie, il filme une Amérique fantasmée, essentiellement à travers les ambiances des coffee-shops, des bars, y appose sa marque, joue sur les couleurs, les accélérations, les flous, et plus qu’un cheminement nous offre une nouvelle chorégraphie filmée avec moult figures de style: décadrages, ralentis, narration en voix off, musique d’IN THE MODD FOR LOVE reprise à l’harmonica… La musique originale du film a été composée par Ry Cooder, elle est moins inoubliable que celle qu’il avait créée pour PARIS, TEXAS (1984) de Wim Wenders. Curieusement, plus que la voix de Norah Jones, c’est celle d’une autre chanteuse qui hante le film : Cat Power et son magnifique « The Greatest » qu’on entend à plusieurs reprises. Il paraît même que Wong Kar-Wai la diffusait régulièrement sur le plateau pour mettre l’équipe, acteurs et techniciens, dans l’ambiance. Chan Marshall (c’est le vrai nom de la musicienne) joue même le petit rôle d’une ex-petite amie de Jude Law. Si vous ne connaissez pas Cat Power et « The Greatest », une petite vidéo : https://youtu.be/0KtrQ5nWl7w

 

L’extrait du jour : entre le Mexique et l’Arizona.


 

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Mercredi 7 avril

Hier, fin N° 91. Les trente dernières secondes d’un travelling avant nocturne de presque cinq minutes, filmé sans doute à bord d’une voiture sur une autoroute péri-urbaine en direction de Los Angeles. La voix off fragile, un peu éraillée, c’est celle de la réalisatrice, qui lit ce qui pourrait être le témoignage de la logeuse d’une immigrée mexicaine disparue du jour au lendemain. La réalisatrice, c’est Chantal Akerman, le film, c’est DE L’AUTRE CÔTÉ (2002). Un documentaire tourné entre le Mexique et l’Arizona, le long de la frontière de palissades et de barbelés qui protège les Etats-Unis des envahisseurs – ce n’est pas un mot en l’air : à un moment du film, on voit un panneau noir planté au milieu de nulle part, sur lequel un fier Arizonien de souche a écrit à la peinture blanche : « Stop à la vague du crime ! Nos propriétés et notre environnement sont en train d’être souillés par les envahisseurs. » Pendant des années, les Mexicains en quête d’un avenir moins désespérant sont passés par San Diego pour gagner les Etats-Unis. Mais dans le but de ralentir au maximum le flux des clandestins, le Service d’immigration américain a décidé de leur couper cette route « trop facile » et de les obliger à traverser les régions désertiques et montagneuses de l’Arizona. Les autorités pensaient que les conditions terribles du périple – la durée du trajet, les difficultés des voies de passage, la chaleur, le froid – les dissuaderaient de tenter l’aventure… Chantal Akerman et sa toute petite équipe sont allés à la rencontre de quelques uns de ceux, innombrables, qui ont essayé malgré tout, au péril de leur vie, bravant la traque incessante de la police des frontières, de passer de l’autre côté… DE L’AUTRE CÔTÉ est le dernier volet d’une trilogie documentaire commencée en 1993 avec D’EST, qui montrait le voyage de la réalisatrice en Europe de l’Est, et poursuivie avec SUD (1998), revenant sur l’histoire d’un jeune Noir lynché par trois Blancs dans le Sud des Etats-Unis.

Laissons la parole à Chantal Akerman : « A l’origine, le projet n’était pas lié à l’idée de frontière mais à un mot. J’avais lu un article sur les ranchers américains, qui chassent les clandestins avec des magnums et des lunettes de visée nocturne. Ils disaient que les Mexicains amenaient de la saleté. C’était le mot « dirt ». Tout de suite, j’ai pensé « dirty Jews », sale Juif, sale Arabe… Ensuite, je suis partie en repérage et j’ai découvert cette ville-frontière, Aguaprieta, qui, comme lieu de cinéma, me parlait vraiment. Finalement, dans le film, il reste très peu de choses sur les ranchers. J’en suis venu à me dire que la frontière était beaucoup plus importante que cette histoire atroce… » « Lorsque je fais des films comme D’EST, SUD et DE L’AUTRE CÔTÉ, j’essaie d’être très à l’écoute mais aussi assez vide, sans a priori, surtout pas au-dessus du film, de la situation. Je ne sais pas ce que je veux dire. Ce qui pose d’ailleurs des problèmes en amont, lorsque j’écris des textes pour obtenir de l’argent. Mais je ne veux pas être un oiseau qui pose ses serres sur le sujet, si sujet il y a. C’est davantage une pulsion dans une direction qui, au fond, à toujours à voir avec la même chose. D’EST rappelait certaines images de la guerre. Dans SUD, il y avait l’autre, celui qui se fait lyncher. DE L’AUTRE CÔTÉ est à nouveau sur l’autre, que l’on croit « sale ». S’il y a eu les camps, c’est quand même pour exterminer la vermine qui risquait de salir le peuple allemand. »

Si vous voulez écouter Chantal Akerman parler de son film en 2002, un lien vers l’émission de France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/extrait-premiere-edition-chantal-akerman-pour-de-lautre-cote
Et si voulez voir DE L’AUTRE CÔTÉ en entier, un lien vers le site d’Arte :
https://www.arte.tv/fr/videos/025419-000-A/de-l-autre-cote/

Aujourd’hui : un poids-lourd dans les Yvelines.


 

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Jeudi 8 avril

Hier, fin N° 92. Comme dans le film de la veille, c’est la voix ce la réalisatrice que l’on entend. Une voix reconnaissable entre mille, un phrasé repérable entre dix mille. C’est Marguerite Duras qui dit même le titre du film : LE CAMION (1977). Au tout début c’est d’abord un beau camion bleu et sa semi-remorque, un Saviem (sous-marque de Renault) garé sur la place d’un village. On le retrouve, toujours à l’arrêt, dans une zone péri-urbaine. Il se met à rouler, on note qu’il est immatriculé 1004 W 92. Il fait le tour d’un rond-point et prend la route. Se fait alors entendre la voix de MD : « Ç’aurait été une route, au bord de la mer. Elle aurait traversé un grand plateau, nu. Et puis un camion serait arrivé, et il serait passé lentement, à travers le paysage. Il y a un ciel blanc d’hiver, une brume aussi, très légère, répandue partout, sur les terres, sur la terre. » À la place de chaque virgule, imaginez un temps, une pause. Lorsque la voix se tait s’élève la musique, du piano, une des « Variations Diabelli » de Beethoven. Puis on arrive au centre du dispositif du film : la nuit, dans une pièce chichement éclairée, une femme et un homme sont assis à une table. La femme, MD, raconte à l’homme, GD (Gérard Depardieu) ce qui pourrait être le scénario d’un film, l’histoire d’une femme qui fait du stop et qui monte dans un camion. Et la femme parle au chauffeur qui ne l’écoute pas. Pas une seule fois on ne voit la femme dans le camion. On voit seulement des images du camion qui roule à travers divers paysages. Et on entend des voix off qui indiquent que la femme parle au camionneur. À propos des thèmes abordés dans LE CAMION, à bord du camion, Marguerite Duras dit, dans un entretien avec Michelle Porte (réalisatrice, en plus de documentaires sur l’écrivaine, d’un film de fiction adapté du roman éponyme de Duras : L’APRÈS-MIDI DE MONSIEUR ANDESMAS (2004), avec un magnifique Michel Bouquet) : « Je peux passer de la politique à la Beauce, de la Beauce au voyage de la dame, de la dame aux marchandises transportées, à la solitude, à l’écriture, aux maisons qu’elle a habitées. » Marguerite Duras est évidemment connue avant tout comme écrivaine de romans, de pièce de théâtre, d’essais… mais le cinéma tient une place importante dans son oeuvre puisque, après avoir été d’abord scénariste (HIROSHIMA MON AMOUR (1959) d’Alain Resnais, MODERATO CANTABILE (1960) de Peter Brook, UNE AUSSI LONGUE ABSENCE (1961) d’Henri Colpi puis quelques autres…), elle a elle-même réalisé 13 longs métrages entre 1962 et 1984, de LA MUSICA à LES ENFANTS. Si plusieurs de ses films sont adaptés de ses romans ou pièces de théâtre, il y aura une adaptation en sens inverse : NATHALIE GRANGER (1972) fut d’abord film avant d’être texte littéraire. Signalons qu’une nouvelle adaptation filmée d’un texte de Duras devait sortir dans les salles en début d’année 2021 si l’existence du cinéma n’avait pas été interrompue suite à des circonstances indépendantes de notre volonté : SUZANNA ANDLER, réalisé par Benoît Jacquot, avec Charlotte Gainsbourg et Niels Schneider. Prochainement sur les écrans ?

Aujourd’hui : chercheurs dans la Monument Valley.


 

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Vendredi 9 avril

 

Hier, fin N° 93. Démonstration magnifique que le cinéma est bien l’art de l’espace et du cadrage. Il se trouve que la toute première scène du film est également cadrée à travers l’ouverture d’une porte, mais elle part du noir pour aller vers la lumière ; ici c’est l’inverse, la couleur et la lumière se fondent au noir. John Wayne laisse entrer les membres d’une famille dont il ne fera jamais partie puis tourne le dos et s’en va, sans doute définitivement seul, sur les dernières note de « Ride away » (Va chevaucher au loin), la chanson leitmotiv du film, composée par Max Steiner, écrite par Stan Jones et chantée, ça ne s’invente pas, par The Sons of the pioneers. C’est LA PRISONNIÈRE DU DÉSERT (1956) de John Ford, que tous ses fans (et il sont nombreux à penser que c’est un des plus beaux westerns de l’histoire du cinéma) ne désignent que par son titre original : THE SEARCHERS. À partir de là, cette notule va se placer sous le signe de Bertrand Tavernier, qui n’a décidément pas fini de nous manquer. Et s’y placer tout naturellement puisque cette photo, à travers l’encadrement de la porte, de John Wayne s’éloignant de dos vers son destin de poor lonesome cowboy figure en couverture de la dernière édition en date (1995, chez Omnibus) de « 50 ans de cinéma américain », l’incontournable ouvrage signé Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier – dont je peux me vanter de posséder un exemplaire dédicacé par icelui lors de sa première visite à Utopia Bordeaux en 2001. Voici ce qu’écrit Tavernier de THE SEARCHERS : « L’histoire d’une obsession. Un vétéran de la guerre de Sécession passe dix ans de sa vie à la recherche d’une petite fille enlevée par des Indiens. Un des films les plus riches, les plus complexes et les plus sombres de John Ford, qui le décrivait comme « la tragédie d’un solitaire ». Superbe photo (couleurs et Vistavision) de Winton C. Hoch. Ecrit par Frank S. Nugent d’après un roman d’Alan Le May. Le film aura une immense influence sur les cinéastes cinéphiles américains qui comment à tourner dans les années soixante-dix. » Et plus loin, sur John Ford : « Les modes passent, les cinéastes sont oubliés, les gloires éphémères se ternissent vite et John Ford reste. Le vieux Sean (NDLR : John Ford est né en Irlande sous l’identité de Sean Aloysius O’Feeney), cela est sûr maintenant, enterrera tout le monde. On peut le bouder un instant pour aller découvrir d’autres horizons, d’autres styles, quand on revient il n’a pas pris une ride supplémentaire et, après dix plans, il faut se rendre à l’évidence : il les domine tous. Tout d’abord parce qu’il est l’un des seuls cinéastes à avoir bâti une œuvre à la mesure de l’Amérique. La vaste saga que forment ses films ressemblent à un miroir où se réfléchit ce pays passionnant et contradictoire, immense surtout… » Tavernier précise que le scénario du film est adapté du roman d’Alan Le May, édité en France par les Editions du Rocher puis par les Editions Télémaque. Il est je crois épuisé en librairie, trouvable sur internet mais pas évident si on veut éviter Amazon. Il faut savoir que l’infatigable Tavernier avait créé en 2013 chez Actes Sud une collection de romans western, intitulée « L’Ouest, le vrai ». Vingt volumes ont ainsi été publiés, dont un autre roman d’Alan Le May, « Le Vent de la plaine », également adapté au cinéma en 1960, sous le même titre, par John Huston, avec Audrey Hepburn et Burt Lancaster. Et puisque j’en suis venu aux romans western, je ne peux pas ne pas signaler la disparition, le même jour que Bertrand Tavernier, maudit soit à jamais le 25 mars 2021, d’un exceptionnel romancier de l’ouest américain : Larry McMurtry. Tous ses bouquins sont publiés chez Galmeister, précipitez vous sur sa saga « Lonesome Dove », c’est absolument exaltant et magnifique. McMurtry était lié au cinéma puisque plusieurs de ses romans ont été adaptés au cinéma, dont « La Dernière séance – The Last picture show » en 1971par Peter Bogdanovich (occasion d’une mémorable rencontre à Utopia avec Jean-Baptiste Thoret), et qu’il fut le scénariste oscarisé de LE SECRET DE BROKEBACK MOUNTAIN (2005) d’Ang Lee.

 

Aujourd’hui : reines d’un Tour…


 

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Samedi 10 avril

 

Hier, fin N° 94. Aucune hésitation, aucun doute : l’ambiance, le trait, l’harmonie des couleurs, l’extraordinaire soin apporté aux détails, et la voix du regretté Michel Robin : « c’est fini, mémé. ». LES TRIPLETTES DE BELLEVILLE (2003) écrit et réalisé par Sylvain Chomet. L’irrésistible histoire de Champion, un jeune garçon mélancolique et solitaire élevé par sa grand-mère, la craquante Madame Souza, vieille dame d’origine portugaise, qui refuse de laisser son pied bot gâcher son énergie et son amour de la vie. Madame Souza a très tôt remarqué la passion de son Champion pour le vélo. Alors elle lui fait suivre un entraînement acharné et c’est tout naturellement que le bien prénommé devient un as de la petite reine, à tel point qu’il se retrouve dans le peloton du célèbre Tour de France. Et c’est là que le mystère pointe son nez : pendant la course, Champion est enlevé par deux hommes en noir, sortis d’on ne sait où, envoyés par on ne sait qui. Madame Souza ne fait ni une, ni deux et part à la recherche de Champion, flanquée de son chien Bruno, au flair légendaire. Leur quête va les mener au-delà de l’Océan sans doute Atlantique, jusqu’à une ville immense nommée Belleville : oui, le même nom exactement que le vieux quartier de Paris que Madame Souza connaît si bien ! Entrent alors en scène les « Triplettes », qu’on attendait avec impatience puisqu’après tout elles donnent leur titre au film ! Ce sont d’excentriques stars du music-hall des années 30 qui décident de prendre Madame Souza sous leur aile et vont l’accompagner dans sa quête… Je me souviens des TRIPLETTES DE BELLEVILLE comme de la réussite exceptionnelle qui a amorcé le grand renouveau de l’animation française non prioritairement destinée aux enfants dans les années 2000. Sortie en juin 2003, la merveille de Sylvain Chomet avait été précédée, un an plus tôt, par CORTO MALTESE, LA COUR SECRÈTE DES ARCANES de Pascal Morelli, mais le film n’était pas du même niveau et avait eu un moindre retentissement. On peut dire que pendant cette décennie, LES TRIPLETTES n’a eu qu’un seul alter ego : le splendide PERSEPOLIS (2007) de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud. Les deux films ont d’ailleurs eu droit à la première page de notre gazette, pour nous ça veut tout dire. On avait découvert Sylvain Chomet avec son très beau court-métrage LA VIEILLE DAME ET LES PIGEONS (1997), qui déjà faisait vivre le Paris populaire des années cinquante-soixante, avec ses décors superbement fignolés, mais avec un côté plus noir et tirant vers le fantastique. Un lien pour le voir : https://youtu.be/MqhVcRrrauY On a déjà brièvement parlé, dans la notule consacrée aux VACANCES DE MONSIEUR HULOT, de son long métrage d’animation suivant, L’ILLUSIONNISTE (2010), bijou de délicatesse et de poésie concrétisant un scénario écrit mais jamais tourné par Jacques Tati, conservé dans ses archives sous le titre « Film Tati n°4 ». Est-ce à cause du relatif insuccès du film que Sylvain Chomet n’a pu mener à bien aucun projet d’animation depuis ? Il s’est essayé à la fiction en prises de vues réelles avec ATTILA MARCEL (2013), qui tentait de créer une ambiance picturale un peu décalée, mais le résultat ne fut pas très concluant. On espère son retour au dessin animé, à l’ancienne, il a un talent trop éclatant dans ce domaine pour qu’on se résigne à ne plus voir son travail.

 

Aujourd’hui : les mésaventures de Dom et Fiona.


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Dimanche 11 avril

 

Hier, fin N° 95. Les mésaventures de Dom et Fiona, souffle l’indice d’Aurore. Les deux personnages portent le même nom que leurs interprètes et créateurs : Fiona Gordon et Dominique Abel, déjà croisés à l’étape 21 de ce quiz avec L’ICEBERG (2005). Cette fois les rythmes chaloupés de la bande son nous mettent sur la bonne voie, même si ma connaissance toute relative de la musique latino ne m’autorise pas être affirmatif sur le nom de la danse ici jouée… mais c’est bien RUMBA (2008), le deuxième film du trio formé par Gordon, Abel et Bruno Romy. Une fantaisie burlesque dans la droite ligne de L’ICEBERG, qui met en scène Fiona et Dom dans des personnages très proches de ceux de leur premier film : comme les grands burlesques, de Chaplin à Keaton en passant par Tati, ils incarnent, plutôt que de véritables rôles, des caractères, des figures qui gardent leurs caractéristiques de film en film. Ici ils sont professeurs dans une école, elle d’anglais, lui de gym, et filent le parfait amour nourri de leur passion commune pour la danse qu’on appelle parfois de salon. Ils participent régulièrement à des compétitions amateurs et leur petit logement est encombré des coupes et autres trophées glanés de-ci, de-là. Et c’est justement en rentrant, une fois de plus victorieux, d’un Concours cantonal de danse américano-latine que leur existence paisible va basculer : en cherchant à éviter un suicidaire mal inspiré, Dom envoie leur petite automobile dans le décor. Bilan laconique de l’accident : Fiona perd une jambe et Dom la mémoire. Conclusion lapidaire : fini la rumba, bonjour les catas… que nos deux héros affronteront avec un optimiste parfaitement flegmatique, qui fait partie intégrante de l’univers du trio d’auteurs-réalisateurs. La vie est compliquée et parfois cruelle, les humains sont fragiles et souvent démunis mais ce n’est pas une raison pour désespérer, aimons, bougeons, rions… et on finira par s’en sortir. Comme on l’indiquait dans la notule sur L’ICEBERG, RUMBA est à ce jour le plus gros succès d’Abel et Gordon. Le titre dansant y est sans doute pour quelque chose… il faudra faire un jour une étude au sujet de l’influence de leur titre sur la carrière des films. Au fait, avant RUMBA il y eut en 1986 LA RUMBA (l’article change tout), un film pas terrible (euphémisme) réalisé et interprété par Roger Hanin, à l’époque pas encore commissaire Navarro (le premier épisode de la série sera diffusé sur TF1 le 26 octobre 1989) mais déjà beau-frère de François Mitterrand (depuis son mariage en 1957 avec la sœur aînée de Danielle Mitterrand). Mais là, je m’égare…

 

Aujourd’hui : coucher de soleil à Biarritz.


 

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Lundi 12 avril

Hier, fin N° 96. Comme Amanda Langlet dans l’épisode N° 50 du quiz (CONTE D’ÉTÉ, 1996) , on associe par réflexe le nom de la comédienne Marie Rivière, ici avec Vincent Gauthier, au cinéma d’Eric Rohmer, avec qui elle a tourné la bagatelle de huit films, et à qui elle a même consacré un film documentaire qu’elle a réalisé en 2010 : EN COMPAGNIE D’ERIC ROHMER. Quant au titre du film à deviner, il nous est donné visuellement par le phénomène qui conclut fugitivement ce beau coucher de soleil sur l’océan : LE RAYON VERT (1986). On vous a raconté par le menu les différents cycles de films imaginés par Rohmer au cours de sa riche carrière, et LE RAYON VERT est donc le cinquième des six films de la série « Comédies et proverbes ». Son titre est directement inspiré par cette lueur éphémère qui apparaît parfois, quand le ciel est limpide, au moment précis où le soleil couchant semble s’enfoncer dans la mer – il semblerait que le phénomène puisse aussi se manifester à l’instant du lever du soleil. Rohmer n’est pas le premier créateur à s’être montré curieux de cette particularité optique et atmosphérique puisque LE RAYON VERT est également le titre d’un roman de Jules Verne publié en 1882, qui va jouer un rôle assez décisif dans le film. Tout comme le fait de saisir au vol le passage d’une étoile filante vous donne la possibilité de faire un vœu et d’être sûr de le voir exaucé, la chance de voir le rayon vert vous offre le pouvoir, selon le romancier, de lire clairement dans vos propres sentiments et dans ceux des autres… C’est exactement ce dont a besoin Delphine, l’héroïne du film, qui, au début du récit, se voit abandonnée comme une vieille chaussette par la copine avec qui elle devait partir en vacances en Grèce. Delphine se retrouve seule et déprimée. Invitée par des amis en Normandie puis à la montagne, elle n’y trouve pas sa place et atterrit finalement à Biarritz où elle fait diverses rencontres, dont celle d’une Suédoise affranchie qui lui donne des conseils peu avisés. Jusqu’à cette conversation sur un certain roman, un peu oublié, de Jules Verne… On peut dire que Rohmer a tourné LE RAYON VERT comme un film de vacances, justement. Très vite, presque sans préparation, avec un budget réduit, des acteurs pour la plupart non professionnels, choisis pour certains au dernier moment sur les lieux du tournage, et un scénario qui se construisait au jour le jour, en collaboration étroite avec sa comédienne – Marie Rivière est d’ailleurs créditée comme co-scénariste –, loin du soin maniaque apporté à l’écriture, souvent qualifiée de littéraire, de ses films précédents. C’est sans doute pour cela que LE RAYON VERT est une des œuvres les plus accessibles du cinéaste, d’une sensibilité et d’une émotion immédiatement perceptibles. Le public ne s’y est d’ailleurs pas trompé, qui s’est déplacé en nombre : LE RAYON VERT est un des plus gros succès de Rohmer, après LES NUITS DE LA PLEINE LUNE (1984) et loin derrière MA NUIT CHEZ MAUD (1969). Au rayon des médailles et breloques, LE RAYON VERT a remporté le Lion d’Or du Festival de Venise 1986. Et à celui des curiosités, un lien vers une chanson qui date de 2015 et dont j’ignorais l’existence jusqu’à ce soir : « Eric Rohmer est mort », écrite et interprétée par Clio : https://youtu.be/vwdvAt7suK8

Aujourd’hui : « Qu’est-ce que je peux faire ? »


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Mardi 13 avril

 

Hier, fin N° 97. « Je sais pas quoi faire… » pour répondre à la question posée par l’indice d’Aurore… Conclusion entre ciel et mer, comme dans LE RAYON VERT. Sauf qu’ici le soleil n’est pas couchant mais écrasant, le ciel laiteux, la mer contrainte. Il faut tendre l’oreille pour entendre les mots en voix off : « Elle est retrouvée. / Quoi ? – L’Eternité. / C’est la mer allée / Avec le soleil ». Ce sont les quatre premiers vers du poème « L’Éternité » d’Arthur Rimbaud. Et les voix qui les disent sont celles d’Anna Karina et de Jean-Paul Belmondo. Dans les trente secondes précédant les trente dernières secondes, Belmondo-Ferdinand s’est entouré la tête, non sans s’être précédemment barbouillé le visage de peinture bleue, de deux rouleaux de « trinamite », d’abord jaune puis rouge, avant d’allumer la mèche. On entrevoit les dernières flammes de l’explosion tout à gauche de l’image, au début de cette séquence de fin. C’est PIERROT LE FOU bien sûr, réalisé en 1965 par Jean-Luc Godard. Son dixième long métrage en cinq ans ! Le troisième étage, après À BOUT DE SOUFFLE (1960) et LE MÉPRIS (1963) de la fusée qui l’a propulsé aux confins inexplorés de la galaxie cinéma. « PIERROT LE FOU, c’est un petit soldat qui découvre avec mépris qu’il faut vivre sa vie, qu’une femme est une femme, et que dans un monde nouveau, il faut faire bande à part pour ne pas se retrouver à bout de souffle. » C’est par cette boutade en forme d’auto-citations que Godard résumait, pendant la campagne de promotion, ce film libéré de toute contrainte narrative, qui passe du coq à l’âne, qui procède par associations d’idées et de fulgurances poétiques pour nous entraîner dans la cavale amoureuse et jusqu’au boutiste de Ferdinand et de Marianne, laquelle a décidé de l’appeler, malgré ses protestations (« je te répète que je m’appelle Ferdinand ! »), Pierrot. D’où « Pierrot le fou », surnom de Pierre Loutrel, gestapiste français devenu ennemi public numéro un dans les années quarante. Mais aussi Pierrot comme « Pierrot mon ami » de Raymond Queneau. Autant dire qu’il ne reste pas grand chose, mis à part une poignée de truands à la poursuite du couple et quelques coups de feu échangés un peu au hasard, du roman adapté par Godard, une série noire titrée « Le Démon de onze heures » (« Obsession » en anglais), signée Lionel White et publiée en 1962… Au moment de la sortie en 1965, la commission de censure décréta de l’interdire aux moins de 18 ans pour « anarchie morale et intellectuelle ». Ça donne envie de paraphraser Michel Audiard : « Quand on mettra les cons sur orbite, les censeurs n’ont pas fini de tourner. » En bonus, un épisode de l’excellent Blow Up d’Arte, qui vous dit tout sur « PIERROT LE FOU en huit minutes » : https://youtu.be/rB2ls6Gf76E>

 

Aujourd’hui : un pyromane en Galice.


 

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Mercredi 14 avril

Hier, fin N° 98. Ce vol d’hélicoptère vient au terme d’une impressionnante et magnifique séquence d’incendie qui clôt un film tout aussi impressionnant et magnifique, qui était en première page de notre gazette 203, la gazette de nos 20 ans : VIENDRA LE FEU (2019) d’Olivier Laxe, réalisateur évoluant entre l’Espagne, la France et le Maroc, qu’on a découvert en 2016 avec MIMOSAS, LA VOIE DE L’ATLAS, tourné comme son titre l’indique dans le Haut Atlas Marocain. Pour VIENDRA LE FEU, il retrouve la Galice de ses racines familiales, cette communauté autonome située au nord-ouest de l’Espagne, qu’on connaît au moins pour une de ses villes : Saint-Jacques de Compostelle. Le récit est ancré au plus profond de la culture galicienne et tourné dans la langue de la région, même s’il est plutôt taiseux. Amador Coro a été condamné pour avoir provoqué un incendie. Lorsqu’il sort de prison, personne ne l’attend. Il retourne dans son village niché dans les montagnes de la Galice où vivent sa mère, Benedicta, et leurs trois vaches. Leurs vies s’écoulent lentement, au rythme apaisé de la nature. Jusqu’au jour où un feu vient à dévaster la région. « La Galice est l’une des régions d’Europe les plus affectées par les incendies. Beaucoup sont causés par la foudre ou dus à des négligences diverses, mais dans la plupart des cas les incendies sont provoqués : c’est le feu qui échappe aux campagnards quand ils l’utilisent pour régénérer leur terre, le feu qui est utilisé comme arme de protestation politique, le feu qui requalifie la nature des terrains, qui fait chuter les prix du bois, celui qui procure chaque année à des politiciens de nouveaux contrats aux chiffres astronomiques… Les raisons sont diverses et tout le monde a sa part de responsabilité… J’ai fait un film sur un homme dont on sait, dès la deuxième séquence, qu’il a été condamné pour avoir provoqué un incendie. Était-il coupable ? S’est-il réconcilié avec le monde ou la nature ? Est-il profondément récidiviste ? Et s’il était en réalité innocent ? On peut se poser toutes ces questions tout au long du film. Mais en partageant le quotidien d’Amador, de Benedicta, sa mère, et de leurs animaux, en affrontant les rigueurs du climat lorsqu’ils mènent les vaches paître par monts et par vaux, en entendant ronronner le poêle alors que la pluie crépite sans discontinuer au-dessus de leurs têtes, on partage leur intimité. On parvient alors même à aimer Amador. L’empathie s’installant, les questions se dissolvent. On sent son inadaptation, sa souffrance contenue, sa cicatrice spirituelle… Pour filmer le feu, il faut filmer avec du feu. On suit un entraînement physique et théorique de pompier. On tourne un premier été avec une équipe technique restreinte, sans acteurs, pour faire des essais et comprendre ce que le film exige de nous. On ne sait pas si la pellicule (on tourne en Super 16) va se voiler à la chaleur, les objectifs fondre…. Si les pompiers vont nous laisser les accompagner… Petit à petit on gagne leur confiance et leur respect. Puis l’hiver arrive… on filme les âpres conditions de vie qui ouvrent la première partie du film. Les gestes sont lents, engourdis par le froid. Les regards plongeants et rares. Amador est de retour et promène ses tourments sur les sentiers détrempés et sous les ciels mouillés de la Galice. L’hiver de la Galice est l’hiver d’Amador, son refuge. Survient le printemps qui voit les corps se délier, les animaux sortir au grand air. On passe de la contraction de la nature à sa dilatation. Amador dévale les flancs des montagnes au secours de ses bêtes. Le temps a passé, les saisons se sont succédé, et on pourrait croire avec Amador en une rédemption possible, un soulagement prochain. L’été suivant, on était prêt à répéter l’expérience mais avec nos acteurs, deux jeunes pompiers qui font leur baptême de feu, les voisins qui essaient de protéger leurs maisons face aux flammes attendues… Mais 2018 a été l’un des étés les plus pluvieux de l’histoire de la Galice : très peu d’incendies donc. Encore la nature qui impose ses règles, qui éprouve notre capacité d’acceptation, notre soumission, notre respect. Quand les deux semaines de tournage arrivent à leur terme, soudain le feu apparaît. Ce fut une chose troublante que d’appeler le feu redoutable. Nous voulions ce qu’on ne peut empêcher en Galice. Mais ce n’était pas tout de vouloir le feu, il aura aussi fallu qu’il veuille de nous. » Ce que dit Olivier Laxe de son film est aussi beau que son film. C’est rare.

Aujourd’hui : un wu xia pian maudit.


 

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Jeudi 15 avril

 

Hier, fin N° 99. Un « wu xia pian » dit l’indice d’Aurore. Kesako ? L’expression amalgame trois mots de chinois mandarin : wu = martial, xia = chevalerie et pian = film. Elle désigne donc les films de sabre chinois, un peu l’équivalent de nos films français de cape et d’épée, des chanbaras japonais ou même, en extrapolant un peu, des westerns américains. Le genre est extrêmement populaire en Chine et dans les pays asiatiques mais n’est pas très prisé dans nos contrées où seules sont sorties sur les écrans quelques œuvres phares signées Tsui Hark ou King Hu. En fait le seul film relevant du genre qui a trouvé une réelle audience chez nous, c’est le très occidentalisé TIGRE ET DRAGON (2000) d’Ang Lee, réalisateur devenu très vite plus américain que taïwanais. Le wu xia pian dont nous voyons ici les trente dernières secondes est le troisième film de Wong Kar Wai, LES CENDRES DU TEMPS (1994). Pourquoi « maudit », pour revenir à l’indice d’Aurore ? D’abord parce que le tournage fut très difficile, contrarié, interrompu plusieurs fois. Ensuite parce que, suite au rejet du public à sa sortie, le film fut modifié, remonté, montré dans différentes versions sans aucun contrôle du cinéaste. Il faudra attendre quatorze ans pour que Wong Kar Wai puisse reprendre possession de son œuvre et en livrer SA version, qui sortira en salle sous les titre LES CENDRES DU TEMPS REDUX. « Les films d’arts martiaux traditionnels ont pour but de stimuler les sens du spectateur. Je voulais que le mien soit davantage un moyen pour exprimer les émotions des personnages. Tsui Hark avait repris la tradition des arts martiaux à l’écran, si bien illustrée auparavant par King Hu avec d’extraordinaires ballets dans les airs, les comédiens étant suspendus à des fils. Lorsque j’ai décidé de tourner LES CENDRES DU TEMPS, j’étais résolu à ne pas suivre ce filon qui me paraissait mort. À l’exception de Brigitte Lin, dont les actions sont exagérées, je voulais que les autres comédiens combattent au sol, que leurs duels donnent une impression de réalité, et non d’artifice. » Wong Kar Wai S’inspirant d’un classique de la littérature chinoise, « La Légende du héros chasseur d’aigles », le récit suit le destin de Feng, qui a choisi l’épée plutôt que l’amour et a laissé sa bien-aimée épouser son frère. Exilé dans le désert, Feng se met au service des seigneurs qui le sollicitent en leur fournissant des tueurs à gage qui exécutent leurs basses œuvres… Mais le film se moque de la narration traditionnelle, fragmente son récit, multiplie les flash-back labyrinthiques. Magnifié par la photographie incroyable du complice Christopher Doyle, LES CENDRES DU TEMPS est une expérience purement sensorielle, d’une beauté solaire, d’une poésie incandescente, qui crée une fascination quasi-hypnotique… ou un ennui du même métal, pour celles et ceusses qui restent parfaitement imperméables à la magie Wong Kar Wai. On en connaît pas mal ! Le cinéaste reviendra au film de genre mais dans une démarche très différente avec THE GRANDMASTER (2013).

 

Aujourd’hui : un polar poétique et pop.


 

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Vendredi 16 avril

Hier, fin N° 100. C’est un cap symbolique ! Ne serait-ce que de la fermeture de nos salles qui s’éternise… Quel film, quelle réalisatrice, quel réalisateur pour le centième épisode de notre quiz ? Un film avec une Juliette Binoche de 20 ans et des poussières, qui court éperdument, poursuivie par un Michel Piccoli dans le flou, jusqu’à donner la sensation de prendre son envol, soulevée par la caméra fiévreuse de Leos Carax. C’est MAUVAIS SANG (1986), un des films français cultes des années 80, entre (pour aller vite) influences godardiennes et esthétique du clip en pleine effervescence. On garde tout particulièrement en mémoire le fameux travelling latéral qui suit Denis Lavant dans sa danse endiablée le long d’un interminable mur gris que viennent seulement éclairer quelques rayures jaunes, quelques taches de rouge, au son de « Modern love » de David Bowie. Si vous voulez en savoir plus, un nouveau lien vers le Blow Up d’Arte, « MAUVAIS SANG en huit minutes » : https://youtu.be/PMoxheKoDjc> Ce numéro 100 du quiz est l’occasion de faire un petit bilan sur les cinéastes les plus souvent choisis par Aurore – reflet de ses goûts, de ses souvenirs cinéphiles… en même temps que des possibilités d’accès aux DVD permettant d’extraire les trente dernières secondes fatidiques. Arrive en tête, nettement, Wong Kar Wai avec 5 films. Suit un groupe de 5 cinéastes avec 3 films : par ordre alphabétique, Leos Carax, Jacques Demy (m’est avis qu’il n’en restera pas là), Xavier Dolan (lui, ça s’arrêtera là pour cause d’effets secondaires mortels), Jean-Luc Godard et François Truffaut. Puis viennent 11 cinéastes avec 2 films.

L’occasion aussi d’avouer que je commence à fatiguer et à avoir l’impression de radoter. 100 notules, 40 000 mots, pas loin de 200 000 caractères, j’ai du mal à tenir le rythme sans que ça devienne fastidieux – pour l’éventuel lecteur comme pour moi… Les commentaires des réponses à venir seront donc beaucoup plus courts, ça évitera qu’ils soient rasoir… Et pour marquer le coup de ce numéro 100, je vais vous faire lire un truc qui n’a rien à voir avec le cinéma. Hier, en triant des bouquins, je suis tombé sur « Rendez-vous à Samarra », roman de l’écrivain américain John O’Hara, écrit en 1934 et réédité en France en 2019 par les Éditions de l’Olivier. En épigraphe de son livre, O’Hara cite un court texte attribué à William Somerset Maugham (qui l’aurait repris d’un conte mésopotamien). Le roman est formidable, l’épigraphe aussi, jugez-en par vous-même : La Mort parle : À Bagdad, un jour, un marchand envoya son serviteur acheter des provisions au marché. Mais il vit bientôt revenir, blême et tremblant de peur, le serviteur qui lui dit : « Maître, il y a un moment, je me trouvais sur la place du marché et une femme m’a heurté dans la foule ; en me retournant, j’ai vu que c’était la Mort qui venait de me bousculer. Elle a fait vers moi un geste de menace. S’il vous plaît, prêtez moi un cheval, afin que je fuie cette cité pour échapper à mon destin. Je galoperai jusqu’à Samarra et la Mort ne m’y trouvera pas. » Le marchand lui prêta un cheval et le serviteur le monta, lui enfonça ses éperons dans les flancs et s’éloigna au grand galop. Alors le marchand descendit jusqu’à la place du marché et, lorsqu’il me vit, debout dans la foule, il vint à moi et me demanda : « Pourquoi as-tu fait à mon serviteur un geste de menace en le rencontrant ce matin ? » – « Ce n’était pas un geste de menace, répondis-je, ce n’était qu’un sursaut de surprise. J’étais très étonnée de le voir à Bagdad car j’ai rendez-vous avec lui ce soir, à Samarra. »

Aujourd’hui, on passe la centaine avec ce nouvel extrait et son indice : le serpent de Maloja.