Atelier d'écriture YAKSA 3 : vernissage

Un soir, je me promenais dans une petite rue du centre : vitrine éclairée et petite foule élégante verre à la main sur le trottoir. Sans réfléchir je suis entré. Jamais mis les pieds dans un vernissage, qu’est-ce qui m’a pris ? Jolie lumière, ambiance douce, j’ai aimé tout de suite. Ce n’était pas du tout mon environnement, rien de familier, j’étais égaré, j’étais là, juste là sans penser à rien. Depuis tout jeune mon truc c’est ressentir, j’ai ce mot dans la tête, en réfléchissant je crois que je cherche à retrouver le baiser de ma mère, le soir sur mes paupières avant de m’endormir. «Je veux être un homme heureux» dit la chanson, je crois que ressentir c’est être heureux.

Alors là, je regardais, tranquille, une sculpture, enfin un truc que je ne savais pas vraiment qualifier et c’est ce qui la rendait intéressante la chose parce que ça provoquait milles questions dans ma tête. Je convoquais quelques chansons parmi les milliers qui ont colonisées mon cerveau d’enfant isolé. Avec j’essayais de me décrire la situation, de poser l’ambiance pour partir avec la proposition de l’artiste, inventer une histoire… D’ailleurs où était l’artiste? Je ne sais pas, je n’ai pas eu le temps d’y penser.

J’étais envahi par trop d’émotions, les chansons, mes alliées, mon armée étaient en ébullition, qu’est-ce qui m’arrivait? Je ne maitrisais plus rien, je crois que j’allais pleurer. Soudain un mouvement près de moi, quelqu’un me parle. Je tourne la tête, un type tout en noir, un visage grave, des yeux noirs aussi. Une sorte de colosse qui me demande ultra poliment s’il peut me donner quelque chose, Imprévu ! Improbable ! Ben… Oui bien sûr, mon armée s’immobilise pour me laisser murmurer une réponse. Un livre, il me tend un livre un petit bouquin de poésie me dit-il. Il m’explique qu’il lit et relit ces vers depuis des semaines et qu’il sent que là, il doit les partager immédiatement et que moi je suis là avec mon air absorbé, alors il se permet.

Ce n’était pas très clair, il bafouillait un peu dans l’urgence mais mon armée à l’intérieur explosait de joie. Ça m’est tombé dessus, heureux j’étais vraiment heureux. Jamais eu cette sensation de partage avant. C’était énorme et beau, tout devenait possible, Enfin, en théorie parce qu’en attendant pour me donner une contenance je feuilletais rapidement le recueil sans vraiment lire pourtant je remarquais un vers : « Nous sommes un pas de côté, une rencontre…»

Aïe ça devenait sentimental, mon armée et moi nous avions besoin d’un repli stratégique, nécessité de faire le point. Le gars n’était pas bavard, juste super impressionnant, une planète sombre et il s’avérait que de petits satellites gravitaient autour de lui, je me rendis compte très vite que ma présence bousculait leur trajectoire, ils l’appelaient par son prénom, on entendait un peu trop la majuscule et la dernière syllabe glissait vers l’obséquieux. Je lui souriais en organisant mon repli, il glissa quelque chose dans le livre et me tendit la main.

- Salut.

- Salut !

Je suis un personnage public, en gros cela veut dire que beaucoup de gens qui ne me connaissent pas pensent savoir qui je suis, ce à quoi je crois. C’est souvent pratique et même confortable parfois, je gagne bien ma vie mais je suis seul, une solitude indescriptible cachée par le tourbillon du quotidien.

Il y a deux jours, lors d’un vernissage , j’ai ressenti un truc étrange devant une œuvre sculptée, j’ai éprouvé le besoin de donner à un inconnu le recueil de poésie qui m’accompagnait ces dernières semaines, j’avais lu et relu les vers d’une inconnue dont je n’ai même pas retenu le nom, mais ses vers m’étaient incroyablement familier. C’est idiot, parce que n’ayant pas noté le nom de l’auteure je ne pourrais pas les retrouver. Enfin c’est ce que je pensais parce que je viens de recevoir un message incroyable, l’inconnu à un nom, il m’envoie un dessin qui semble sorti de ma tête. Nous allons avoir besoin de quelques vies pour explorer tous les méandres de cette histoire.

Anne-Marie P.

Fin 2019, l’association Yaksa a installé ses quartiers d’hiver à Utopia Borderouge, pour y animer des ateliers d’écriture. A raison d’un samedi par mois, une poignée de graphomanes en herbe y ont fiévreusement noirci d’innombrables ramettes de papier, avant d’être stoppés dans leur élan par l’épidémie que l’on sait. En attendant de pouvoir renouer avec ces anciennes et chaleureuses pratiques, Yaksa poursuit évidemment son travail d’accompagnement en visioconférence - et nous a gentiment confié, pour que nous les partagions avec vous, quelques uns des textes nés dans l’effervescence de l’atelier à Utopia.