Commémorer n'est pas célébrer…

Se rappeler des « moments lumineux » certes, mais aussi « braquer quelque lumière sur les périodes les plus sombres »… répondent de sages personnes à ceux qui s’obsèdent à préserver le petit peuple des mauvaise influences susceptibles de lui polluer le mental…
En fait de moments pas rigolos à inscrire dans le grand bouquin des commémorations, on proposerait bien, dans la liste des événements à ne pas oublier : Fukushima, 11 mars 2011, et Tchernobyl, 26 mars 1986. Dates qui marquent le début de deux catastrophes qui continuent à diffuser insidieusement leurs conséquences alors que tout le monde est incité à regarder ailleurs. 
Côté Tchernobyl, 31 ans après, le bilan humain de la catastrophe reste incertain : entre 4 000 et 100 000 morts ! 31 ans après, les chercheurs s’interrogent toujours sur les causes réelles de la catastrophe et des études récentes viennent démentir la version officielle de l’époque : une explosion nucléaire serait la cause de tout et non une erreur humaine. Peut-être une erreur de conception qu’il ne serait pas inutile d’analyser pour anticiper d’autres faiblesses dans la conception des centrales actuelles. Mais chut…

 

 

Côté Fukushima : Naoto Kan était premier ministre du Japon le 11 mars 2011. Physicien de formation, convaincu du haut niveau technologique de son pays, sans doute pensait-il que l’accident de Tchernobyl n’avait pu se produire que parce que l’URSS était peuplé d’un ramassis d’incompétents bureaucrates, se satisfaisant d’approximations scientifiques pour tenir le rythme de la grande planification qui devait permettre de dépasser les pays capitalistes les plus développés dans la course au progrès. Pas question, alors, pour Naoto Kan de mettre en doute l’excellence nucléaire japonaise.
Neuf mois après la catastrophe de Fukushima, il démissionnait après avoir stoppé les 54 réacteurs nippons et fait adopter une loi pour convertir le Japon aux énergies renouvelables. Depuis, Naoto Kan parcourt le monde pour témoigner, alerter ses congénères sur les horreurs qui leur pendent au nez s’ils continuent à persister à jouer avec le diable nucléaire.
Invité par les associations anti-nucléaire à faire un tour en France, il est passé par la Hague, Paris, a multiplié les conférences : « J’ai fait un revirement à 180 degrés. Je me suis dégoûté d’avoir eu confiance dans nos installations nucléaires… Si tout se passe mal, un accident nucléaire a des conséquences bien plus terribles que la plus terrible des guerres. » Et bien plus durables pourrait-on ajouter, car, si l’an dernier, un dôme gigantesque en acier – qui devrait rester étanche une centaine d’années – a été posé sur la centrale de Tchernobyl pour tenter de contenir les radiations et permettre à des hordes de travailleurs éphémères de récupérer et isoler les éléments radioactifs, nul ne peut prédire le coût de l’opération et le temps nécessaire au démantèlement du réacteur. Nul ne peut dire ce que l’on va faire de tous les déchets radioactifs qui vont devoir être confinés pour l’éternité. 31 ans après, il est toujours impossible de faire un bilan sanitaire et la radioactivité crachée par le réacteur continue à contaminer les terres alentour…
Alors quand Naoto Kan dit que d’ores et déjà « le coût du KW nucléaire n’est plus du tout compétitif », on le croit sans problème : quel sera ce coût lorsqu’il faudra inclure le coût réel de l’enfouissement des déchets ? Car même sans catastrophe imprévisible, il y a cette quantité toujours plus grande de déchets, radioactifs pour une durée inhumaine, qui s’accumule et qu’on ne sait pas traiter. Notre joyeuse ministre de l’environnement, Ségolène Royal, avait fait publier en janvier 2016 un arrêté ministériel fixant les estimations pour le projet d’enfouissement des déchets à Bure autour de 25 milliards d’euros (soit un montant très inférieur à celui évalué par l’Agence Nationale de gestion des déchets radioactifs et encore plus inférieur à d’autres études). En effet, pour éviter une catastrophe financière dans le futur, les acteurs du nucléaire, producteurs de déchets radioactifs, se doivent de provisionner dans leurs comptes le coût futur du démantèlement et du stockage des déchets. Les associations (Réseau Sortir du Nucléaire, France Nature Environnement, Mirabel-Lorraine Nature Environnement, Bure Stop 55) avaient alors saisi le Conseil d’État en dénonçant la sous-estimation des coûts indiqués dans le décret. 
Les associations disent que les fragiles provisions constituées permettent à peine de financer la « phase pilote » du projet et que sous-estimer revient à refiler la patate chaude aux générations futures… Le 19 mars dernier, la rapporteuse n’est pas allée dans le sens des associations : « Nous estimons qu’il était loisible au ministre de prendre une évaluation inférieure qui reste dans la fourchette de l’Andra », décrivant l’arrêté ministériel de Ségolène comme « une décision de compromis visant à ne pas faire peser le coût de la gestion des déchets radioactifs sur les générations futures tout en ne grévant pas de manière indue la capacité d’investissement des exploitants ».
Les associations se consolent en soulignant que « la rapporteuse a bien retenu que les sous-évaluations chroniques de la fin des années 2000 étaient condamnables et coupables » et demande qu’il soit procédé à des réévaluations régulières. Le Conseil d’État rendra sa décision vers la fin avril : quasi pour l’anniversaire de Tchernobyl. 
Mais ces estimations faites en tablant sur la certitude qu’il n’y aura pas de catastrophe, que deviennent-elles en cas d’accident ? 

 

Pendant ce temps, la catastrophe perdure à Fukushima, la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi n’est toujours pas sous contrôle, les citoyens nippons subissent toujours les conséquences de la pollution radioactive dans leur vie et dans leur chair. Certains reviennent vivre dans les zones contaminées faute de pouvoir faire autrement, avec quelques consignes : ne pas sucer ses doigts après avoir tripoté la terre, ne pas manger les belles cerises rouges qui vont succéder aux magnifiques fleurs du printemps qu’il ne faut pas humer, ne pas nager aux alentours de la centrale… Malgré les enceintes de confinement, malgré le mur de glace souterrain de 1,5 km qui entoure les quatre réacteurs accidentés, l’eau contaminée coule imperturbablement sous la centrale pour atteindre la nappe phréatique qui rejoint l’océan Pacifique et on ne sait toujours pas quoi faire des déchets qu’on stocke en attendant… 

 

À Bordeaux, l’association Tchernoblaye, constituée en l’an 2000 après que la centrale de Blaye, à 60 km de Bordeaux, ait frôlé l’incident majeur, continue à militer pour la fermeture des centrales nucléaires, et notamment celle du Blayais qui est une des plus vieilles de France… 
OBSERVATOIRE DU NUCLÉAIRE