Lycée Bayard : la belle équipe

Quatrième année pour ce partenariat avec le lycée professionnel Bayard et quatrième travail formidable rendu par les élèves autour de la thématique : le monde ouvrier au xxe siècle en France. Trois films au programme : « A nous la liberté » de René Clair (1931), « Avec le sang des autres » de Bruno Muel (1974) et « Ressources humaines » de Laurent Cantet (1999). Pour rédiger ces très beaux textes, les lycéens ont participé à des ateliers (loin de ceux présentés dans les films) sous les yeux attentifs mais non suspicieux de leurs maîtres (enfin leurs professeurs !). En complément de ces critiques, vous pourrez découvrir, en bonus, un carnet du spectateur (ciném’à la chaîne) fort riche en détails et analyses de ces trois films. Les élèves, pleins de ressources, ont donc œuvré en toute liberté et sans verser le sang.

A NOUS LA LIBERTÉ de René Clair

a nous la liberté

« La liberté, c’est toute l’existence, mais les humains ont créé les prisons, les règlements, les lois, les convenances et les travaux, les bureaux, les maisons. Ai-je raison ? »
Telle est la chanson qui ouvre le film de René Clair sorti en 1931. A nous la liberté est une comédie racontant l’histoire de deux prisonniers qui tentent de s’évader. Louis, homme plutôt costaud, opportuniste, réussit son évasion tandis que son ami Émile, maladroit et rêveur, reste en prison. Pendant qu’il purge sa peine, Louis gravit les échelons et devient un grand patron de l’industrie du disque. Émile finit par s’échapper et se fait embaucher dans l’usine de Louis par amour pour la jeune nièce du comptable. Viennent ensuite les retrouvailles entre les deux amis…
Cette œuvre du début du cinéma parlant dénonce l’univers carcéral et le travail à la chaîne qui condamnent les prisonniers et les ouvriers aux mêmes tâches répétitives. Il inspirera Les temps modernes de Charlie Chaplin (1936) qui reprend la scène où Émile perturbe la chaîne de montage. Le film raconte surtout une grande histoire d’amitié entre les deux anciens prisonniers. Le rythme est soutenu, accompagné par une musique trépidante. La succession des scènes de travail et de courses poursuites ont un côté burlesque. Ces séquences sont coupées par des fondus enchaînés et montrent les similitudes entre l’univers carcéral et celui du travail ouvrier. L’impression de l’enfermement en usine comme en prison est entretenue par l’éclairage réduit dans lequel baignent les séquences d’intérieur. Cet univers clos s’oppose aux scènes lumineuses en extérieur, comme dans les champs qui représentent la liberté. A nous la liberté est simple, original et irrévérencieux. Pour ceux qui veulent s’imprégner de l’humour des films en noir et blanc, c’est un régal. Pour les rêveurs aussi qui pensent encore que la machine est l’avenir de l’homme…

AVEC LE SANG DES AUTRES de Bruno Muel
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« Qui vous usent vos forces, qui vous bouffent le sang et qui vous jettent faute de sang…A la boite, la production, la production… »
Dans son documentaire Avec le sang des autres (1974) Bruno Muel nous montre une vision du travail dans la plus grande usine de France Peugeot à Sochaux qui a employé près de 45 0000 travailleurs au début des années 70. Mais à quel prix ? On s’aperçoit comment fonctionne l’empire Peugeot : exploitation des ouvriers, chronométrage des tâches, journées de travail interminables, gestes répétitifs, vacarme des machines, tristesse du quotidien, usure physique et morale. Les travailleurs chez Peugeot sont déshumanisés.
Ville, magasins, supermarché, bus, distractions, vacances, logement, tout est fait par et pour Peugeot : « moi qui vous parle, j’ai été à l’école privée Peugeot, j’ai été à l’école d’apprentissage chez Peugeot, j’ai pratiqué du sport chez Peugeot…Mon père est mort chez Peugeot…Bien sûr, il a été enterré dans un cercueil Peugeot… sur un corbillard Peugeot. » témoigne amèrement un ouvrier retraité. Telle est la force du film : saisir des témoignages émouvants et capter les visages des ouvriers en gros plan, sans artifice. Le spectateur est remué, interpellé.
Les gens ne pensent plus, ils travaillent à s’en user les mains et le moral. Le réalisateur veut montrer le milieu fermé où ils vivent, d’où on ne peut pas sortir, qui ne présente aucune perspective sociale. Même quand ils se réunissent pour faire la fête et entonner des chants révolutionnaires, il pleut…
Bien plus qu’un documentaire sur les conditions de travail ouvrier, ce film est une charge militante contre l’entreprise Peugeot qui a bâti sa fortune avec le sang des autres.

RESSOURCES HUMAINES de Laurent Cantet



resssources humaines

« La honte, je l’ai depuis tout petit […] La honte d’être ton fils […] d’être le fils d’un ouvrier […] La honte de sa classe […] Mais ta honte, là, ta honte, tu me l’as foutue, là ! Je l’aurai toute ma vie, ta honte ! »
Ressources humaines est un drame. Le personnage principal, Franck, fils d’ouvrier, effectue un stage, en tant que cadre, dans l’usine où travaille son père depuis 30 ans. Et ce père est fier de la réussite de son fils. Pourtant Franck n’est pas à son aise. A travers la relation tendue entre le vieil ouvrier résigné et le jeune cadre dynamique, plein de bonne volonté, Laurent Cantet filme crûment les conflits qui régissent la vie de l’entreprise. Franck n’arrive pas à trouver sa place ni auprès des dirigeants ni parmi les ouvriers. D’un côté il est manipulé par son directeur, de l’autre il est mal vu par les syndicats.
Ce film est lent, âpre, sans concession. Mais cette lenteur permet de mieux présenter la violence permanente des rapports humains dans l’entreprise. Le patron serre des mains mais il projette un plan de licenciement. La grève ne fait pas l’unanimité parmi les ouvriers. Dans cet univers impitoyable, Franck cherche sa place.
Laurent Cantet ne tranche pas entre les mauvais patrons et les ouvriers victimes. Le réalisateur ne prend la défense de personne. Plus qu’une histoire d’ouvriers, il filme l’humain. Sa caméra suit la trajectoire contrariée de Franck, interprété par un Jalil Lespert à fleur de peau, à l’avenir prometteur mais confronté à deux figures paternelles contre lesquelles il devra se révolter : son propre père bienveillant mais soumis et son patron protecteur mais sans scrupule.

Grand bravo à  Jonathan Bazan, Maxime Beauvais, Julie Bories, Kevin Carretero, Najoua Chaouqi, Ilyes Erachid, Nikola Filic, Thomas Gilibert, Samra Koob, Louis-Guillaume, Legentilhomme, Hadrien Lebeau et Cédric Marie-Luce pour leur très beau travail et pour le soutien sans faille de leurs professeurs : Sylvie Biscaro, Christelle Heurlier, Laurent Pujol et Christian Soulard.


Commentaires

1. Le mercredi, avril 16 2014, 14:03 par Eric

A nous la liberté fait parti des films que je regarde régulièrement, c’est ma madeleine de Proust. Loin de tous ces films “pop corn” ou 3D tels avatar ou gravity, tellement plus profond et de charme…