Atelier d'écriture YAKSA 7 : Kévin

La première fois que je l’ai vu, c’était à mon anniversaire, il était sorti d’un énorme gâteau avec des oreilles de lapin et un pompon blanc coincé entre les fesses. On peut pas vraiment dire que ce soit mon genre de mec mais il s’était passé un truc, je ne sais pas quoi exactement, quand il m’a pris par la main pour m’assoir sur ses genoux et qu’il a caressé ma nuque devant toutes les copines complètement hystériques j’ai senti une drôle de chaleur m’envahir, je pense que je devais être rouge comme un coquelicot et j’ai fait un malaise vagal. J’ai fini aux urgences en réanimation.

La deuxième fois que je l’ai vu, c’était à la manif des intermittents du spectacle. il était debout en short sur un char et il ondulait son corps aux sons des rythmes syncopés lâchés par les artistes en colère. Je passais par hasard et du coup j’ai suivi toute la manif. il jetait des petits papiers en l’air, des tracts de toutes les couleurs et c’est en les ramassant que je me suis fait renversé par la camionnette FO. J’ai perdu connaissance et j’ai fini aux urgences en réanimation.

La troisième fois que je l’ai vu, c’était à l’inauguration de la boutique traiteur primeur lounge cyber café qui a ouvert en bas de chez moi, il est sorti d’un gaspacho géant comme la vénus de Botticelli de l’océan. Il était beau comme un diable avec ses morceaux de tomates et de poivrons collés partout sur lui. Pas de danger que je me fasse renverser, ils avaient interdit la circulation dans la rue pour l’occasion. J’ai juste fait une intoxication alimentaire et j’ai fini aux urgences pour un lavage d’estomac.

La quatrième fois que je l’ai vu, c’était à la fête foraine, j’accompagnais une copine amoureuse du gars qui tenait le stand de tir à la carabine. Comme c’était la première fois que je le voyais habillé j’ai mis un moment à le reconnaitre mais pas de doute c’était bien lui croquant une pomme d’amour. Comme on n’avait toujours pas fait connaissance j’ai essayé d’attirer l’attention sur moi en me prenant pour Calamity Jane. J’ai reçu un plomb dans l’œil et j’ai fini aux urgences mais pour le coup je crois qu’il avait du me repérer.

La cinquième fois que je l’ai vu, pas bien d’ailleurs parce que j’avais toujours un pansement sur l’œil suite à la quatrième rencontre, il sautait d’une fenêtre habillé en superman pour le tournage d’un clip. La chance tournait, cette fois-ci il ne m’est rien arrivé mais c’est lui qui s’est mal réceptionné. Vous imaginez bien que je me suis tout de suite proposé pour l’emmener à l’hôpital, d’autant que j’étais un peu comme chez moi là-bas.

Alors, on est partis tous les deux en voiture et pour la première fois on a discuté, je ne sais pas si c’était la douleur qui lui faisait dire n’importe quoi ou s’il était vraiment bête mais je crois bien qu’il était vraiment bête.

Quand on est arrivé à l’hôpital le médecin-chef qui commence à bien me connaitre et venu directement vers moi pour savoir ce qui m’était encore arrivé. Quand je lui expliquais que ce n’était pas pour moi mais pour Kévin (en plus, il s’appelait Kévin…) il m’invita tout de suite à diner avec lui. Il m’expliqua qu’il avait envie de ce moment depuis longtemps mais qu’étant sa patiente il se devait de garder ses distances. Depuis je vis avec mon beau médecin une belle histoire d’amour sans aucun danger pour ma santé et j’imagine que Kévin n’a même pas idée de la manière dont j’ai souffert pour lui.

Marie C

Fin 2019, l’association Yaksa a installé ses quartiers d’hiver à Utopia Borderouge, pour y animer des ateliers d’écriture. A raison d’un samedi par mois, une poignée de graphomanes en herbe y ont fiévreusement noirci d’innombrables ramettes de papier, avant d’être stoppés dans leur élan par l’épidémie que l’on sait. En attendant de pouvoir renouer avec ces anciennes et chaleureuses pratiques, Yaksa poursuit évidemment son travail d’accompagnement en visioconférence - et nous a gentiment confié, pour que nous les partagions avec vous, quelques uns des textes nés dans l’effervescence de l’atelier à Utopia.